La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018.
Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la ministre chargée des affaires européennes, qui revient de Luxembourg, je vais suspendre la séance une dizaine de minutes.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt et une heures quarante-six, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver pour préparer le Conseil européen qui se déroulera les 28 et 29 juin prochains. Le Conseil aura un agenda chargé, avec plusieurs réunions successives : Conseil européen, Conseil européen en format article 50, Sommet zone euro en format élargi.
Je suis désolée de vous imposer une heure aussi tardive, mais je reviens du conseil Affaires générales de Luxembourg, qui était destiné à préparer le Conseil européen, et il me semblait préférable, pour la bonne information du Sénat, d’avoir participé à cette réunion et de pouvoir vous dire comment les choses s’y étaient passées.
Je commencerai par deux sujets au cœur de l’actualité.
C’est d’abord sur les questions migratoires que le Conseil européen sera attendu.
Le refus de l’Italie d’accueillir l’Aquarius, puis le Lifeline, a créé de fortes tensions en Europe. Elles ont rappelé à tous que, si les flux de migrants qui empruntent la route de la Méditerranée centrale sont en réduction très forte, moins 77 % par rapport 2017, le système européen de gestion de l’asile et des migrations est incomplet et doit être impérativement amélioré. Je parle bien de système européen, c’est-à-dire des institutions et des États membres, car il est évident qu’il ne peut y avoir de solution dans le repli sur soi. Ni l’Italie, ni la Grèce, ni l’Espagne ne peuvent être laissées seules.
Notre vision est celle d’une Europe plus engagée à chaque étape de la route des migrants. Auprès des pays d’origine, d’abord, que nous devons aider, mais avec lesquels nous devons aussi améliorer les conditions de réadmission des personnes déboutées du droit d’asile. Auprès des pays de transit, ensuite, qui ont eux aussi besoin de plus d’aide. Nous devons y répondre.
La France a été pionnière en déployant des missions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides au Niger et au Tchad pour identifier, avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale des migrations, les personnes qui peuvent bénéficier d’une protection internationale et accéder en sécurité au territoire européen. Cela permet aussi de faire réfléchir ceux qui ne remplissent pas les conditions, mais qui peuvent être aidés pour rentrer chez eux. Cet effort porte ses fruits.
Nous devons mobiliser l’ensemble de l’Union et voir comment travailler dans cet esprit avec les pays du Maghreb.
Il faut bien entendu une coopération spécifique avec les autorités libyennes, notamment les gardes-côtes, pour les aider à mieux gérer leurs eaux territoriales et à combattre les passeurs et les trafiquants. Parallèlement, les moyens de FRONTEX doivent être renforcés, comme le propose la Commission, pour passer à 10 000 gardes-côtes et gardes-frontières européens.
En Europe même, il est nécessaire d’améliorer profondément le fonctionnement des hotspots, notamment en Italie, avec une expertise et des financements européens adéquats.
Les autres États membres doivent en contrepartie procéder plus largement à des relocalisations depuis ces centres, sur une base volontaire, des personnes qui peuvent bénéficier de l’asile.
Au-delà, il nous faut bien sûr réformer le régime de Dublin en réaffirmant la responsabilité des pays de première entrée, mais en l’accompagnant de mécanismes de solidarité à la hauteur en cas d’afflux massifs de migrants et en faisant en sorte que les règles qui prévoient le renvoi dans un autre pays européen lorsqu’une demande d’asile y a été déposée soient pleinement appliquées.
Vous le voyez, tout cela suppose une approche plus européenne. Il n’est possible ni de fermer purement et simplement ses frontières nationales, au risque de détruire Schengen, ni de compter sur des pays tiers pour y déporter et y retenir des personnes qui, je le rappelle, ont le droit de déposer une demande d’asile.
C’est ce que nous défendons, et ce à quoi nous avons travaillé avec le Président du Conseil italien, M. Conte, le 16 juin, avec la Chancelière Merkel, le 19, à Meseberg, avec le Président du Gouvernement de l’Espagne, Pedro Sanchez, le 23, puis en sommet informel à Bruxelles, le 24.
C’est dans cet esprit que nous aborderons le Conseil européen.
La France et l’Allemagne s’étaient engagées en décembre dernier à présenter une approche commune pour l’Union économique et monétaire. Nous y sommes parvenus à Meseberg, après un travail très intense.
Je pense à l’union bancaire et aux mécanismes du Fonds de résolution et de son filet de sécurité, mais aussi au budget de la zone euro. Le terme même n’allait pas de soi ! Nous avons obtenu un calendrier resserré, avec une échéance en 2021, un accord sur le principe de son financement venant à la fois des États et de ressources dédiées, ainsi que des objectifs ambitieux, pour maintenir les investissements et exercer un rôle de stabilisation macroéconomique.
Je ne sous-estime pas les difficultés qui sont devant nous, je pense en particulier à l’opposition des Pays-Bas. Mais nous avons franchi une étape importante en franco-allemand, qui crée une nouvelle dynamique. Il en va d’ailleurs de même dans le domaine fiscal, où nous sommes parvenus avec l’Allemagne à une base commune pour l’impôt sur les sociétés.
La défense est désormais un rendez-vous régulier au Conseil européen, qui est essentiel pour ancrer la vision d’une autonomie stratégique de l’Union européenne. Nous avons déjà fait de réels progrès, mais rien n’est définitivement acquis en la matière.
L’objectif de cet échange sera, d’abord, d’encourager de nouveaux progrès de la coopération structurée permanente, dans la perspective de la nouvelle vague de projets qui sera annoncée à l’automne, ainsi que d’avancer vers la finalisation du fonds européen de défense. Je rappelle que la Commission a proposé qu’il soit doté de 13 milliards d’euros à partir de 2021.
Nous devons mettre en place très vite le programme de développement de l’industrie de défense, qui le préfigure et sur lequel nous avons trouvé un accord avec le Parlement européen, notamment grâce à l’aide de notre compatriote Françoise Grossetête.
Ce point permettra aussi d’évoquer la révision du mécanisme Athena, qui permet de financer les coûts communs des opérations européennes.
