Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 juin 2018 à 9h00
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017 — Exécution des crédits de la mission « travail et emploi » et du compte d'affectation spéciale « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » - Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Comme vous le savez, j'ai hérité l'année dernière d'une situation budgétaire difficile avec, notamment, une consommation au premier semestre de 80 % des volumes de contrats aidés inscrits en loi de finances initiale (LFI), ainsi qu'un plan exceptionnel sur les formations partiellement financé. Nous avons donc dû prendre très vite des décisions permettant à l'État d'assumer ses engagements passés en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle, tout en limitant les dépassements budgétaires de la LFI. Une gestion rigoureuse au second semestre a permis de tenir les crédits disponibles sur l'exercice et d'engager de premières inflexions fortes en termes de politiques publiques, pour davantage d'efficacité : des changements de modèle sur le champ de l'inclusion pour l'emploi, des réformes structurelles, avec les ordonnances pour le renforcement du dialogue social et le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que je présenterai demain devant vos collègues de la commission des affaires sociales, sous réserve du vote solennel de l'Assemblée nationale. Cette ambition d'une ampleur sans précédent pour ce qui concerne les compétences se traduit également dans le plan d'investissement dans les compétences (PIC). Doté d'un montant de 15 milliards d'euros sur cinq ans, il permettra de former et d'accompagner un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes décrocheurs.

En 2017, la dépense totale de la mission « Travail et emploi » a été de 15,6 milliards d'euros en crédits de paiement, soit 99 % des crédits ouverts. L'année 2018 s'est inscrite dans la continuité de l'année 2017 avec un contrat budgétaire porteur de choix forts : sincérité des programmations ; recentrage des dispositifs d'insertion sur leur coeur de cible et réallocation de moyens au bénéfice d'un grand plan d'investissement dans les compétences.

Je concentrerai mon propos liminaire sur deux sujets qui, dès le second semestre 2017, touchent à la stratégie de transformation des dispositifs pour l'emploi vers davantage d'inclusion : les contrats aidés et la transformation des compétences.

Comme nous avons pu en parler lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, la surmobilisation des contrats aidés au premier semestre 2017 a engendré une situation budgétaire extrêmement tendue, qui a nécessité d'engager une transformation dès l'été 2017. J'ai ainsi obtenu, dans l'urgence, l'ouverture d'une enveloppe complémentaire au titre des contrats aidés pour répondre aux besoins d'accompagnement des élèves en situation de handicap identifiés pour la rentrée scolaire de 2017, mais également aux besoins du secteur de l'urgence sanitaire et sociale et des territoires ultra-marins. Ainsi, près de 227 000 contrats aidés ont été prescrits dans le secteur non-marchand en 2017, soit 30 000 contrats de plus que les 200 000 contrats aidés inscrits en LFI, auxquels s'ajoutent 14 400 contrats reportés en 2018 pour couvrir les besoins de l'éducation nationale, notamment l'accompagnement des élèves handicapés, jusqu'à la prochaine rentrée scolaire.

Nous assumons une nouvelle approche : moins de contrats, mais mieux ciblés, avec un meilleur taux de transformation.

Une démarche de transformation des contrats aidés a ainsi été engagée dès 2017 : la part des travailleurs handicapés a atteint 16 % en 2017 et celle des seniors 36 %. La part représentée par chaque type d'employeurs est également restée très stable malgré la diminution des volumes, à savoir 37 % des prescriptions pour les associations et 21 % pour les collectivités territoriales. J'ai ainsi respecté mes engagements et les crédits ouverts en 2017 par une gestion maîtrisée de ces contrats supplémentaires ainsi qu'une mobilisation majeure de mes services. Au total, ce sont 2,7 milliards d'euros qui ont été consacrés à ce dispositif en 2017, contre 2,4 milliards d'euros votés en loi de finances initiale. C'est le triptyque « mise en situation de travail, accompagnement personnalisé et formation » qui donne les meilleurs résultats. Les contrats aidés « ancienne formule », si je puis dire, aboutissaient à un taux de sortie durable de 24 %, avec soit une entrée en qualification, soit un contrat à durée déterminée (CDD) de six mois ou plus ou un contrat à durée indéterminée (CDI), alors que le taux est supérieur à 50 % pour la plupart des autres dispositifs d'insertion. La seule mise en situation de travail ne permet pas d'utiliser ces outils comme un tremplin pour avoir une qualification ou un emploi.

L'année 2018 marque une rupture, avec le choix clair du Gouvernement de budgéter sincèrement la dépense des contrats aidés, à rebours des exercices précédents, et ce dans le prolongement des acquis du second semestre de 2017, qui ont visé à sortir d'une logique purement quantitative pour recentrer ce dispositif sur ses attendus qualitatifs et le public. Ce changement de paradigme a nécessité un temps d'appropriation par l'ensemble des acteurs, mais le système amélioré tourne maintenant à plein régime. Nous avons également supprimé les contrats aidés dans le secteur marchand : il n'y a pas de raison de financer l'emploi marchand dans un contexte de reprise. Nous mobilisons néanmoins d'autres dispositifs en matière de formation, d'aide à l'emploi pour les publics les plus en difficulté.

