Je remercie le président de la commission des lois. Mme Gourault a effectivement pleine capacité à représenter le ministère de l’intérieur.
Comme vous le savez, je me suis rendu hier à Berlin avec le président de la République en un moment particulièrement difficile.
Pendant très longtemps, on a cru que l’Union européenne pouvait se démanteler à cause de problèmes économiques. Or on constate aujourd’hui que, ce qui peut la remettre en cause, ce sont les problèmes migratoires. Notre débat d’aujourd’hui prend donc un sens tout particulier.
Si nous étions à Berlin hier, c’était à la fois pour faire avancer l’Europe du point de vue économique, puisque nous avons envisagé la possibilité de constituer un « noyau dur » – nous avons d’ailleurs passé un accord pour un budget de la zone euro –, mais aussi pour parler des problèmes migratoires, qui touchent toute l’Europe, et donc notamment, comme vous l’avez vu, l’Allemagne, où les débats sont extrêmement vifs.
Vous m’excuserez d’être long en ce début de débat, mais les problèmes sont importants et méritent d’être resitués dans leur contexte.
Depuis 2015, les choses ont profondément changé de nature. Au départ, nous avons eu un flux migratoire provenant du front irako-syrien. Nous avons dû gérer un nombre tout à fait extraordinaire de personnes venant se réfugier en Europe. En 2015, nous avons atteint le chiffre de 1, 8 million de réfugiés. En 2017, la situation s’est améliorée. Nous en sommes à 205 000 entrées irrégulières dans l’Union européenne, loin du chiffre que nous connaissions à l’époque et qui a commencé à créer les difficultés que nous avons.
Sur les cinq premiers mois de 2018, les entrées irrégulières en Europe ont encore baissé de 46 %. En revanche, dans notre pays, la demande d’asile a continué à augmenter, alors même que les flux globaux dans les pays européens ont diminué. L’an dernier, nous en étions à 100 000 personnes, chiffre en augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente.
Lorsque l’on examine ce qui a permis au niveau européen de faire baisser les flux migratoires, on s’aperçoit que ce sont d’abord les accords que nous avons su passer avec un certain nombre de pays.
Je pense ainsi à l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie. Grâce à cela, les flux se sont totalement réduits, même si nous enregistrons aujourd’hui une certaine reprise sur la route orientale. Quoi qu’il en soit, sur les cinq premiers mois de l’année, 20 000 personnes sont entrées en Europe par la Grèce continentale et par les Balkans, loin des phénomènes de grande ampleur que nous avons pu connaître.
La Turquie doit elle-même gérer un nombre de réfugiés important puisque, comme vous le savez peut-être, ce pays compte aujourd’hui 3, 5 millions de réfugiés, ce qui lui pose des difficultés importantes.
Bref, le dialogue que nous pouvons avoir avec ce pays est extrêmement important.
Une deuxième route d’entrée passait par le désert, avec toutes les tragédies que cela a pu causer. Nous avons été confrontés à des flux venant soit de la Corne de l’Afrique, d’Érythrée ou d’Éthiopie, soit de l’Afrique occidentale, se retrouvant à Agadez. Un certain nombre de migrants ont fait la traversée du désert, où beaucoup ont péri, pour arriver en Libye afin d’essayer de passer la Méditerranée – nombre d’entre eux y ont laissé la vie.
Ce phénomène existe moins aujourd’hui – je vous en dirai davantage au regard des événements récents – pour deux raisons fondamentales.
Première raison, là encore, un accord a été passé avec le Niger, pays qui joue un rôle tout à fait important.
Le Président Mahamadou Issoufou et le gouvernement nigérien ont décidé, bien qu’il leur en coûte, de fermer la route d’Agadez. Là où il y avait 300 000 passages à travers le Sahara, il n’y en a plus aujourd’hui qu’environ 20 000, peut-être moins.
L’accord gagnant-gagnant passé entre le Niger et l’Union européenne, en particulier la France, était donc tout à fait fondamental.
