Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 26 juin 2018 à 15h00
Immigration droit d'asile et intégration — Explications de vote sur l'ensemble

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Maîtriser l’immigration ? Vous savez, comme nous tous ici, que la maîtrise de l’immigration est d’abord une problématique européenne qui ne se réglera qu’au niveau européen. Le Président de la République ne dit pas autre chose.

Comment la France seule pourrait-elle se prévaloir de maîtriser l’immigration, alors même qu’elle n’est que rarement le pays d’entrée en Europe ? La polémique récente avec nos voisins italiens a bien rappelé ce problème de l’inégalité européenne face au flux de migrants.

Oui, notre continent subit depuis près de cinq ans la plus grande crise migratoire connue en Europe depuis les déplacements de populations consécutifs à la Seconde Guerre mondiale. Ce constat avait été fait dès l’été 2014 par le ministre de l’intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, qui fit alors une tournée d’Europe pour que des mesures soient prises. L’Europe a tardé avant d’adopter un mécanisme de répartition, de renforcer FRONTEX ou encore de créer des points d’accueil. Nous avons été fiers de défendre cette action de la France auprès de ses voisins.

Le ministre d’État Gérard Collomb a mis en garde, ici même, et à juste titre, le 20 juin dernier : « L’Europe peut se démanteler sur les problèmes migratoires. » Votre responsabilité n’est alors pas d’aggraver la situation avec une loi contestable et isolationniste, mais de faire vivre la solidarité européenne, madame la ministre. L’échec de la rencontre de Bruxelles de ce week-end a encore montré toute la difficulté de ce défi. Aujourd’hui, c’est n’est plus un défi, c’est une impasse.

Alors, améliorer le droit d’asile, le deuxième grand thème de votre loi ? Comment pouvez-vous considérer que le droit d’asile sera amélioré en contraignant le délai de la demande et les conditions d’examen de cette dernière ? Vous ne réussirez avec vos mesures qu’à affaiblir l’accueil des demandeurs d’asile. La situation humanitaire de ces personnes s’aggravera de fait encore, puisque beaucoup ne pourront plus défendre leur demande dans de bonnes conditions.

L’objectif d’accélérer l’examen des demandes est louable ; nous l’avons nous-mêmes porté lors du dernier quinquennat et vous l’aviez d’ailleurs soutenu à l’époque, avec Gérard Collomb. Et cet objectif a été rempli par la loi de 2015, qui n’est de pleine application que depuis trois ans. Pourquoi encore changer ces règles, sans évaluation de la précédente loi, et en intervenant cette fois sur les conditions même de la demande ?

Et, là encore, il y a derrière cette problématique un sujet européen. La loi de 2015 est sans doute allée au bout de ce que nous pouvions faire en termes de pays d’accueil concernant l’asile. Le droit d’asile européen est à ce stade une pure fiction, laquelle se heurte aux égoïsmes qui sentent l’odeur du nationalisme exacerbé. Le dispositif de Dublin est mieux que rien, mais aussi peut-être pire que tout. Nous avons proposé, avec Jean-Yves Leconte, notre chef de file sur ce texte que je remercie, un amendement sur le sujet. Il a été rejeté. Encore une occasion manquée…

Troisième grand sujet, réussir l’intégration. Nous arrivons là au volet qui devait « équilibrer » votre projet de loi, en permettant l’intégration de ceux qui sont arrivés ces dernières années, alors que le flux commence à diminuer. Seulement, vous avez oublié un élément : quand il s’agit de principes fondamentaux de notre droit, il ne peut être question d’équilibre.

On ne peut pas pondérer une remise en cause de nos valeurs et principes. Rien ne peut avoir suffisamment de poids pour équilibrer la balance quand, par ailleurs, vous en détraquez le mécanisme. Nous en sommes là, avec votre projet de loi. Nous prenons acte de certaines mesures, supprimées ou dénaturées par la droite sénatoriale. Mais jamais elles ne pèseront suffisamment pour que nous abandonnions les principes que nous défendons avec constance, en premier lieu desquels l’accueil digne et le droit d’asile.

Alors, madame la ministre, nous ne comprenons pas le sens de votre loi, ou plutôt nous en avons bien compris la visée, le message. Cette loi n’est pas une loi de fermeté, c’est une loi de fermeture ! Vous faites écho, avec votre texte, à la tendance du repli et du court-termisme. J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : notre pays, par son histoire et par ce qu’il représente dans le monde, n’aura jamais l’image que vous cherchez à lui donner avec cette loi.

C’est bien mal connaître les motivations des migrants et des réfugiés de penser qu’ils renonceront à venir en Europe ou en France du fait d’une simple loi. La conséquence de tout cela est simple : ils continueront à venir, mais ils seront moins bien accueillis et la situation humanitaire s’aggravera encore.

Vous aurez au moins réussi une chose avec ce texte, qui n’est qu’une loi d’affichage politique : à libérer les plus tristes passions anti-étrangers sur certaines travées parlementaires. Vous aurez permis la surenchère. La majorité sénatoriale – la droite de notre hémicycle – a embrayé, malgré sa faible mobilisation lors du débat, dans votre course à la fermeture du pays. §Elle a encore aggravé les mesures contenues dans votre texte sur la rétention et le droit d’asile. Elle a aussi réduit les possibilités d’étude en France des étrangers, un bond de dix ans en arrière, indigne de notre pays et incohérent avec les objectifs d’excellence universitaire.

Monsieur le rapporteur, vous et votre groupe avez porté dans ce débat des propositions que nous continuerons à combattre. Et ce que je disais au Gouvernement vaut aussi pour vous : vous ne réussirez pas à dissuader les migrants et à changer l’image de pays accueillant qu’est la France.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous aurions voté contre le texte sorti de l’Assemblée nationale. Nous voterons, avec encore plus de détermination, contre le texte modifié par la droite du Sénat.

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