Intervention de Marie Mercier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 31 mai 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie Mercier sur les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

La commission des lois s'est saisie des deux récentes affaires de Melun et de Pontoise que vous évoquiez, Madame la présidente. Pour nous, sénateurs, l'objectif n'est pas de réagir aux médias, mais à ce que ressent l'opinion publique face aux médias. La nuance est importante. Le président de la commission des lois m'a demandé de piloter un groupe de travail transpartisan, en y associant la délégation aux droits des femmes. Je remercie Laurence Rossignol qui m'a beaucoup aidée dans ce travail.

Pourquoi ai-je été nommée rapporteur du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ? Je ne suis pas spécialiste du droit et assez hermétique au fonctionnement de la justice ; je donnerai donc une « photographie » globale du sujet. En tant que médecin, j'ai une vision humaine de ce qui se passe réellement. Dans l'acupuncture, technique que j'ai apprise, le yin et le yang sont toujours imbriqués. C'est le clair-obscur de la réalité, un mélange que nous devons accepter, avec une certaine souplesse. Même lorsqu'on côtoie le pire - et ce travail nous a profondément marqués car nous y avons régulièrement approché le pire - il y a toujours quelque chose qui relève du bon. Je me doutais que ce chemin serait bordé d'épines, mais je ne savais pas qu'il nous toucherait autant. Nous avons reçu 400 témoignages sur l'espace participatif. Je mettais une heure et demie à en lire quatre, et un collègue m'a avoué ne pas pouvoir en supporter la lecture, car cela a dépassé parfois l'entendement... Laurence Rossignol m'avait prévenue.

Nous avons dressé un constat accablant de l'ampleur du phénomène, après avoir entendu des policiers, des médecins et des associations de victimes. Certes, la loi permet d'ores et déjà de réagir, mais elle est mal appliquée. L'article 227-25 du code pénal, qui existe depuis longtemps, réprime les atteintes sexuelles d'un majeur sur un mineur de 15 ans, mais il ne semble pas assez protecteur, notamment aux yeux des associations.

Comme un médecin, j'ai observé et recueilli les témoignages, j'ai réfléchi et proposé des solutions, dont ma proposition de loi. Mon rapport est un mode d'emploi pédagogique, pour tout citoyen. La stratégie globale de protection des mineurs doit prendre en compte tous les aspects du sujet. Dans le cadre de ces travaux, j'ai été interviewée par une radio russe qui voulait me faire dire que la France ne protégeait pas assez ses mineurs... Soyons vigilants ! La France s'occupe réellement de ses mineurs et a une politique louable de protection.

Mon rapport s'articule autour de quatre axes : prévenir les violences sexuelles - la prévention est le plus important, comme en médecine - ; favoriser la libération de la parole, le plus tôt possible, avec un allongement du délai de prescription pour que la victime soit entendue ; améliorer la répression pénale et disjoindre le procès pénal de la prise en charge psychologique.

La prévention est notre axe majeur, qui suscite beaucoup d'intérêt. Je suis intervenue dans les dix-neuf communautés de communes de mon département, et j'ai beaucoup appris de ces échanges avec les élus, qui s'imaginaient qu'en pleine Bresse, dans le Charolais, cet isolement protégeait de facto. Ce n'est pas vrai : il y a des attaques dans les collèges, les lycées, sur les réseaux sociaux... La prévention est indispensable, dès la naissance. J'ai eu connaissance de cas de bébés abusés à la maternité par leurs grands-parents, par les beaux-pères... La prévention passe par la connaissance des faits. L'horreur n'a pas de limites en ce domaine ! Cette éducation doit se faire, ce qui suppose le courage de dire les mots. Des attouchements se produisent sur les bébés lorsqu'on les change, un père se masturbe dans le bain avec sa fille de quatre ans...

Cette réalité touche les beaux pavillons comme les immeubles, les campagnes et les villes, tous les milieux sociaux. Sur quels critères un milieu serait-il privilégié ? Des milieux aisés financièrement peuvent être d'une grande misère humaine, en raison du manque d'interdits. Nous avons tendance à avoir un prêt-à-penser, comme lorsqu'on pense qu'être alcoolique signifierait boire des litres de vin. Une de mes patientes souffrait d'alcoolisme mondain et finissait par boire son parfum... Près de la moitié des auteurs condamnés pour viol sur mineur sont des mineurs, souvent en milieu familier ou familial. Il faut être vigilant lorsque l'enfant change brutalement de comportement après être allé à la danse, au foot ou à l'école, même en maternelle : il est probablement victime. Ainsi, un enfant de quatre ans racontait aux gendarmes qu'il avait vu ses parents fabriquer sa petite soeur dans la cuisine. Le père ne comprenait pas où était le problème, puisqu'il fallait bien que l'enfant le sache un jour, autant que ce soit avec nous ! Françoise Dolto n'a jamais dit de telles choses. Elle a expliqué que l'enfant construisait sa sexualité, mais en aucun cas avec des adultes ! Auparavant, on faisait parfois une sorte d'apologie de la pédocriminalité, sans comprendre que l'enfant était une personne en devenir, et non un adulte en miniature. Un orthophoniste ne va pas utiliser pour un enfant les mêmes méthodes que pour un adulte ! Notre approche de l'enfant a beaucoup changé depuis les années 1980.