Le Président de la République évoquera aussi le lancement de l’initiative européenne d’intervention, dont le champ, comme vous le savez, est plus large que celui de l’Union à 27.
S’agissant des questions d’emploi, de croissance et de compétitivité, le Conseil européen endossera les recommandations pays proposées par la Commission dans le cadre du semestre européen et insistera sur la nécessité de défendre le multilatéralisme commercial et de soutenir et réformer l’OMC, comme nous l’avons fait au G7.
Ce sera aussi l’occasion de marquer à nouveau l’unité européenne tout à fait remarquable face aux mesures unilatérales américaines sur l’aluminium et l’acier. Les mesures européennes de rééquilibrage qui augmentent les droits de douane sur des produits américains emblématiques sont entrées en vigueur le 22 juin.
S’agissant de l’innovation, les conclusions devraient reprendre nos idées sur l’innovation de rupture évoquée au sommet informel de Sofia et annoncer la mise en place d’un Conseil européen de l’innovation.
Nous insistons, par ailleurs, sur la nécessité d’une juste taxation des principaux acteurs numériques, même si certains de nos partenaires, l’Irlande, Malte, le Luxembourg, le Danemark, par exemple, essayent de la renvoyer à un hypothétique accord dans le cadre de l’OCDE.
Le petit-déjeuner du 29 juin sera consacré au Brexit. L’urgence est d’avancer sur l’accord de retrait qui doit être conclu en octobre. Si les discussions ont permis des avancées sur des points techniques importants, comme les marchés publics, des questions essentielles restent en suspens, telle la gouvernance de l’accord de retrait et, donc, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Le problème fondamental reste toutefois la question de la frontière irlandaise. La proposition britannique d’une union douanière couvrant l’Union européenne et le Royaume-Uni soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, comme l’a sobrement indiqué Michel Barnier. Sans accord sur les aspects réglementaires, elle ne permettrait pas d’éviter des contrôles douaniers. Sur le fond, elle n’est évidemment pas acceptable par les 27 puisqu’elle reviendrait, pour une période indéterminée, à permettre un accès au marché unique « à la carte ». Il est donc important que le Conseil européen marque sa préoccupation et appelle à ce que les institutions comme les États membres se préparent à toutes les hypothèses, y compris celle, très défavorable, d’absence d’accord, car sans accord de retrait, il n’y aura pas de période de transition.
Je voudrais, enfin, mentionner trois sujets que le président Tusk entend traiter rapidement.
La Commission plaidera pour que l’essentiel du cadre financier pluriannuel soit négocié avant l’ajournement des travaux du Parlement européen en raison des élections. Nous ferons le maximum pour ne pas perdre de temps, mais il est peu probable techniquement, et assez peu souhaitable d’un point de vue démocratique, que nous décidions d’un nouveau budget européen avant que les électeurs aient eu l’occasion de s’exprimer.
Deux sujets ne font d’habitude pas l’objet de discussions prolongées. Le premier est la prolongation des sanctions sectorielles contre la Russie, après une présentation par le Président de la République et la Chancelière des travaux menés en format Normandie.
Le deuxième sujet est l’élargissement. S’il ne me reste qu’un filet de voix, c’est parce que nous avons consacré huit heures aujourd’hui à débattre de ce thème au conseil Affaires générales. Sur la base du rapport de progrès de la Commission, comme du processus en cours de refondation de l’Union européenne, nous considérons qu’il n’est pas possible que l’Union ouvre, à ce stade, les négociations d’adhésion avec l’Albanie ou l’ancienne République yougoslave de Macédoine, et nous avons obtenu un accord, de haute lutte, …
… au conseil Affaires générales pour reporter la discussion au plus tôt à l’année prochaine.
Nous sommes très déterminés, même si nous étions, en réalité, peu nombreux – je peux en témoigner, trois États membres ! – à tenir cette position.
Enfin, le Conseil européen reviendra sur les relations avec la Russie et sur les États-Unis après la décision américaine, que nous regrettons, de quitter leJCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action, avec l’Iran et le retour de sanctions américaines unilatérales. Le travail se poursuit à Bruxelles pour que l’Union européenne fasse preuve d’unité et de fermeté.
Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à vos commentaires, comme à vos questions.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et au banc des commissions. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous aurons, pour une durée d’une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Patricia Schillinger et M. André Gattolin applaudissent.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et vice-président de commission, mes chers collègues, comme lors des derniers débats précédant la réunion du Conseil européen, je soulignerai, d’abord, la densité de l’actualité internationale et la multiplicité des sujets.
Face aux derniers développements politiques chez nos voisins et partenaires, on est malheureusement tenté de constater un certain isolement du gouvernement français : Royaume-Uni en plein bouleversement interne en vue du Brexit, coalition allemande en proie à de vives tensions entre CDU et CSU au sujet des migrants, Espagne fragilisée par la question catalane et nouveau gouvernement italien ouvertement europhobe, sans parler de la position singulière des pays de l’Est qui ne sont pas vraiment intégrés dans l’esprit européen.
Dans ce contexte, les négociations en cours pour l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel s’annoncent plus que compliquées. En premier lieu, je souhaite évoquer les bonnes nouvelles – il y en a bien quelques-unes, semble-t-il.
Tout d’abord, le Conseil a acté la sortie de la France de la procédure de déficit excessif. C’est le résultat des politiques menées sous le précédent quinquennat et poursuivies depuis, visant le sérieux budgétaire et une réduction progressive mais constante des déficits.
Si l’on peut regretter que les efforts n’aient pas été mieux répartis entre l’État et les collectivités, qui ont payé un lourd tribut, force est de constater que le résultat est là. Il doit permettre à la France de retrouver sa crédibilité auprès de ses partenaires européens et d’être mieux entendue lorsqu’elle fait des propositions sur quelque sujet que ce soit.
La Grèce, quant à elle, sort enfin du plan d’aide auquel elle était soumise depuis 2011. Si elle a dû consentir des sacrifices importants, qui ont durement éprouvé sa population, ces efforts n’auront pas été vains et appellent, espérons-le, des lendemains plus fastes et plus cléments.
