Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi est un texte de défense de nos entreprises, donc de l’emploi de leurs salariés.
Elle part d’un constat de bon sens : nous devons défendre les entreprises françaises contre l’espionnage industriel, je dirais même parfois le pillage de certaines de nos industries, qui s’est développé tout spécialement ces dernières années dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée entre les acteurs économiques.
Il s’agit non pas d’un risque abstrait et futur, mais d’une réalité dont nous subissons les effets chaque jour. Ces pratiques contribuent à l’érosion de nos avantages compétitifs, à la perte de notre savoir-faire, au rachat de nos firmes et, finalement, à la perte d’emplois.
Pendant ce temps, les pays qui sont les principaux partenaires économiques de l’Europe sont aussi souvent les premiers à prendre des mesures, afin de protéger leur savoir-faire commercial. La France était à la traîne. L’arsenal législatif européen et français n’est plus adapté à ces réalités. Il n’offrait pas même une définition unifiée du concept de secret des affaires, et cela a rendu notre économie vulnérable. Cette proposition de loi est donc bienvenue.
Nos entreprises attendaient cette protection depuis plusieurs années. Le débat est ancien. Plusieurs tentatives ont eu lieu sous les gouvernements précédents, quelles que soient les majorités de gauche et de droite. Toutes ont échoué jusqu’au moment où la France a porté ce débat au niveau européen.
La directive européenne que cette proposition de loi transpose a été en effet présentée sur l’initiative de la France par M. Cazeneuve, alors ministre délégué aux affaires européennes. La directive a été adoptée le 8 juin 2016 et votée par près de 80 % des parlementaires français au Parlement européen.
Après de longs débats détaillés et approfondis, on doit se féliciter que le texte qui nous est présenté ait recueilli un très large accord sur l’essentiel.
Protéger le savoir-faire de nos entreprises sans pour autant sacrifier la liberté de la presse : à première vue, ces objectifs peuvent paraître totalement contradictoires et opposés. Les équilibres à trouver sont « subtils », pour reprendre l’adjectif que vous avez employé, madame la garde des sceaux, et, avez-vous ajouté, ils doivent être définis « dans un cadre européen très contraint », qui suscite des inquiétudes et des interrogations.
En réalité, les deux objectifs de défense des entreprises et de protection des journalistes et des lanceurs d’alerte m’apparaissent non pas concurrents, mais complémentaires. Il faut remercier les deux rapporteurs des commissions compétentes, particulièrement notre collègue Christophe-André Frassa, d’avoir su trouver un bon terrain d’entente.
Le texte adopte une définition claire du secret des affaires, jusqu’alors fondé sur le droit commun de la responsabilité civile et la jurisprudence. Cela facilitera la tâche des entreprises et des juges. Il retient des critères cumulatifs particulièrement stricts, dans les termes de la directive.
Il y avait débat sur la nature des informations protégées : fallait-il prendre en compte la valeur économique ou la valeur commerciale ? Toutes les données de nature économique détenues par une entreprise ne relèveront pas du secret des affaires. Seules le pourront celles qui font l’objet de mesures raisonnables de protection et qui revêtent une valeur commerciale effective ou potentielle pour son détenteur, lequel devra en apporter la preuve.
Le texte apporte des garanties de procédure qui ont été renforcées durant les débats. Le dispositif a ainsi été étendu à l’ensemble des procédures devant les juridictions civiles, commerciales et administratives.
Le Sénat avait souhaité créer une infraction spécifique sanctionnant l’atteinte au secret des affaires et l’espionnage économique. Nos collègues de l’Assemblée nationale penchaient plutôt le recours au droit commun – vol, recel, abus de confiance, intrusion dans un système informatique – ces qualifications leur paraissant suffisantes pour engager des poursuites.
Sur ce point, je partage entièrement l’opinion de notre rapporteur : nous sommes dans une guerre économique ; un volet civil ne suffit pas, il faut un volet pénal.
Faute de temps, nous n’avons pu procéder à toutes les consultations que nous aurions souhaité mener. Lors des travaux de la commission mixte paritaire, le président Philippe Bas a obtenu l’engagement de son homologue à l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, sur la poursuite de nos travaux sur cette question.
Certains médias ont dénoncé ce texte comme instaurant une nouvelle forme de censure de la presse, pourtant abolie par la loi du 29 juillet 1881. Tel n’est pas le cas. Le texte comporte à ce sujet des garanties très claires et précises, sous le contrôle du juge. Le secret des affaires garanti par cette loi n’est pas absolu ; il est strictement encadré.
Une entreprise ne pourra évidemment s’en prévaloir pour s’opposer aux enquêtes judiciaires ou administratives. Elle ne pourra pas davantage s’opposer à la révélation d’un secret des affaires, lorsque cette révélation est nécessaire pour l’exercice du droit syndical. Elle ne pourra pas obtenir de dommages et intérêts contre un salarié qui, de bonne foi et dans un but d’intérêt général, a porté à la connaissance d’un journaliste une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible.
En cas de révélation d’un secret des affaires, journalistes comme lanceurs d’alerte pourront toujours se prévaloir d’avoir agi dans le cadre de l’exercice légitime de leur liberté d’expression et d’information. Ces principes sont très clairement énoncés dans le texte qui vous est soumis.
Le champ de la protection a d’ailleurs été élargi par la commission mixte paritaire par le rétablissement de la procédure d’amende civile, afin de répondre au risque de ce que l’on a appelé les « procédures bâillons ». Je persiste à penser, avec M. le rapporteur, que cette procédure n’était pas indispensable et qu’elle présente des risques d’inconstitutionnalité, que la décision du Conseil constitutionnel du 23 mars 2017 a mis à jour.
À l’Assemblée nationale, vous avez annoncé, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement avait décidé de confier à M. le député Gauvain et à M. le sénateur Frassa, rapporteur de la proposition de loi, une mission d’analyse des mesures de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives de portée extraterritoriale. Vous avez évoqué, notamment, la loi de blocage de 1968.
Je profite de ce débat pour vous demander si le Gouvernement entend prendre des initiatives à ce sujet au niveau européen. Alors que se met en place une guerre commerciale venant d’outre-Atlantique, l’Europe est-elle prête à réagir ?
En conclusion, je voterai ce texte, avec les autres membres de mon groupe.