Par ailleurs, le précédent ministre italien de l’intérieur, Marco Minniti, a fait en sorte que cessent le mouvement des passeurs en Libye et ces passages de canots pneumatiques, parfois très petits, surchargés – vous en avez tous les images en mémoire –, qui s’élançaient à travers la Méditerranée et se retrouvaient quelquefois en détresse. Il arrivait aussi que les passeurs enlèvent le moteur de ces canots, montent dans une autre embarcation et laissent les personnes qu’ils avaient embarquées partir à la dérive, avant qu’elles ne soient secourues par des bateaux.
Marco Minniti a mené une action visant à équiper les garde-côtes italiens et à passer un code de bonne conduite avec l’ensemble des ONG concernées. Le mouvement s’est donc arrêté.
Environ quinze jours après ma prise de fonctions comme ministre de l’intérieur, lors d’une réunion à laquelle je participais avec l’ex-ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière et le commissaire européen aux migrations, Dimitris Avramópoulos, Marco Minniti disait que son pays dirigerait la moitié des embarcations vers les côtes françaises. Après en avoir discuté, nous avons convenu que ce n’était pas la solution et que, pour faire cesser ces mouvements, nous devions travailler avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et établir avec eux des rapports gagnant-gagnant.
Si nous avons rencontré ce problème avec le navire Aquarius, peut-être est-ce dû au fait que l’actuel gouvernement italien n’a plus la même capacité à travailler avec la Libye. L’une des actions menées par le Président de la République vise justement à ce que soit reconstitué un État de droit dans ce pays, afin que nous puissions passer des accords gagnant-gagnant avec le gouvernement libyen.
L’Union européenne contribue à encourager le développement économique dans ces pays. C’est la thèse que la France a soutenue hier : nous faisons en sorte de sécuriser les frontières, de mettre fin au terrorisme, au trafic des êtres humains, lequel est souvent lié à des trafics de drogue et d’armes – il a aussi quelquefois des connexions avec le terrorisme – et de permettre à l’Afrique de se développer. Telle est la politique que nous portons.
Il faut examiner ce projet de loi, non pas seulement en traitant de chacun de ses articles, mais aussi en ayant en tête ce contexte international large. L’Afrique n’est pas seule concernée. Certains pays, comme l’Albanie et la Géorgie, dont les ressortissants avaient été dispensés de demander un visa pour venir en France, ont vu exploser les demandes d’asile. Nous avons discuté avec les autorités albanaises, qui ont proposé de nous aider à diminuer le nombre d’entrées de leurs ressortissants sur notre territoire et se sont engagées à en reprendre un certain nombre, en disant qu’elles voulaient poursuivre leur marche en avant.
Je rencontrerai la semaine prochaine le ministre de l’intérieur de Géorgie, car il y a une explosion des demandes d’asile émanant de ressortissants géorgiens. Ce n’est bon ni pour ce pays ni pour nous-mêmes.
Après le contexte international, j’en viens au contexte européen. Nous devons nous efforcer, sur tous les points, d’avoir des législations convergentes. Lorsque les distorsions de droits sont extraordinairement importantes, cela engendre des difficultés dans l’ensemble des pays concernés.
Pour notre part, nous devons porter une politique, illustrée par le texte qui est soumis à votre examen, qui ne soit pas fermée. Nous ne sommes pas de ces pays qui ont décidé qu’ils n’accueilleraient plus jamais personne. Mais nous devons absolument faire la distinction entre les réfugiés, qui sont menacés et auxquels il convient de donner refuge au titre de la convention de Genève, et les migrants économiques.
L’Afrique verra sa population passer de 1, 2 milliard à 2 milliards d’ici à 2050. Penser que ces 2 milliards de personnes pourraient venir ici est totalement illusoire. Si tel était le cas, cela déstabiliserait nos pays. Nous devons trouver ensemble une voie équilibrée ; c’est ce que je vous proposerai tout au long de ce débat.