Autre sujet concernant la Grèce, qui peut paraître anecdotique, mais que je trouve utile de mentionner, bien qu’il ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil, vous en avez parlé, madame la ministre, une solution a enfin été trouvée au problème du nom de la Macédoine. Ce différend, né de l’effondrement de la Yougoslavie, il y a plus de vingt ans, et qui empoisonne, depuis, les relations entre ces deux pays qui se disputent l’héritage et la mémoire d’Alexandre le Grand, empêchant, du même coup, la convergence de ce petit État des Balkans vers le reste de l’Europe, appartiendra bientôt au passé.
Enfin, il faut saluer les progrès dans le domaine de la défense européenne, avec la mise en place, sous l’impulsion de la France, du groupe européen d’intervention auquel participent huit autres pays européens. Ce groupe est capable de mener rapidement des opérations militaires ou civiles, comme l’évacuation de pays en conflit ou l’assistance en cas de catastrophe. On peut citer, par exemple, l’opération montée avec les Britanniques et les Néerlandais dans les Antilles après le passage de l’ouragan Irma.
Le groupe d’intervention doit compléter la coopération structurée permanente, lancée en décembre dernier, dont le but est de développer des capacités de défense et d’investir dans des projets communs, en complément de l’Alliance atlantique.
J’en viens maintenant aux sujets difficiles.
Dans le projet de cadre financier post-2020, la Commission européenne a envisagé des coupes dans les principaux budgets, qui nous paraissent, pour l’heure, inacceptables. La réduction drastique du budget de la politique agricole commune, la PAC, avec le risque de renationalisation qu’elle entraîne, fait peser une hypothèque sur les agriculteurs qui pourrait avoir des conséquences très lourdes dans les territoires si rien n’est fait pour y remédier. La PAC ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire. Il nous semble essentiel et non négociable que cette politique reste « commune », conformément au « C » du sigle PAC.
En ce qui concerne la crise migratoire, je me permettrai ici de relayer les questions soulevées, toute la semaine dernière, par mon collègue et ami Guillaume Arnell, au cours des débats sur le projet de loi Asile et immigration, et lors des questions d’actualité. En l’état actuel, et étant donné la très forte médiatisation de ce sujet, il est plus que jamais urgent de mettre en œuvre une politique de long terme, concertée avec nos voisins et qui prenne en compte les intérêts de tous, en assurant un traitement le plus humain possible des migrants. Je ne parlerai pas là du Président Trump, qui reste un peu comme un caillou dans la chaussure des dirigeants européens !
Pour conclure, je tiens à rappeler que la construction européenne est dans l’ADN du groupe du RDSE. Je réaffirme donc qu’il faut plus d’Europe et mieux d’Europe ! C’est une solution au monde tourmenté dans lequel nous vivons. Le Président de la République s’y emploie très bien et nous lui apportons, sur ce projet européen, tout notre soutien.
MM. Jean-Paul Émorine et André Gattolin applaudissent.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire c’est que le débat de ce soir cadrera parfaitement avec l’actualité.
Les deux sujets que je compte évoquer, à savoir l’immigration et la défense, qui ont en effet en commun le fait d’avoir été négligés durant trop longtemps, tant par les États que par l’Union elle-même, contraignent à rattraper dans l’urgence un retard certain.
S’agissant des questions migratoires, ce n’est pas un lieu commun que de dire que l’Europe est arrivée à un moment clé de son histoire, l’un de ces moments de fragilité où tous les basculements deviennent possibles. Européen convaincu, j’ai vu cette crise progressivement prendre de l’importance, submerger certains États membres et, hélas, causer de nombreuses victimes. L’action lente et brouillonne de l’Europe a marqué les opinions publiques. Regardons avec lucidité les traces laissées par la crise migratoire en Grèce, en Italie ou en Europe centrale et orientale, notamment. On peut, certes, continuer à montrer d’un doigt moralisateur les démagogues, populistes et autres marchands de solutions simplistes comme s’ils étaient « le » problème. Or ils n’en sont que la conséquence et le suffrage universel, méprisé par ces messieurs de Bruxelles, parle régulièrement.
Comme on pouvait s’y attendre, le sommet d’urgence, réuni dimanche, en l’absence des pays du groupe de Visegrád, n’a pas permis d’avancées. Et la tragique odyssée de l’Aquarius ou du Lifeline continue de cristalliser les tensions. En fait, plus nous attendons, plus les gouvernements intransigeants en matière migratoire risquent de se multiplier et il deviendra bientôt impossible de trouver une solution partagée.
Si aujourd’hui l’objectif annoncé est clairement la mise en place d’une politique migratoire européenne efficace, humanitaire et sûre, force est de constater que nous sommes encore loin de cela. L’Europe de Schengen, soucieuse avant tout du libre-échange, a transféré la charge des frontières extérieures sur des États mal préparés. Pour sauver Schengen, il faut aujourd’hui renforcer ce cadre, donner des moyens à FRONTEX et assurer un meilleur respect du droit.
L’État de droit n’est pas à géométrie variable. Lorsque des personnes n’ont pas vocation à se maintenir sur le territoire de l’Union européenne, elles doivent être effectivement reconduites. Cette forme de laxisme pèse sur les opinions publiques. Je ne parle pas de la politique généreuse en faveur des migrants mineurs qui est aujourd’hui dévoyée et instrumentalisée, impactant toujours plus les finances locales.
Madame la ministre, un renforcement des relations euro-méditerranéennes est nécessaire. Échangeant il y a quelques jours avec des parlementaires allemands, j’ai pu relever leur prise de conscience d’avoir, à tort, abandonné la Méditerranée au profit quasi exclusif de leur relation avec l’Europe centrale et la Russie. Les pays de la rive Sud veulent aussi avancer. J’ai reçu avec le président Jean Bizet, la semaine dernière, une délégation marocaine qui plaidait en ce sens. Le Maroc a d’ailleurs officiellement fait savoir aux autorités européennes sa volonté de coopération, en tant que partenaire à part entière, y compris sur les questions migratoires.
En dehors de l’Afrique et du Proche-Orient, dans d’autres régions du monde, les candidats au départ vers l’Europe se multiplient. En déplacement en Serbie, il y a quinze jours, sur la « route des Balkans », j’ai pu constater que nombre de migrants gérés sur place ne provenaient pas en fait du pourtour immédiat de l’Union mais, pour 85 %, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Iran, ce qui, vous en conviendrez, complique la situation.
