Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver pour préparer le Conseil européen qui se déroulera les 28 et 29 juin prochains. Le Conseil aura un agenda chargé, avec plusieurs réunions successives : Conseil européen, Conseil européen en format article 50, Sommet zone euro en format élargi.
Je suis désolée de vous imposer une heure aussi tardive, mais je reviens du conseil Affaires générales de Luxembourg, qui était destiné à préparer le Conseil européen, et il me semblait préférable, pour la bonne information du Sénat, d’avoir participé à cette réunion et de pouvoir vous dire comment les choses s’y étaient passées.
Je commencerai par deux sujets au cœur de l’actualité.
C’est d’abord sur les questions migratoires que le Conseil européen sera attendu.
Le refus de l’Italie d’accueillir l’Aquarius, puis le Lifeline, a créé de fortes tensions en Europe. Elles ont rappelé à tous que, si les flux de migrants qui empruntent la route de la Méditerranée centrale sont en réduction très forte, moins 77 % par rapport 2017, le système européen de gestion de l’asile et des migrations est incomplet et doit être impérativement amélioré. Je parle bien de système européen, c’est-à-dire des institutions et des États membres, car il est évident qu’il ne peut y avoir de solution dans le repli sur soi. Ni l’Italie, ni la Grèce, ni l’Espagne ne peuvent être laissées seules.
Notre vision est celle d’une Europe plus engagée à chaque étape de la route des migrants. Auprès des pays d’origine, d’abord, que nous devons aider, mais avec lesquels nous devons aussi améliorer les conditions de réadmission des personnes déboutées du droit d’asile. Auprès des pays de transit, ensuite, qui ont eux aussi besoin de plus d’aide. Nous devons y répondre.
La France a été pionnière en déployant des missions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides au Niger et au Tchad pour identifier, avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale des migrations, les personnes qui peuvent bénéficier d’une protection internationale et accéder en sécurité au territoire européen. Cela permet aussi de faire réfléchir ceux qui ne remplissent pas les conditions, mais qui peuvent être aidés pour rentrer chez eux. Cet effort porte ses fruits.
Nous devons mobiliser l’ensemble de l’Union et voir comment travailler dans cet esprit avec les pays du Maghreb.
Il faut bien entendu une coopération spécifique avec les autorités libyennes, notamment les gardes-côtes, pour les aider à mieux gérer leurs eaux territoriales et à combattre les passeurs et les trafiquants. Parallèlement, les moyens de FRONTEX doivent être renforcés, comme le propose la Commission, pour passer à 10 000 gardes-côtes et gardes-frontières européens.
En Europe même, il est nécessaire d’améliorer profondément le fonctionnement des hotspots, notamment en Italie, avec une expertise et des financements européens adéquats.
Les autres États membres doivent en contrepartie procéder plus largement à des relocalisations depuis ces centres, sur une base volontaire, des personnes qui peuvent bénéficier de l’asile.
Au-delà, il nous faut bien sûr réformer le régime de Dublin en réaffirmant la responsabilité des pays de première entrée, mais en l’accompagnant de mécanismes de solidarité à la hauteur en cas d’afflux massifs de migrants et en faisant en sorte que les règles qui prévoient le renvoi dans un autre pays européen lorsqu’une demande d’asile y a été déposée soient pleinement appliquées.
Vous le voyez, tout cela suppose une approche plus européenne. Il n’est possible ni de fermer purement et simplement ses frontières nationales, au risque de détruire Schengen, ni de compter sur des pays tiers pour y déporter et y retenir des personnes qui, je le rappelle, ont le droit de déposer une demande d’asile.
C’est ce que nous défendons, et ce à quoi nous avons travaillé avec le Président du Conseil italien, M. Conte, le 16 juin, avec la Chancelière Merkel, le 19, à Meseberg, avec le Président du Gouvernement de l’Espagne, Pedro Sanchez, le 23, puis en sommet informel à Bruxelles, le 24.
C’est dans cet esprit que nous aborderons le Conseil européen.
La France et l’Allemagne s’étaient engagées en décembre dernier à présenter une approche commune pour l’Union économique et monétaire. Nous y sommes parvenus à Meseberg, après un travail très intense.