Ce qui existait dans ces années-là se retrouve sur les enfants d'aujourd'hui, mais déformé et amplifié avec les téléphones portables. Vous avez l'impression que vous savez les utiliser, mais ayez conscience que les jeunes en savent beaucoup plus que vous sur ces appareils. En Bresse, le père d'une fille de douze ans a appris par hasard dans son téléphone qu'elle allait sur des sites de rencontres pour adolescents et se vendait dans une voiture à un « adolescent » de 45 ans disant s'appeler Kevin !

Il faut mieux recueillir la parole de l'enfant, mais la création de structures ne suffit pas : il faut également des professionnels formés.

L'unité médico-judiciaire (UMJ) de Châlons-sur-Saône, inaugurée avec drapeaux, tambours et trompettes, est un contenant sans contenu : il y a une glace sans tain, mais aucun psychologue derrière pour guider les questions de ceux qui accompagnent la parole de l'enfant. Pour qu'elle soit performante, une UMJ doit rassembler des professionnels formés pour recueillir le trésor qu'est la parole de l'enfant, comme à Saint-Malo où nous avons effectué un déplacement dans le cadre de nos travaux. Les questions posées ne doivent pas provoquer la fermeture de l'enfant. J'ai encore plus compris le drame en voyant de jolies poupées qui, une fois déshabillées, avaient un sexe d'adulte ! J'en ai été profondément marquée. Ces images me hantent encore. C'est un paradoxe, le « vert paradis des amours enfantines » a disparu... À nous de les protéger.

Avec les réseaux sociaux, les enfants se prennent en photo en se lançant des défis : on montre un bout de sein, un bout de sexe, puis un peu plus, on s'enhardit... Les enfants pensent que la photographie va être supprimée et disparaître, mais vingt minutes après, elle leur revient et restera ad vitam aeternam sur Internet... Je ne comprenais pas un confrère pédiatre qui interdisait le téléphone portable dans son service à l'hôpital. Je pensais qu'il était bon pour les enfants de pouvoir appeler à la maison, de recevoir un coup de fil de la famille... Mais les enfants photographiaient leurs compagnons de chambre et mettaient cela sur Internet... Ces problèmes n'existaient pas il y a vingt ans. L'éducation est importante, or il n'y a plus de socle de valeurs qui dise que mon corps m'appartient. Non, on ne récupère pas, à l'école primaire, son téléphone portable en échange d'une fellation. Je me suis rendue dans des collèges huppés comme dans les quartiers Nord. Ma dernière fille a 21 ans. Dans le collège le plus aisé de la ville, en 2006-2007, une fille de 5ème proposait des fellations tarifées ! Cela n'est pas nouveau. Le Code de Hammourabi, sixième roi de Babylone, datant de 1750 avant Jésus-Christ, interdisait déjà le viol et l'inceste. Nous devons savoir exactement ce qui se passe, avec ces prédateurs à l'affût.

Un pédocriminel est un collectionneur. Il possède 500 000 photos qui ne l'intéressent plus. Ce qui l'intéresse, c'est justement la 500 001ème, l'objet rare, qui mettra en scène par exemple le viol d'une petite fille de huit ans avec tel auteur. Et il cherche à échanger non pas pour de l'argent, mais pour avoir ce que les autres n'ont pas. Les gendarmes m'ont expliqué qu'ils récupéraient par cette technique les photographies sur les ordinateurs des pédocriminels. La justice peut aller très vite, et Facebook et Twitter savent supprimer rapidement ce type de contenus. Le problème se trouve dans les plateformes privées. Les 92 000 adresses IP de notre pays sont autant de mini plateformes qui s'étendent.

Voilà pourquoi l'éducation est capitale. Il faut laisser les associations compétentes expliquer pourquoi un enfant doit faire sa toilette seul à partir d'un certain âge, et que personne n'a le droit de le toucher. Une association indiquait qu'à chaque intervention en milieu scolaire, au moins un ou deux enfants venaient les voir pour témoigner. Le pédocriminel dit à sa victime : « c'est notre petit secret », il prétend qu'il fait ça par amour, qu'il s'arrêtera dès que l'enfant lui dira qu'il a mal... Mais le corps de celui-ci finit par s'adapter, et le cauchemar recommence. C'est atroce ! Mettre un préservatif sur une banane en classe de troisième, comme on le fait faire lors de certaines séances d'éducation à la sexualité, c'est beaucoup trop tard ! Pour voir, je suis allée sur YouPorn...

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