Malgré les mesures prises, malgré l’accord avec la Turquie, le trafic d’êtres humains demeure une activité prospère – c’est un peu triste de devoir la qualifier ainsi, mais c’est une réalité ! Ceux que l’on appelle pudiquement des « passeurs », et qui ne sont rien d’autre que des trafiquants d’hommes et de femmes, continuent d’engranger des profits considérables. En marge, toute une « économie de la migration » s’est mise en place, faisant vivre de nombreuses personnes.
En regardant objectivement l’avenir, rien dans la situation géopolitique, économique et démographique ne permet d’envisager une atténuation des flux migratoires.
Madame la ministre, vous savez qu’à quelques mois des élections européennes l’absence d’évolutions significatives sur les questions migratoires ferait le jeu des eurosceptiques. Ces derniers pourraient ainsi achever de détruire l’Union européenne de l’intérieur, ne comprenant d’ailleurs pas qu’avec la désunion, ils affaibliraient les États-nations dont ils sont pourtant les ardents défenseurs.
Concernant les questions de défense, les choses semblent aussi évoluer. Là encore, nous étions dos au mur, confrontés à un contexte international dégradé.
Dans cet environnement troublé, remettre les questions de défense parmi les priorités de l’Union européenne n’apparaît pas comme une option, voire un luxe. C’est, je crois, un enjeu stratégique mais aussi économique. Stratégique, car l’Europe doit désormais s’affirmer comme puissance, et plus seulement comme un marché unique, pour affronter le monde de demain et assurer sa sécurité partout où cela serait nécessaire. Économique, parce que nous disposons d’entreprises de la défense, notamment en France, mais pas uniquement, dotées de compétences industrielles reconnues et qui font vivre nos territoires. Dans ce secteur, dominé par des géants américains, la Russie, vous le savez, revient en force et de nouveaux acteurs issus des pays émergents apparaissent, rendant la concurrence de plus en plus rude.
Les récents débats sur la loi de programmation militaire 2019–2025 ont été l’occasion pour la France de relancer son effort de défense.
Depuis 2016 et la déclaration de Varsovie, l’Union européenne et l’OTAN ont lancé un renforcement de leur coopération dans plusieurs domaines d’intérêt commun, à la fois sur le plan stratégique et sur le plan opérationnel, élargis à la fin de l’année dernière à de nouveaux thèmes tels que la lutte contre le terrorisme, la situation des femmes, la paix et la sécurité, et la mobilité militaire. Tout effort de coopération entre alliés est louable et permettra aux armées d’agir ensemble plus efficacement.
Tout aussi importants sont les rapprochements entre industriels de la défense européens et, plus généralement, la coopération européenne, qui permet mutualisation et économies, au moment où la sophistication des équipements tire les coûts vers le haut. En marge du sommet franco-allemand de Meseberg, les ministres française et allemande de la défense ont signé deux lettres d’intention concernant des projets communs d’armement, l’une sur le système de combat aérien futur, l’autre sur le char de combat du futur.
La volonté politique d’agir existe, et c’est tant mieux, car rien ne peut se faire sans. Nombre d’industriels européens évoquaient, lors du dernier Eurosatory, surtout un besoin de coopération sur des projets d’ambition plus modeste, pour mieux se connaître et apprendre à travailler ensemble.
Par ailleurs, si la priorité est donnée ici à l’axe franco-allemand, ne laissons pas de côté pour autant le partenaire britannique dont les compétences et le format d’armée sont proches des nôtres. S’ils sont écartés de tout, les Britanniques achèteront tout ou presque aux États-Unis. Ce n’est pas l’intérêt de l’Europe !
À côté des questions de défense stricto sensu, le Conseil a récemment adopté des conclusions sur le renforcement du volet civil de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC.
Pour sa sécurité, l’Europe doit, me semble-t-il, continuer à avancer sur ses deux « jambes » : civile et militaire.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu ’ au banc des commissions. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.
La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais, en ce mois de juin, l’Europe n’aura été autant ébranlée dans son fondement même, celui d’une coopération toujours plus étroite entre nations partenaires.
On aurait pu croire que le Brexit provoquerait un sursaut de cohésion chez les 27 États membres restants. Las, pour l’heure, il n’en est rien, et une spirale entropique paraît menacer l’Union, au point de risquer demain de la disloquer.
Et les instruments, législatifs comme budgétaires, semblent faire défaut pour calmer la résurgence des nationalismes.
La puissance économique du marché intérieur est aujourd’hui concurrencée, et même endommagée, par la remise en question du multilatéralisme.
De vieilles antiennes protectionnistes venues d’outre-Atlantique alimentent désormais quotidiennement l’actualité et l’Union ressemble trop souvent à une personne frappée d’aboulie, attendant que les événements choisissent pour elle plutôt que d’agir par elle-même.
Le Président de la République l’a, à juste titre, souligné lors de la récente conférence de Meseberg : les chefs d’État ou de gouvernement vont se réunir à un moment de vérité pour l’Europe.
Et cette vérité, en tant que responsables politiques, nous la devons à nos concitoyens, qui méritent une explication honnête et rationnelle des difficultés que nous traversons.
Ce qui est perçu comme urgent aujourd’hui ne date pourtant pas d’hier.
L’année prochaine marquera le 20e anniversaire de l’introduction de l’euro sur les marchés financiers mondiaux.
De notre monnaie commune, nous parlions déjà beaucoup à l’époque, en 1999. Mais ce qui occupa le plus l’actualité, tout au long de l’année 1999, ce fut cette grande frayeur millénariste d’un possible bug informatique susceptible de mettre à mal des pans entiers de notre organisation lors du passage à l’an 2000.
Beaucoup de peur pour pas grand-chose, car rien de sérieux n’advint en la matière.
Et pourtant, avec le recul, on peut dire que 1999 marqua peut-être le début d’un bug, un bug européen, dont nous ne percevons que maintenant les pleins effets.