Les crédits en faveur des contrats aidés et de l'insertion par l'activité économique ont par ailleurs été regroupés dans un fonds d'inclusion dans l'emploi. Cette mesure, qui figurait parmi les recommandations du rapport de M. Jean-Marc Borello sur l'inclusion, la formation et l'accompagnement remis en janvier 2018, a pour objet de décloisonner et de territorialiser la politique d'inclusion dans l'emploi, afin de réfléchir davantage en termes de besoins des territoires et des individus. Certains bassins d'emploi sont aujourd'hui en situation de plein emploi quand d'autres connaissent encore un taux de chômage extrêmement élevé. Il nous a semblé important de placer sous l'autorité des préfets les enveloppes déconcentrées et fongibles entre les contrats aidés, les aides à l'insertion par l'activité économique et les aides à l'inclusion de façon générale, pour que ceux-ci s'adaptent au mieux aux besoins du terrain, en lien avec les collectivités territoriales.

L'accompagnement des publics fragilisés est notamment renforcé par la mise en place de l'entretien tripartite à la signature du contrat, avec Pôle emploi ou la mission locale, la collectivité territoriale ou l'association employeur et le bénéficiaire, qui permet d'identifier les compétences à développer et de structurer le parcours du bénéficiaire pendant le contrat. De plus, la logique qualitative se poursuit avec la mise en place d'un entretien à l'issue du contrat. Aujourd'hui, 78 % des personnes visées ont déjà eu un entretien avec un conseiller de Pôle emploi.

Par ailleurs, j'ai dû accompagner au mois de juin dernier la fin des mesures prévues dans le plan d'urgence pour l'emploi engagé par mon prédécesseur, à savoir l'aide en faveur de l'embauche dans les TPE-PME, avec une fin programmée à la fin du mois de juin, et le plan « 500 000 formations ». En l'absence d'études démontrant l'effet de levier de l'aide à l'embauche pour les PME, malgré la mobilisation importante du dispositif - 1,8 million d'aides validées pour une dépense de 1,6 milliard d'euros -, j'ai pris acte de la décision prise par mon prédécesseur d'arrêter les entrées dans le dispositif au 30 juin 2017. Seul le financement en cours des aides validées en 2017 est inscrit dans le budget de 2018, soit 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement.

En revanche, j'ai choisi de prolonger le plan « 500 000 formations » au second semestre 2017 afin de garantir la continuité de l'effort de formation en faveur des personnes en recherche d'emploi, dans l'attente du démarrage, en 2018, du plan d'investissement dans les compétences. Au total, 165 000 formations supplémentaires ont été financées par l'État en 2017. L'enjeu clé du PIC est d'intensifier l'effort de formation et d'en améliorer la qualité et l'efficacité, tout en évitant certains écueils du plan « 500 000 formations ». Lorsque les plans mis en oeuvre sont sitôt arrêtés, l'expérience prouve des effets d'aubaine sur le marché de l'appareil de formation, puis un effet de rupture pour les bénéficiaires. Il importe donc d'avoir une visibilité sur plusieurs années. Voilà pourquoi nous proposons un plan sur cinq ans.

En 2018, des conventions d'amorçage sont engagées dans 16 régions sur 18 entre l'État et les régions - une autre région a annoncé la signature de la convention l'an prochain -, à la condition que celles-ci s'engagent à ne pas diminuer ou à rattraper leur budget dévolu à la formation professionnelle des personnes ayant un faible niveau de qualification. En clair, l'État ne saurait se substituer aux régions qui auraient fait le choix de diminuer leur budget consacré à la formation professionnelle pour les plus éloignés de l'emploi. L'État apportera 6,8 milliards d'euros de plus durant cinq ans. Les régions pourront ainsi maintenir leur effort d'entrées en formation pour les personnes en recherche d'emploi sur la base de 2016 et disposer d'un volume assez considérable - plus de 160 000 places - à l'endroit de personnes peu ou pas qualifiées ou pour la formation de maîtrise des savoirs de base.

À la différence des exercices précédents, les entrées supplémentaires sont ventilées par région en fonction du public ciblé par le PIC, les jeunes décrocheurs et les demandeurs d'emploi de longue durée notamment, et non pas en fonction des entrées de l'année précédente, ce qui constituerait un système quelque peu pervers. Cette collaboration avec les régions permet une personnalisation très forte du plan selon les réalités du territoire. Pour la période 2019-2022, des pactes pluriannuels viendront structurer la démarche autour d'un flux annuel d'environ 200 000 parcours de formation. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, cette contribution financière supplémentaire de l'État sera conditionnée à un engagement pluriannuel réciproque et mesurable entre l'État et les régions, mais n'entrera pas dans le calcul des dotations de fonctionnement.

Le budget de l'emploi et de la formation professionnelle que je porte depuis mon arrivée est un budget de transition pour l'année 2017, avec les prémices de la transformation, et un budget de transformation des politiques de retour dans l'emploi, mais également de responsabilité budgétaire pour l'année 2018. Il n'est pas question de demander en permanence des rallonges, comme ce fut le cas auparavant ; ce n'est pas de bonne gestion et je ne m'inscris pas dans cette démarche.

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