Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 21 juin 2018 à 10h30
Protection du secret des affaires — Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous allons adopter est une réponse juridique à la nécessité de protéger l’intelligence économique européenne. Je dirais volontiers qu’il comporte deux volets : le premier, de défense externe ; le second, de défense interne, entendue comme une défense interne à l’Union européenne qui passe par la clarté et la cohérence et donc l’harmonisation avec nos voisins européens.

Le volet de défense externe a été présent dans les interventions de Mme la ministre et de M. le rapporteur. Il y a quelques mois ou quelques années, nous n’aurions probablement pas abordé cet aspect du problème. C’est pourtant un sujet extrêmement actuel, du fait des malheurs du multilatéralisme et de l’évolution des comportements internationaux, en particulier outre-Atlantique, évolution qui nous pose des problèmes particuliers.

À mon sens, il faut mettre ce texte en perspective par rapport au travail que nous devons accomplir collectivement pour préserver nos entreprises de dispositifs de sanctions économiques – je pense au retrait des États-Unis de l’accord préliminaire de Genève sur le programme nucléaire iranien –, mais aussi, dans un cadre plus général, pour rendre plus aisée la relation entre le droit anglo-saxon et nos droits continentaux.

Je vois donc dans ce texte une étape. Il faudra en franchir une autre, autrement plus compliquée, en matière d’extraterritorialité. Vous avez fait référence, madame la ministre, à la mission confiée à nos collègues sur ce sujet, ce dont je les félicite. Pour tout vous dire, madame la ministre, ce sujet n’est pas inconnu de cette maison : la commission des affaires européennes avait fait le choix, il y a quelques mois, de travailler sur cette question, et nous présenterons dans quelques jours nos propositions.

Je ne vous cacherai pourtant pas que le sujet est complexe ; plus exactement, le caractère opérationnel des mesures que nous pourrions proposer n’est pas aisé à assurer, tant la loi de blocage de 1968 est faible. Cette loi n’a été appliquée qu’une seule fois, et la Cour suprême des États-Unis l’a écartée d’un revers de la main. Quant au règlement européen du 22 novembre 1996, que la Commission européenne essaie actuellement de réactiver, il a objectivement ses faiblesses. Du moins son article 5 a-t-il l’avantage d’empêcher, sur un domaine qui est de votre responsabilité, madame la ministre, que puissent être « exéquaturées » des condamnations prononcées aux États-Unis à l’égard d’entreprises françaises. C’est grâce à cet article qu’est entrée dans l’ordre public français l’idée que l’application de sanctions unilatérales ne peut entraîner de condamnations sur notre territoire.

Certes, ces réflexions relèvent d’un autre débat, mais la mise en perspective est, je le répète, nécessaire sur une question très actuelle. Je pense aussi aux discussions qui ont eu lieu dans cet hémicycle au sujet du RGPD, le règlement général européen sur la protection des données personnelles : tous ces éléments s’inscrivent dans cette relation entre le monde européen et le monde anglo-saxon.

J’en viens à l’aspect de défense interne de ce texte, c’est-à-dire au volet « harmonisation », qui a bien sûr été au cœur de la démarche ayant mené à cette proposition de loi.

Cette harmonisation prend du temps. En l’espèce, pour le sujet dont nous sommes saisis, il aura fallu huit ans. C’est en effet en 2010 et 2011 que la Commission européenne a commencé ses études préparatoires à la directive. Son objectif était d’emblée très clair : protéger les actifs immatériels des entreprises. Les consultations publiques ont eu lieu en 2012 et le Parlement européen a commencé l’examen de la directive en 2014 ; du fait de son renouvellement cette année-là, il n’a adopté ces dispositions qu’en 2015. La directive n’a donc pu être finalement adoptée que le 8 juin 2016 ; c’est de sa transposition que nous sommes aujourd’hui saisis.

Chacun peut porter son appréciation sur ce délai de huit ans, mais le mode de construction législative de l’Union européenne a du moins l’avantage d’être résilient dans la durée. Au-delà, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le travail qui a été réalisé en amont sur cette question par notre commission des affaires européennes.

Notre commission s’était en effet saisie de ce sujet dès 2013 ou 2014. Elle a donc suivi les étapes de l’adoption de cette directive, ce qui nous a permis, quand ce texte de transposition a été présenté à notre assemblée, d’être prêts à vous présenter une proposition, que notre commission avait d’ailleurs adoptée à l’unanimité.

Je voudrais insister sur ce point, mes chers collègues, quelles que soient les commissions auxquelles vous appartenez : on peut relever une réticence des commissions permanentes de notre maison à voir intervenir en amont la commission des affaires européennes. Nous avons intégré sur ce point à notre règlement une procédure dite « expérimentale ». Mes chers collègues, ne vous privez pas de ce soutien, de cet appui au travail des commissions saisies au fond !

Pour ceux d’entre nous qui, depuis le début de cette semaine, suivent dans notre hémicycle l’examen du projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration, avouez que ce débat manque cruellement d’un recul européen ! Si notre commission des affaires européennes avait pu accomplir, sur ce texte aussi, son travail d’intégration, de comparaison – je n’ose plus parler de « benchmarking », car le mot est devenu politiquement incorrect dans ce domaine – et d’analyse des systèmes juridiques des États de l’Union européenne, peut-être nos débats auraient-ils été plus aisés et plus dépassionnés. Ce serait possible, si vous vouliez bien accepter que, dans l’avenir, nous évoluions à cet égard.

Pour revenir à cette transposition, mes chers collègues, madame la ministre, elle est de bonne facture, minimale et rigoureuse.

Le groupe Union centriste avait abordé cette discussion avec deux idées en tête.

Nous voulions, en premier lieu, essayer de limiter la créativité législative. Cela impliquait notamment de ne pas introduite nous-mêmes d’éléments de surtransposition. Cela explique notre réserve sur la proposition de M. le rapporteur de renforcer le dispositif pénal dans ce domaine : il existe déjà tant d’incriminations que nous ne percevions pas le besoin d’en créer une supplémentaire.

Notre seconde préoccupation était celle de l’équilibre, qui a été largement évoquée par Mme la ministre et par M. le rapporteur. Nous devions bien sûr, à côté de la protection du secret des affaires, préserver la liberté d’expression et d’information. Cette question concernait les journalistes et les lanceurs d’alertes, mais également, ce que je n’avais pas personnellement tout à fait en tête au début de l’examen de ce texte, les représentants des salariés. Les dispositions dont nous avons débattu se sont en quelque sorte télescopées avec celles qui, dans le code du travail, concernent les comités d’entreprise.

Enfin, la commission mixte paritaire a maintenu dans le texte l’amende en cas d’action abusive. Il s’agit, pour reprendre les termes et le raisonnement de nos collègues députés, de réduire le risque des « procédures bâillons ». L’accord intervenu sur ce point en commission mixte paritaire nous semble de bon aloi ; je voudrais donc, à cet égard, remercier les auteurs de cet accord et, en premier lieu, notre rapporteur, M. Frassa.

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