Je pense à l’union bancaire et aux mécanismes du Fonds de résolution et de son filet de sécurité, mais aussi au budget de la zone euro. Le terme même n’allait pas de soi ! Nous avons obtenu un calendrier resserré, avec une échéance en 2021, un accord sur le principe de son financement venant à la fois des États et de ressources dédiées, ainsi que des objectifs ambitieux, pour maintenir les investissements et exercer un rôle de stabilisation macroéconomique.
Je ne sous-estime pas les difficultés qui sont devant nous, je pense en particulier à l’opposition des Pays-Bas. Mais nous avons franchi une étape importante en franco-allemand, qui crée une nouvelle dynamique. Il en va d’ailleurs de même dans le domaine fiscal, où nous sommes parvenus avec l’Allemagne à une base commune pour l’impôt sur les sociétés.
La défense est désormais un rendez-vous régulier au Conseil européen, qui est essentiel pour ancrer la vision d’une autonomie stratégique de l’Union européenne. Nous avons déjà fait de réels progrès, mais rien n’est définitivement acquis en la matière.
L’objectif de cet échange sera, d’abord, d’encourager de nouveaux progrès de la coopération structurée permanente, dans la perspective de la nouvelle vague de projets qui sera annoncée à l’automne, ainsi que d’avancer vers la finalisation du fonds européen de défense. Je rappelle que la Commission a proposé qu’il soit doté de 13 milliards d’euros à partir de 2021.
Nous devons mettre en place très vite le programme de développement de l’industrie de défense, qui le préfigure et sur lequel nous avons trouvé un accord avec le Parlement européen, notamment grâce à l’aide de notre compatriote Françoise Grossetête.
Ce point permettra aussi d’évoquer la révision du mécanisme Athena, qui permet de financer les coûts communs des opérations européennes.
Le Président de la République évoquera aussi le lancement de l’initiative européenne d’intervention, dont le champ, comme vous le savez, est plus large que celui de l’Union à 27.
S’agissant des questions d’emploi, de croissance et de compétitivité, le Conseil européen endossera les recommandations pays proposées par la Commission dans le cadre du semestre européen et insistera sur la nécessité de défendre le multilatéralisme commercial et de soutenir et réformer l’OMC, comme nous l’avons fait au G7.
Ce sera aussi l’occasion de marquer à nouveau l’unité européenne tout à fait remarquable face aux mesures unilatérales américaines sur l’aluminium et l’acier. Les mesures européennes de rééquilibrage qui augmentent les droits de douane sur des produits américains emblématiques sont entrées en vigueur le 22 juin.
S’agissant de l’innovation, les conclusions devraient reprendre nos idées sur l’innovation de rupture évoquée au sommet informel de Sofia et annoncer la mise en place d’un Conseil européen de l’innovation.
Nous insistons, par ailleurs, sur la nécessité d’une juste taxation des principaux acteurs numériques, même si certains de nos partenaires, l’Irlande, Malte, le Luxembourg, le Danemark, par exemple, essayent de la renvoyer à un hypothétique accord dans le cadre de l’OCDE.
Le petit-déjeuner du 29 juin sera consacré au Brexit. L’urgence est d’avancer sur l’accord de retrait qui doit être conclu en octobre. Si les discussions ont permis des avancées sur des points techniques importants, comme les marchés publics, des questions essentielles restent en suspens, telle la gouvernance de l’accord de retrait et, donc, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Le problème fondamental reste toutefois la question de la frontière irlandaise. La proposition britannique d’une union douanière couvrant l’Union européenne et le Royaume-Uni soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, comme l’a sobrement indiqué Michel Barnier. Sans accord sur les aspects réglementaires, elle ne permettrait pas d’éviter des contrôles douaniers. Sur le fond, elle n’est évidemment pas acceptable par les 27 puisqu’elle reviendrait, pour une période indéterminée, à permettre un accès au marché unique « à la carte ». Il est donc important que le Conseil européen marque sa préoccupation et appelle à ce que les institutions comme les États membres se préparent à toutes les hypothèses, y compris celle, très défavorable, d’absence d’accord, car sans accord de retrait, il n’y aura pas de période de transition.