Du 15 au 21 avril dernier, à l'initiative de notre présidente, une délégation de notre commission, composée de Laurent Lafon, d'Antoine Karam et de moi-même, s'est rendue en Guyane. Je me remercie notre collègue Antoine Karam de son aide précieuse dans l'organisation de ce déplacement, dont l'objet était de faire un état de la situation du système éducatif guyanais.
Une semaine durant, nous avons sillonné ce grand et beau territoire qu'est la Guyane, par sa superficie la deuxième région de France derrière la Nouvelle-Aquitaine. Sur la côte, dans la région de Cayenne et à Kourou ; dans l'Ouest, à Saint-Laurent-du-Maroni et Mana ; sur le fleuve, à Maripasoula, nos déplacements nous ont donné à voir un panorama complet de l'enseignement scolaire, agricole et supérieur en Guyane. Nous avons ainsi pu visiter une dizaine d'établissements - écoles, lycées dont un lycée agricole, internat d'excellence, maison familiale rurale, IUT, école de commerce et de gestion, université de Guyane - et pu rencontrer élus, enseignants, élèves et responsables académiques ainsi que de la chambre de commerce et d'industrie.
Le constat que nous vous présentons ne brille pas par son originalité ; il avait été amplement relayé à l'occasion du mouvement social qui a agité la Guyane l'année dernière, dont il était sans doute une des causes. Ce constat est que la Guyane connaît une situation préoccupante en matière éducative, comparable seulement à celle de Mayotte.
Trois chiffres ont retenu notre attention, car ils donnent une idée des difficultés auxquelles est confrontée la Guyane.
Premièrement, pour un élève de sixième, l'espérance d'obtenir le baccalauréat n'est que de 54,8 %, soit la plus faible de toutes les académies de France, y compris Mayotte.
Dès lors, un tiers des jeunes guyanais sort sans diplôme du système scolaire, alimentant le grand nombre de jeunes sans emploi (le taux de chômage des 15-24 ans s'élève à 44 %) et sans activité.
Enfin, 48 % des jeunes guyanais convoqués à la journée défense et citoyenneté, donc ayant 17 ou 18 ans, ont échoué aux tests de langue française et sont en grande difficulté de lecture. En outre, gardez à l'esprit qu'il ne s'agit ici que des jeunes de nationalité française, soumis au recensement, non des nombreux jeunes de nationalité étrangère !
L'enjeu majeur, à mon sens, est bien celui de la maîtrise de la langue française, d'autant qu'une part très importante de la population n'est pas francophone ; l'éloignement culturel est parfois important. On estime qu'environ la moitié de la population n'aurait pas le français pour langue maternelle, ce qui est considérable. Dans l'Ouest guyanais, à Maripasoula ou à Saint-Laurent-du-Maroni, nous avons vu des écoles, comptant parfois une vingtaine de classes, où pas un enfant ne parle français à la maison ou au quotidien.
Confrontée à cette réalité, l'école peine à s'adapter et à repenser son organisation, ses programmes et ses méthodes. Il en résulte que nombre de ces enfants, qui y arrivent sans parler français et très éloignés de la culture scolaire, sortent du CP et du CE1 sans savoir lire ni écrire. La poursuite de leur scolarité est marquée par l'incapacité du système scolaire à pallier ces difficultés de départ, alors même que l'écart entre ce qui est attendu d'eux et leur niveau réel s'accroît d'année en année. C'est ainsi que l'on retrouve au lycée, et pas de manière exceptionnelle, des jeunes qui ne savent pas lire.
Dire cela n'est pas jeter la pierre aux enseignants. Je souhaite d'ailleurs rendre hommage à leur dévouement, tant les conditions dans lesquelles ils exercent sont difficiles et tant - ils sont les premiers à le dire - la mission qui leur est donnée semble parfois impossible. Et cela parce que la transposition du modèle scolaire de la France métropolitaine en Guyane ne fonctionne pas. Ils sont nombreux à nous avoir confié leur insatisfaction, voire leur détresse, de constater l'écart entre la réalité et les progressions pédagogiques prévues par les programmes.
Pour être juste, il convient de souligner que le système éducatif est en Guyane tributaire de lourdes contraintes, qui ne relèvent pas de lui.
L'immensité du territoire, recouvert à 95 % par la forêt équatoriale, constitue à elle seule une contrainte importante : il est difficile de trouver des enseignants pour exercer dans les lieux les plus reculés, encore davantage de les remplacer ; quant aux élèves, ces derniers se voient souvent infliger dès leur jeune âge de longs trajets en pirogue pour rallier l'école. Couplée à une offre de formation limitée et concentrée sur la région de Cayenne, l'éloignement explique en grande partie le faible taux de poursuites d'études.
La pression démographique, comparable à celle des pays en développement (la population croît de 2,5 % chaque année) den raison d'une natalité élevée et d'une immigration non maîtrisée, est à l'origine d'une forte tension sur les infrastructures scolaires. Les collectivités territoriales ne parviennent tout simplement pas à construire suffisamment d'écoles, de collèges et de lycées à temps. D'autant qu'elles sont soumises à une tension budgétaire considérable : leurs recettes sont particulièrement faibles, compte tenu de l'atonie économique et de la grande pauvreté. Il en résulte une saturation des infrastructures scolaires qui, d'année en année, est de moins en moins tenable. Accueillir tous les élèves en l'âge de l'être est parfois une gageure. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, qui est la commune la plus concernée, l'accueil des élèves de maternelle à la rentrée 2018 était remis en cause, jusqu'à ce qu'un accord avec le rectorat soit trouvé. La commune demande l'expérimentation de la double vacation pour faciliter l'accueil de tous les enfants, ce qui lui a été à ce jour refusé.
La pénurie d'enseignants est le défi principal du système éducatif en Guyane. Les facteurs que j'ai évoqués précédemment participent de la faible attractivité de l'académie, que les majorations salariales pourtant substantielles (un enseignant gagnant 1 700 euros net en métropole en gagnerait 2 600 en Guyane) ne parviennent pas à compenser. La conséquence en est le recours massif aux contractuels, qui concerne particulièrement les territoires les plus éloignés : le collège de Maripasoula compte ainsi 85 % de contractuels parmi son corps d'enseignants, dont 40 % enseignent pour la première fois. Il est plus élevé dans le secondaire, conséquence d'un recrutement des enseignants national et non académique comme dans le premier degré.
On n'améliorera pas les résultats de la Guyane sans les enseignants, et des enseignants formés à la réalité du métier, car enseigner en Guyane n'est pas enseigner en Haute-Savoie. Face à un public non-francophone, issu de cultures particulières, il faut des programmes et des pédagogies différentes, il faut une connaissance des langues et des cultures locales.
Cet effort doit concerner en premier lieu le primaire, où tout se joue. Plus encore qu'en métropole, il est essentiel de donner clairement la priorité au primaire et d'y investir.