Je m’explique : à la mi-octobre 1999 se tint, à Tampere, en Finlande, un important Conseil européen – à quinze à l’époque – dont l’objet principal portait – je vous le donne en mille – sur les questions d’asile et d’immigration !
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous en citer les conclusions : « il faut, pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l’asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune ».
Et quels étaient les axes prioritaires qui devaient orienter cette action commune ?
Le premier axe était le partenariat avec les pays d’origine pour « lutter contre la pauvreté, améliorer les conditions de vie et les possibilités d’emploi, prévenir les conflits, consolider les États démocratiques ».
Le deuxième axe était le régime d’asile européen commun fondé sur « l’application intégrale et globale de la Convention de Genève et sur le principe de non-refoulement ».
Le troisième axe était le traitement équitable pour les ressortissants de pays tiers à travers une politique plus énergique en matière d’intégration qui favorise la non-discrimination dans la vie économique, sociale et culturelle.
Enfin, le quatrième axe était une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil se déclarait « déterminé à combattre à sa source l’immigration clandestine, notamment en s’attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l’exploitation économique des migrants ».
Vous noterez que les priorités de l’époque sont presque exactement les mêmes que celles qui sont énoncées dans l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains.
À la différence que, aujourd’hui, nous sommes obligés de prendre des décisions sous la pression et dans l’urgence, assiégés par une crise migratoire souvent exacerbée par des forces politiques qui surexploitent le sentiment d’être « envahis » de toutes parts, alors que la réalité des chiffres est assez différente.
Si l’afflux de demandeurs d’asile et de migrants économiques a été important, surtout à partir de 2015, il aurait assurément été plus aisé de le gérer avec des mécanismes, des ressources et des politiques communes.
Nous ne pouvons le nier, mes chers collègues, dans ce domaine et bien d’autres, le problème fondamental est toujours le même : quand on ne fédéralise pas les ressources et les compétences, nos politiques sont vouées à l’échec.
Nous ne pouvons plus continuer dans cette schizophrénie qui consiste à inscrire dans les traités fondamentaux de l’Union européenne que celle-ci « développe une politique commune de l’immigration », sans doter l’Union des compétences nécessaires pour le faire !
C’est là ce que j’appelle une Europe « à plusieurs freins », à mon avis bien plus dangereuse pour notre avenir commun que la fameuse Europe à plusieurs vitesses, qui, par ailleurs, existe déjà.
La vérité, c’est que les géométries variables qui semblent prévaloir ces jours-ci sur le sujet migratoire ou sur le budget de la zone euro ne devraient pas nous étonner.
Pendant trop longtemps, nous avons laissé s’installer au cœur même de l’Europe des groupes ou des coalitions d’États qui, en bloquant le processus décisionnel européen, arrivent à faire prévaloir leurs intérêts particuliers, ou tout simplement le statu quo.
Nous le constatons évidemment avec le groupe de Visegrád, mais aussi plus récemment avec une coalition de neuf États membres qui s’opposent aux propositions faites par la Commission en matière d’imposition de l’économie numérique.
Dans ce contexte, le moteur franco-allemand reste, à notre avis, essentiel.
L’accord auquel nos deux gouvernements sont parvenus la semaine dernière à Meseberg est un premier pas important vers une possible sortie de crise.
Au moment où nous discutons du prochain cadre financier pluriannuel, nous ne pouvons cacher qu’il faudra très significativement augmenter le budget de l’Union si nous voulons financer des politiques efficaces en matière de contrôle des frontières extérieures, de défense européenne, d’investissement dans les nouvelles technologies.
Et nous devons nous interroger, en toute lucidité, sur la compatibilité d’une telle approche avec des budgets considérablement lestés par le poids des ressources allouées à certains des fonds structurels ou par la charge d’une politique agricole commune qui peine toujours à se réformer.
Chacun veut l’argent de l’Europe, mais bien peu en acceptent les règles et les contraintes.
Dans un contexte global où les pays émergents voient leur économie progresser à un rythme de plus de 5 % par an, alors que la croissance de celle de l’Union est inférieure à 2 % pour une population toujours plus vieillissante, nous ne parviendrons à préserver notre modèle social, notre capacité d’intégration et, au bout du compte, notre aptitude à peser dans le concert très chahuté des nations, qu’en investissant très massivement dans les grandes industries du futur.
Dans le flot des nouvelles inquiétantes entourant l’Europe ces dernières semaines, une orientation très importante concernant le futur cadre financier pluriannuel pour la période 2021–2027 est malheureusement passée relativement inaperçue.
La Commission vient de faire une proposition ambitieuse d’investissement de 9, 2 milliards d’euros, principalement dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité ou encore de la création d’une filière souveraine de supercalculateurs.
Sur ce dernier point, le temps me manque pour vous expliquer le caractère éminemment stratégique que revêt le calcul à haute performance pour l’Europe. Notre commission des affaires européennes vient de faire une proposition de résolution européenne sur ce sujet.
Aussi, il est particulièrement réjouissant d’apprendre que le Conseil, pas plus tard qu’hier, parfois englué au moment de la prise de décision, vient précisément d’approuver le plan très ambitieux proposé par la Commission pour replacer l’Europe dans le peloton de tête mondial de l’industrie des supercalculateurs et combler ainsi, à terme, son retard actuel sur les États-Unis et la Chine.
L’Europe sait parfois nous surprendre agréablement. Espérons qu’il en sera de même à l’issue du Conseil européen de cette fin de semaine.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – MM. René Danesi, Jean-Paul Émorine et Claude Kern, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent également.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, en préambule, par une déclaration préalable qui n’est pas sans rapport avec les sujets de nos débats de ce soir, rendre hommage au courage de notre collègue Christine Prunaud, qui a éprouvé, par une pénible privation de liberté, l’indignité vouée par le gouvernement de la Turquie à l’un des membres de notre Haute Assemblée.
La Commission européenne considère la Turquie comme un « pays sûr ». Manifestement, il ne l’est pas pour les parlementaires français, et encore moins pour les milliers d’intellectuels, d’universitaires, de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme qui y ont été emprisonnés ou privés de travail, de passeport et de droits sociaux.
