Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 21 juin 2018 à 10h30
Protection du secret des affaires — Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi transposant la directive sur la protection du secret des affaires intervient alors que le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis, le Canada et l’Europe, paraît s’intensifier. Les pratiques d’espionnage économique visant les entreprises françaises et européennes, qui s’ajoutent aux vulnérabilités nouvelles liées aux cyberattaques, sont plus que jamais une réalité.

Pendant longtemps, les pays européens ont manqué d’un cadre juridique réellement protecteur pour leurs entreprises.

Alors que les États-Unis disposent depuis la fin des années 1990 d’un puissant arsenal de lutte contre les atteintes au secret des affaires, avec en particulier la loi Clinger-Cohen de 1996, ce n’est qu’en 2016 que les dirigeants européens ont adopté la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées – soit le secret des affaires –, qui enjoint, pour la première fois, l’ensemble des États membres à instaurer un régime général de protection des secrets d’affaires et qui rend ceux-ci opposables lors de procédures contentieuses. Jusqu’alors, toutes les tentatives d’instaurer un tel régime général en France avaient échoué.

D’après la définition générale, un secret d’affaires est une information ayant une valeur marchande, considérée comme confidentielle par l’entreprise et qui lui donne un avantage compétitif dans son secteur.

La numérisation de l’économie rend la protection des secrets d’affaires encore plus cruciale. D’après une étude publiée l’an dernier dans la revue i2D, la France est le neuvième pays au monde le plus attaqué par les cybercriminels.

Toutefois, la culture de sécurité informatique y reste étonnamment peu développée. Tout se passe comme si les usagers s’en remettaient à la solidité supposée du « système » sans imaginer que leurs outils informatiques puissent faire l’objet de piratage et que leurs données personnelles ou des informations confidentielles de leur entreprise puissent être divulguées à leur insu.

Néanmoins, la révélation, ces dernières années, de plusieurs scandales, comme celui du Mediator, ou des affaires LuxLeaks et « Panama Papers », a sensibilisé le public à ce sujet et a engendré une grande défiance à l’égard des acteurs économiques et de la mondialisation.

La mobilisation impressionnante des organisations non gouvernementales, des organes de presse ou des lanceurs d’alerte lors de l’examen de ce texte en témoigne. Malgré les délais d’examen très courts et les marges de manœuvre limitées du législateur, la directive sur le secret des affaires continue de susciter des craintes et des oppositions, parfois excessives.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire apparaît plutôt équilibré, dans la mesure où il effectue une transposition assez stricte du contenu de la directive, en particulier en ce qui concerne la définition du concept même de secret des affaires. Du point de vue du Sénat, il est même plus équilibré qu’en première lecture, puisqu’il rétablit, notamment, l’amende civile en cas de procédure dilatoire ou abusive.

Par ailleurs, la pénalisation de l’espionnage économique, qui a suscité de vifs débats en première lecture et dont mon groupe avait demandé la suppression, n’a pas été retenue dans la version finale, car ce type d’infraction est déjà couvert par la législation sur le vol et l’abus de confiance.

Enfin, la notion de valeur commerciale effective ou potentielle de l’information protégée a été préférée à celle de valeur économique, dont l’acception paraissait trop floue.

On peut encore s’interroger sur la longueur du délai de prescription – cinq ans – en matière de violation du secret des affaires, mais, globalement, ce texte offre un cadre raisonnable et conforme à nos responsabilités de législateur, dans la mesure où il s’agit, je le rappelle, d’un texte de transposition.

Comme l’avait souligné notre collègue Jean-Marc Gabouty lors de la première lecture, cette transposition constitue bien une nouveauté juridique, puisque le droit français ne définissait pas jusqu’à présent le secret des affaires, même s’il y faisait souvent référence.

La protection du secret des affaires est en revanche un principe inscrit depuis longtemps dans le droit anglo-saxon, aux côtés de la législation sur les marques et les brevets. Aux États-Unis, depuis une décision de la Cour suprême de 1974, elle relève de la compétence des États fédérés. On peut même lui trouver des origines dans le droit romain, avec l’actio servi corrupti, qui concernait les relations entre le maître et le serviteur.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de mieux protéger les entreprises européennes et françaises face à des pratiques déloyales, comme on en a connu par le passé, par exemple la conception du Tupolev soviétique, tellement copié sur le Concorde qu’on le surnommait « Concordski »

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