Notre délégation a centré ses travaux, depuis le début de cette session, sur les violences faites aux femmes. Ce sujet a été placé au coeur de l'actualité par des affaires judiciaires que chacun a présentes à l'esprit, mais aussi par le mouvement Metoo et la réflexion qu'il a encouragée sur l'ampleur de comportements relevant de violences sexuelles ou du sexisme dans de nombreux pays et dans tous les aspects de la vie des femmes. La délégation lui a donc consacré un rapport d'information, qu'elle a adopté à l'unanimité le 12 juin dernier. Elle a également adopté, le 14 juin, un second rapport d'information, sur le projet de loi qui nous réunit ce matin. Les conclusions de ces deux documents convergent, et certaines de leurs recommandations se traduiront par le dépôt d'amendements au projet de loi par des membres de la délégation.
Ces deux rapports reflètent ce que nous avons appris en auditionnant, de novembre à mars, les associations, les acteurs de la lutte contre les violences, les professionnels de la justice et les victimes. Des membres du groupe de travail de votre commission ont assisté à certaines d'entre elles, de même que nous avons pu suivre les travaux ambitieux de ce groupe, que vous avez mis en place dès le mois d'octobre 2017. D'ailleurs, nos analyses rejoignent largement celles de votre groupe de travail et la proposition de loi qui en a constitué la traduction juridique. Nous partageons en tout cas un même objectif : mieux protéger les enfants des prédateurs sexuels. Nous nous rejoignons aussi sur l'importance cruciale de la prévention en matière de violences.
Aussi notre rapport soutient-il plusieurs articles du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, qui reprennent explicitement des dispositions de votre proposition de loi. Parmi les mesures concernées figurent l'allongement du délai de prescription pour accompagner la libération de la parole des victimes de violences sexuelles ; l'aggravation des peines en cas d'atteinte sexuelle commise sur des mineurs de moins de quinze ans, comme le prévoit la nouvelle rédaction de l'article 227-25 du code pénal, pour que l'atteinte sexuelle soit passible de sept ans d'emprisonnement au lieu de cinq ; les circonstances aggravantes en cas de non-dénonciation de faits de violences sur des mineurs de quinze ans ; l'extension de la surqualification pénale d'inceste aux cas de viol commis sur une personne majeure.
En outre, nous préconisons d'introduire dans le projet de loi des dispositions reprenant des articles de votre proposition de loi. C'est le cas de la reconnaissance de l'amnésie traumatique comme obstacle insurmontable à la mise en oeuvre de l'action publique, introduite sur l'initiative de François-Noël Buffet, et de la demande d'un rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles. J'ai déposé des amendements dans ce sens.
Toujours dans le domaine de la prévention, nous avons constaté une convergence entre la délégation et la commission des lois sur l'application effective, de l'école au lycée, des trois séances annuelles d'éducation à la sexualité prévues par l'article L. 312-16 du code de l'éducation. Il s'agit pour la délégation d'une recommandation récurrente, car tout est dans la prévention, mais celle-ci n'a malheureusement jamais été suivie d'effet. Nous nous réjouissons de notre convergence avec la commission des lois sur ce sujet essentiel pour la prévention des violences faites aux femmes.
L'un de nos amendements revoit justement la rédaction de la section du code de l'éducation dans laquelle s'inscrit l'éducation à la sexualité, aux côtés de thématiques aussi diverses que l'information sur l'égalité entre les hommes et les femmes, la sensibilisation aux réalités de la prostitution, les dangers de l'alcoolisation du foetus, l'apprentissage des gestes de premiers secours et l'information sur les dons d'organe aux fins de greffe. Cet ensemble est devenu, au fil des constructions législatives successives, un peu confus. L'article L. 312-16, relatif à l'éducation à la sexualité, a ainsi été étendu à l'apprentissage des gestes de premiers secours, sans que l'on comprenne quel est le lien entre les deux domaines.
Nous proposons donc une réécriture globale de cette section, qui doit selon nous passer par une fusion de l'éducation à la sexualité et de ce qui relève actuellement des séances d'information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous constatons en effet que les séances d'éducation à la sexualité, quand elles existent, sont centrées sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles (MST) et des grossesses non désirées, ce qui est certes important, mais ne permet pas de contrer l'influence de la pornographie sur nos enfants. Là encore, nous avons constaté avec satisfaction que nos constats sur la pornographie, que nous formulons en vain depuis 2014, rejoignent les conclusions de votre groupe de travail. Nous ne devons pas accepter que la pornographie fasse l'éducation sexuelle de nos enfants. C'est un véritable enjeu de société. Dans cette logique, nous sommes convaincus que, pour jouer son rôle, l'éducation à la sexualité doit intégrer la dimension de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Un autre de nos amendements concerne l'agissement sexiste, que nous préférons à l'outrage sexiste prévu par l'article 4 du projet de loi. L'agissement sexiste existe dans le code du travail. Notre souhait est que, comme pour le harcèlement sexuel, il y ait une cohérence entre les deux codes à l'égard de comportements qui existent dans la vie professionnelle, mais ne s'y limitent pas. L'idée de ce délit autonome, qui serait dérivé de l'agissement sexiste, a été inspirée par un constat effectué dans le cadre de notre rapport d'information sur le thème « Femmes et laïcité ». Il s'agissait de femmes qui subissent des gestes tels que le refus de leur serrer la main ou la récusation de leur autorité. Il nous a semblé que l'injure et la discrimination n'étaient pas adaptées à ces gestes qui constituent de graves atteintes à la dignité des femmes, et qui menacent nos valeurs d'égalité et de mixité. Ce délit nous paraît mériter mieux que les contraventions prévues par l'article 4 du projet de loi.
Un autre amendement vise à combler une lacune de notre législation à l'article du code de la sécurité intérieure qui permet la dissolution des associations et groupements de fait.
La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion d'une personne permet d'ores et déjà de dissoudre une association qui diffuserait de tels messages. Or l'appel à la haine, à la discrimination ou à la violence à raison du sexe ne figure pas dans cet article.
Une extension de ce type a déjà eu lieu concernant l'injure. Compte tenu de la gravité des messages haineux contre les femmes qui se développent sur les réseaux sociaux ou certaines plateformes numériques, il nous a paru utile de modifier cette disposition législative, car le monde associatif n'est pas à l'abri de telles dérives.
Enfin, la délégation soutient plusieurs mesures introduites dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, qui répondent à des préoccupations que nous avions exprimées dans le rapport d'information intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société. Il s'agit de la disposition introduite à l'article 2, qui modifie la définition du viol prévue par le code pénal, pour permettre de réprimer comme un viol des actes dans lesquels la pénétration est commise non pas seulement « sur » la personne d'autrui, mais aussi « avec » celle-ci, comme dans le cas de fellations imposées ; de la disposition introduite à l'article 3, qui complète les circonstances aggravantes associées aux délits de harcèlement sexuel et moral, pour y intégrer l'utilisation de moyens de communication électronique ; de l'article 3 bis, qui crée de nouvelles circonstances aggravantes en cas de violences commises au sein des couples dits non-cohabitants, en cas de violences commises en présence d'enfants et lorsque le harcèlement sexuel est imputable à un ascendant ou à une personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime, ou bien s'il est dû au conjoint ou au partenaire de celle-ci.
Nous sommes également favorables aux articles 2 bis A et 2 bis B, qui proposent des mesures en vue de renforcer la prévention des violences faites aux femmes handicapées, qui est un sujet de préoccupation important pour la délégation. La délégation souhaite donc que ces dispositions soient conservées dans le projet de loi qui sera voté par le Sénat.