Il ne faudrait pas que les accords passés avec le gouvernement d’Ankara pour qu’il détourne de l’Union européenne le flux des réfugiés, au prix, notamment, d’un généreux soutien financier, nous conduisent cyniquement à dénier ses dérives autoritaires. Celles-ci l’éloignent inéluctablement des conditions démocratiques d’un État de droit, qui est pourtant l’une des conditions essentielles de la candidature turque à l’Union européenne.
Il est vrai qu’il serait injuste de reprocher cela à la Turquie alors même que nous acceptons, par calcul ou par faiblesse, que les valeurs humanistes que nous continuons de considérer comme le socle de la construction européenne soient de plus en plus souvent bafouées, sans vergogne et sans retenue, par plusieurs États membres.
Il me faut, à mon grand regret, vous en donner quelques exemples par un relevé malheureusement bien peu exhaustif.
Commençons par la Hongrie, dont l’homme fort déclarait, en mars dernier, à propos de Georges Soros, parce que sa famille est d’origine juive : « Nous avons affaire à un adversaire qui est différent de nous. Il n’agit pas ouvertement, mais caché, il n’est pas droit, mais tortueux, il n’est pas honnête, mais sournois, il n’est pas national, mais international, il ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent, il n’a pas de patrie parce qu’il croit que le monde entier est à lui. »
Poursuivant dans ce registre qui évoque la pire propagande des périodes les plus sombres de notre histoire commune, le même éructait ainsi : «Des dizaines de millions de personnes sont prêtes à envahir nos pays, ces masses amènent des crimes et la terreur. Ces masses humaines, venant d’autres civilisations, sont un danger pour notre mode de vie, notre culture, nos coutumes, nos traditions chrétiennes. »
Au Juif et à l’étranger, dans un enchaînement rhétorique typique de l’extrême droite, le vice-premier ministre et ministre de l’éducation de la Pologne ajoutait les homosexuels, dont il considérait que « la croissance n’est dans l’intérêt d’aucune nation ».
Sur ce même terrain nauséabond, le nouveau ministre de la famille italien est allé encore plus loin.
Il déclarait : « La famille naturelle est attaquée. Les homosexuels veulent nous dominer et effacer notre peuple. »
Dans l’infâme catalogue des boucs émissaires classiques de l’extrême droite, il ne manquait plus que les francs-maçons : le nouveau gouvernement italien vient de réparer cette omission en leur interdisant officiellement toute participation ministérielle. Ce faisant, il franchit une nouvelle étape dans la course aux abîmes en bafouant la liberté de conscience, près d’un siècle après les crimes de Mussolini.
Entendant que le Président de la République italienne avait refusé d’investir le nouveau gouvernement, j’ai espéré quelque temps qu’une conscience humaniste s’opposait à cette violation de droits fondamentaux pourtant inscrits dans les traités européens. Las ! L’objet du conflit, comme toujours, ne portait que sur les préventions supposées du ministre de l’économie pressenti contre les dogmes budgétaires européens. Pour le reste, rien ! Le respect du cadre budgétaire européen doit rester l’essentiel.
Ce triste bilan provisoire nous oblige à nous demander ce qu’il reste des valeurs démocratiques de l’Europe et de la mission que lui ont donnée celles et ceux qui ont tenté de bâtir la paix et la concorde sur les ruines encore fumantes des vieilles nations ravagées par la guerre et marquées du sceau inextinguible de la Shoah.
L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fêté son dixième anniversaire l’an passé. Son bilan d’activité, pourtant contraint par le souci de ne heurter aucun État membre, est inquiétant. L’Agence est ainsi obligée de constater que la deuxième décennie du XXIe siècle est caractérisée par le recul des droits fondamentaux.
Pourtant, la Charte des droits fondamentaux de l’Union, dont cette agence est chargée de surveiller l’application, a été adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne et mise en œuvre par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne de 2007 lui donne même une valeur juridiquement contraignante.
À plusieurs reprises, l’Agence a reconnu que plusieurs États n’avaient pas pris en considération les mécanismes européens et internationaux de surveillance des droits de l’homme. Certaines législations nationales violent même délibérément les traités européens. Néanmoins, ces manquements graves ne suscitent que des observations peu dissuasives de la Commission, ce qui entretient un sentiment d’impunité de la part de ces États qui défient ouvertement les instances européennes.
La Charte semble ainsi être devenue un cadre général subsidiaire et facultatif pour les législations nationales, alors qu’elle est, à présent, constitutive du droit primaire de l’Union européenne. De nouveau, on ne peut que s’insurger contre ce traitement différencié, qui exige le respect absolu des normes économiques, mais accepte avec une grande mansuétude la transgression des dispositions européennes relatives aux droits fondamentaux.
Les traités européens relatifs aux droits fondamentaux ne sont pas des éléments accessoires de la construction européenne. Ils en constituent l’âme et la base. Nous devons nous donner comme objectif commun d’apporter à toutes les citoyennes et à tous les citoyens de l’Union européenne l’assurance que leurs droits fondamentaux seront protégés et satisfaits, quel que soit l’État dans lequel elles ou ils résident.
Accepter qu’il puisse en être autrement revient à laisser aux États membres la faculté de choisir, en fonction de leurs seuls intérêts particuliers, les législations européennes qu’ils souhaitent appliquer. C’est réduire l’Union européenne à un marché économique que, paradoxalement, le Royaume-Uni n’aura aucune difficulté à rejoindre demain, après sa sortie de l’Union.
L’Europe est en grand danger. Elle peut mourir de ce rabougrissement à sa seule dimension mercantile. Le risque est grand de voir, dans moins d’un an, au Parlement européen issu des élections de mai 2019, une majorité favorable à cette réduction majeure de ses prérogatives et de ses ambitions.
M. Pierre Ouzoulias. Peut-être est-il déjà trop tard pour leur opposer, comme nous vous le proposons, madame la ministre, une Europe sociale et humaniste qui replace au cœur de son projet la résorption des inégalités, le progrès social et la défense des droits fondamentaux.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Fabienne Keller et Marie-Thérèse Bruguière, ainsi que M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, écoutant les orateurs qui se sont succédé depuis le début de ce débat, ainsi que vous-même, madame la ministre, j’ai été frappé par une communauté de propos qui transcende les différentes travées de notre assemblée.
