Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le rapporteur a rappelé à l’instant les conditions dans lesquelles la commission paritaire avait pu aboutir à un accord.
Je tiens à mon tour à saluer la manière dont, sur un sujet difficile et complexe, vous avez su trouver des voies de passage et inventer des équilibres subtils dans un cadre européen très contraint.
Vous avez aussi su répondre aux interrogations, nombreuses, qui se sont fait jour dans les médias et l’opinion sur ce texte. Ces questions étaient légitimes ; aucune n’a été laissée de côté, et des réponses très concrètes leur sont apportées par ce texte. Tel est le rôle du Parlement ; je crois que nous ne pouvons qu’être collectivement satisfaits de la manière dont cette proposition de loi a cheminé entre les assemblées.
Au terme de ces échanges entre l’Assemblée nationale et le Sénat, un accord a donc été trouvé.
J’en remercie tout particulièrement votre rapporteur, M. Christophe-André Frassa, qui a œuvré en ce sens, trouvant les voies d’un dialogue extrêmement fructueux avec son homologue député Raphaël Gauvain, dont je veux saluer ici l’implication et le sens de l’écoute.
À l’issue d’un premier examen de la proposition de loi par les deux chambres, certains sujets faisaient encore débat. Vous avez rappelé quelques-uns d’entre eux, monsieur le rapporteur.
Le premier de ces sujets était l’adoption d’une définition à la fois précise et respectueuse de nos engagements européens de la notion de « secret des affaires ». La rédaction adoptée par la commission mixte paritaire garantit ce respect.
Les termes employés, qui sont ceux de la directive, ne donneront pas lieu à d’inutiles polémiques sur le champ de la protection accordée au secret des affaires. Il est bien clair, désormais, que toutes les données de nature économique détenues par une entreprise ne peuvent être qualifiées de « secret des affaires ». Seules le seront celles qui font l’objet de mesures raisonnables de protection et qui revêtent une valeur commerciale, effective ou potentielle, pour leur détenteur. Ce dernier devra en rapporter la preuve.
Un second point était en discussion : l’introduction d’une nouvelle sanction pénale pour « détournement d’une information économique protégée ». Le Gouvernement n’y était pas favorable. J’avais eu l’occasion de l’indiquer ici même et nous en avions débattu. La transposition de la directive ne l’imposait pas, le législateur européen ayant fait le choix, clairement assumé, d’un dispositif uniquement civil. Nous avions également une divergence d’appréciation sur la définition de ce délit et sa précision.
Pour autant, les préoccupations exprimées étaient justes : nos entreprises doivent disposer des moyens de se défendre contre l’espionnage industriel, dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée, qualifiée de « guerre économique » par votre rapporteur.
C’est pourquoi un travail commun entre les deux chambres va se poursuivre sur ce sujet sensible, important, et d’une évidente actualité. Le Gouvernement a décidé de confier à MM. Frassa et Gauvain une mission afin que soient analysées les mesures juridiques de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives de portée extraterritoriale.
Dans ce cadre, on pourra notamment évaluer l’intérêt d’une réforme de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage », relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
Enfin – dernier sujet d’importance –, il était selon moi particulièrement opportun que la commission mixte paritaire maintienne la disposition sur l’amende civile introduite par le député Raphaël Gauvain, afin de répondre aux vives préoccupations exprimées quant au risque de « procédures bâillons ».
J’avais bien entendu les interrogations de votre rapporteur sur la pertinence et même la constitutionnalité de ce dispositif. Nous en avions débattu dans cet hémicycle. Mais rappelons simplement que cette mesure a pour objet de prévenir et, le cas échéant, de sanctionner des procédures abusives qui, en la matière, peuvent porter une atteinte particulièrement forte à l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression. Je suis convaincue que cette disposition constituera un outil efficace et équilibré de préservation et de protection des droits fondamentaux, à l’occasion des actions conduites aux fins de prévention, de cessation ou de réparation d’une atteinte à un secret des affaires.
Les journalistes et lanceurs d’alerte ne peuvent pas et ne doivent pas faire l’objet de poursuites judiciaires exclusivement fondées sur une volonté d’intimidation.
L’objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi n’est certainement pas, comme j’ai pu l’entendre et le lire, de restreindre la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte ou de porter atteinte à la liberté de la presse. Ce texte n’a nullement pour objet de rendre impossible le journalisme d’investigation, ni pour effet d’empêcher la révélation au grand public de faits légalement ou moralement condamnables. Toutes ces situations sont expressément prévues par ce texte et font l’objet de dérogations explicites.
Je l’ai déjà dit, et je le redis ici avec la même force et la même conviction : le texte qui vous est présenté ne constitue en aucune manière un recul pour les libertés publiques. L’enjeu est bien de protéger les entreprises contre le pillage de leurs innovations. Il est aussi de lutter contre la concurrence déloyale. Il consiste encore à encourager la recherche et le développement, sources de nombreux emplois.
Pour cela, les acteurs économiques ont à l’évidence besoin de sécurité juridique. C’est le seul objectif de cette proposition de loi : définir les informations qui relèvent du secret des affaires et encadrer les demandes formées devant le juge pour la protection de ce secret.
Cette protection du secret des affaires n’est en revanche, à l’évidence, pas absolue ; l’intérêt particulier d’une entreprise à conserver secrètes certaines informations cédera toujours face à la nécessité de préserver l’intérêt général et les droits fondamentaux. Les juridictions y veilleront.
Ainsi, une entreprise ne pourra pas se prévaloir d’un secret des affaires pour s’opposer aux enquêtes judiciaires ou administratives dont elle ferait l’objet.
Elle ne pourra pas davantage s’opposer à la révélation d’un secret des affaires lorsque cette révélation est nécessaire pour l’exercice d’un droit syndical.
Elle ne pourra pas non plus obtenir du juge qu’il empêche la diffusion au grand public d’une information d’intérêt général au motif que cette information constituerait un secret des affaires.
Elle ne pourra pas, enfin, obtenir des dommages et intérêts d’un salarié qui, de bonne foi et dans un but d’intérêt général, a porté à la connaissance d’un journaliste une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible.
En cas de révélation d’un secret des affaires, journalistes et lanceurs d’alerte pourront toujours se prévaloir d’avoir agi dans le cadre de l’exercice légitime de leur liberté d’expression et d’information.
Ces principes sont très clairement et très heureusement énoncés dans la présente proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd’hui soumis, fruit de réflexions approfondies menées depuis plusieurs années, constitue selon moi une réelle avancée de notre système juridique. Cette amélioration a été construite sans que soit portée pour autant une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux et au cadre juridique protecteur des lanceurs d’alerte.
Protéger le secret des affaires est devenu une nécessité. Garantir la liberté d’expression et de communication, condition de la démocratie, demeure une exigence impérative.
Je vous remercie donc, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le travail accompli collectivement à la recherche de cet équilibre subtil.