À vrai dire, madame la ministre, mes collègues ne vous ont pas posé de questions comme cela se fait traditionnellement dans ce débat dit « interactif ». Chacun vous a plutôt exprimé, à sa manière, son inquiétude quant à l’évolution de l’Europe. On a même entendu notre collègue Pierre Ouzoulias se demander si, en fin de compte, les choses ne sont pas déjà allées trop loin. Sont-elles même rattrapables ?
Je partage cette préoccupation de nos collègues, madame la ministre. Les temps sont graves, nous le sentons depuis quelques semaines. Nous avons d’ailleurs, depuis environ deux mois, beaucoup modifié la tonalité de nos interventions, car entre les joies russes ou américaines et les difficultés internes à l’Union européenne, notre approche a dû changer. Nous aurions donc, en quelque sorte, mauvaise grâce à vous poser des questions au sens traditionnel du terme.
Nous vous avons écoutée à de multiples reprises, nous connaissons bien vos analyses, et il nous semble que notre relation avec le Gouvernement et avec votre action personnelle doit se fonder en ce moment non pas sur nos questions, mais sur notre soutien.
En effet, nous mesurons, à l’approche de cette réunion du Conseil européen, la difficulté de vos responsabilités. Nous l’avons mesurée, il y a quelques jours, sur la question du budget européen ; comment pourrons-nous, nous demandions-nous, parvenir à l’unanimité avec des situations aussi différentes ? Nous la mesurons encore sur les questions de défense, qui ont été évoquées il y a quelques minutes par M. Allizard. Nous la mesurons enfin, bien entendu, sur les questions de l’État de droit, que M. Ouzoulias évoquait à l’instant, et qui étaient également présentes, en perspective, dans les propos de M. Requier.
Je voulais donc vous exprimer à nouveau, au nom de mes collègues centristes, l’expression de notre soutien. Vous nous savez attachés à la construction européenne, et nous connaissons l’attachement du Gouvernement à cet égard.
Je voulais également revenir pour vous sur le débat que nous avons eu durant toute la semaine dernière, et qui s’est achevé par notre vote au début de cet après-midi. Il portait sur la réforme franco-française du droit d’asile et de l’immigration. Ce débat a été douloureux, il a été difficile. Il nous a laissé un sentiment de fort malaise. En effet, nous étions sortis de notre zone de confort pour nous confronter à de dures réalités. Au fond de nous-mêmes, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous n’étions pas convaincus par une approche franco-française ; nous sentons bien, en effet, que les problèmes sont de nature européenne.
Cela me conduit tout naturellement à vous demander, madame la ministre, quelle solution le Conseil européen pourra apporter à ce problème. Une solution européenne à ce problème est incontournable et, au-delà de la situation de Mme Merkel, personnalité déjà particulièrement respectable, il est impossible que cette réunion du Conseil s’achève sans solution européenne.
L’idéal serait une solution globale, à vingt-sept ou vingt-huit États. On pourrait aussi trouver une solution d’un niveau quelque peu dégradé, de coopération renforcée, par exemple ; nous n’aimons pas trop utiliser ces éléments, mais cela peut être envisagé dans ce cas précis, à la majorité qualifiée, dès lors que l’Europe de l’Est ne veut pas nous suivre. Une solution pourrait également être trouvée dans le cadre d’accords intergouvernementaux. Je souhaiterais pour ma part une combinaison de ces deux dernières approches, puisque la solution globale est en l’état inaccessible.
Je veux en conclusion vous renouveler, madame la ministre, mon plus entier soutien, ainsi qu’à M. le Président de la République, pour la délicate responsabilité qui sera la vôtre dans quelques jours.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et au banc des commissions. – MM. Éric Gold, Jean-Claude Requier et Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Victoire Jasmin applaudissent également.
La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et vice-président de commission, mes chers collègues, la recherche de cohérence doit être la base de toute politique. Dans le cadre de notre débat préalable à la réunion du Conseil européen, cette cohérence est plus que jamais nécessaire, car l’Europe est aujourd’hui à l’heure des choix. Je sais que cette expression est devenue un mantra, ânonné régulièrement pour décrire des situations variées. Aujourd’hui, néanmoins, il a suffi d’un navire de sauvetage pour mettre en péril notre héritage et mettre au jour les dissensions et les oppositions entre gouvernements européens.
Ce bateau représente, d’une certaine façon, l’honneur de l’Europe, dont il met en lumière les problèmes. Peut-être, au-delà du sauvetage de migrants, pourra-t-il contribuer à sauver notre vision de l’Europe, celle de la solidarité européenne !
Cette recherche de solidarité doit se faire dans un contexte qu’il est possible de qualifier de particulièrement délicat, ou, pour être réaliste, d’extrêmement difficile. Ce ne sont pas les migrants qui sont en train de nous submerger ; ce sont les populistes et l’extrême droite !
En effet, les populismes ne sont plus seulement, en Europe, aux portes du pouvoir : ils l’ont gagné dans les urnes, que ce soit en Italie, en Autriche ou en Hongrie. Ne nous y trompons pas : les forces du conservatisme et de la réaction sont là. Nous assistons, désormais, à une véritable offensive dont nous ne pouvions imaginer l’envergure il y a quelques mois encore.
En Allemagne, la CSU s’est clairement lancée dans une opération de déstabilisation de grande ampleur contre la Chancelière. En Italie, l’extrême droite participe au pouvoir.
Soyons clairs, il n’y a pas de recrudescence de la crise migratoire, mais une instrumentalisation de la crise migratoire.
En effet, au-delà des cas médiatisés, le nombre d’arrivées en Europe a retrouvé son niveau d’avant 2015 ; vous l’avez rappelé, madame la ministre.
Cette diminution est la conséquence des nombreuses mesures qui ont été prises depuis août 2014. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne est désormais systématique grâce à la modification du code frontières Schengen. L’agence FRONTEX s’est vue renforcée quant au nombre des gardes-frontières qui lui sont affectés : une véritable force européenne de gardes-frontières, dotée d’un budget spécifique, a été créée.
De plus, un traitement des demandes d’asile dès l’arrivée sur le territoire européen est mis en place, avec les hotspots, ainsi qu’un système de relocalisation qui permet d’alléger les systèmes d’asile des États membres aux frontières de l’Union.
Enfin, le Conseil a trouvé un accord, le 19 juin dernier, sur un mandat de négociation concernant la réforme du code frontières Schengen et sur le principe de rétablissement des contrôles temporaires aux frontières intérieures n’excédant pas un an au lieu de trois ans comme proposé par la Commission.
Il est, dès lors, inacceptable de céder aux sirènes du populisme et de leur laisser déterminer l’agenda. Pour sauver l’Europe solidaire, nous devons reprendre la main. En effet, même si les statistiques évoluent, force est de constater que la situation reste dramatique sur le terrain. Face à cela, il appartient à notre pays de s’assurer que les règles existantes sont mises en œuvre. J’en prendrai un seul exemple : tous les pays ne respectent pas les règles établies en commun au sommet extraordinaire du 23 septembre 2015.
Il nous faut aussi faire aboutir à l’échelon européen une réforme de l’asile qui soit empreinte d’un esprit de cohérence et de solidarité. Nous n’ignorons pas que le système d’asile européen fait peser le gros du fardeau sur les pays frontaliers comme l’Italie et la Grèce, tandis qu’il permet aux autres d’esquiver leurs responsabilités. La solidarité européenne, d’une certaine façon, c’est Bacchus dans les traités et Harpagon dans les faits !
Ces efforts seraient toutefois lacunaires si on ne les coordonnait pas avec une augmentation tant humaine que budgétaire des moyens de FRONTEX. La Commission européenne a émis dans ce sens une proposition visant à tripler le budget de cette agence et à porter à 10 000 le nombre de gardes-côtes et de gardes-frontières.
De manière plus pressante encore, il nous faut agir sur les causes des migrations, selon les propositions de Mme Merkel ou du Président Macron. C’est la stratégie qui a déjà été adoptée lors du sommet de La Valette, avec le partenariat pour les migrations. Cela s’est pourtant fait au détriment d’autres solutions, peut-être plus innovantes, telle la mise en place d’un OFPRA européen, idée que la France avait défendue durant le précédent quinquennat.
Aujourd’hui, derrière les effets d’annonce, ces solutions semblent patiner, et notre débat d’aujourd’hui est peut-être l’occasion d’informer notre institution de l’état d’avancement de ce partenariat privilégié et des négociations engagées, notamment, avec les pays de transit. D’autant que ces négociations semblent porter sur l’idée d’une externalisation hors de l’Union des centres de demande d’asile.
Quel que soit le nom qu’on veuille leur donner, ces centres seraient dans des pays limitrophes ou de transit. Peut-on imaginer de tels centres dans des pays qui sont encore en état de guerre ou dont les régimes politiques instables pratiquent des exactions ? Comment pourrait-on qualifier de tels pays de « pays sûrs » ? Est-il nécessaire de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme interdit de transférer une personne dans un État où elle risque d’être torturée ? Dans une victoire à la Pyrrhus, va-t-on violer la Convention pour faire survivre l’Union ?
Le groupe socialiste et républicain s’inquiète des manœuvres dilatoires qui conduisent à aller toujours plus loin dans le sens des populismes. Ce n’est pas parce que la présidence tournante de l’UE échoit dans quelques jours à l’Autriche qu’il faut aligner nos valeurs sur celles de « l’axe », pour reprendre la formulation plus que maladroite du Chancelier autrichien Sebastian Kurz.
En effet, n’en déplaise à certains, la réponse ne peut qu’être européenne. Il est illusoire de croire que des mesures nationales pourront résoudre des difficultés internationales. Ce n’est pas en érigeant de nouveaux murs que les personnes arrêteront de fuir la guerre, les persécutions, la pauvreté, ou le désastre climatique.
Au-delà de la solidarité pour les hommes, l’Europe doit aussi être solidaire pour sa construction et son financement.
Ainsi, les négociations vont s’engager sur le cadre financier pluriannuel à l’occasion de cette réunion du Conseil européen. Pour l’heure, les propositions de la Commission européenne ne sont pas à la hauteur des responsabilités, défis et ambitions nécessaires pour que l’Union puisse continuer à être un espace de croissance et de protection.
Nous ne pouvons en revanche qu’encourager les avancées françaises en la matière. Mon groupe est satisfait que la France ait changé son fusil d’épaule sur la politique agricole commune et ait réalisé l’importance de sauver le budget de la PAC. Pourtant, en matière d’asile, ce cadre financier ne prévoit aujourd’hui des fonds significatifs que pour FRONTEX. Si cette question est aujourd’hui au cœur des polémiques européennes, j’ai bien peur que cet engagement ne soit insuffisant.
On peut légitimement s’interroger sur la portée de la contribution proposée, car ce texte reste flou. On y trouve une liste d’options que nous défendons d’ailleurs au Sénat depuis 2013, mais sans aucun montant précis. Des pistes sont proposées tous azimuts pour son abondement, mais elles sont difficilement envisageables à court terme ; ainsi de l’assiette commune pour une imposition sur les sociétés. Face à cette contribution, le Président Macron fait preuve de clairvoyance en reconnaissant que ces propositions doivent encore recevoir le feu vert des dix-sept autres membres de la zone euro. Tout est dit.
L’enjeu est pourtant de taille, car cette contribution risque d’entraîner la zone euro et son budget dans une réforme a minima.
Si les défis que je viens de mentionner sont immenses, il appartient à l’Union européenne d’avancer dans ce contexte difficile, comme elle a su le faire dans le passé. Car il y a – je terminerai par là mon propos – de bonnes nouvelles, et des actions efficaces sont menées à l’échelon européen, preuve que lorsqu’elle veut, l’Europe peut.
La semaine dernière, les ministres des finances de la zone euro se sont entendus sur un vaste accord mettant fin à huit années de crise, d’austérité et de plans de sauvetage pour la Grèce. Cet « accord historique », pour reprendre les mots du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, n’a été possible que grâce à une volonté politique forte.
Lorsqu’ils le veulent, les Européens savent être unis et mettre en œuvre tous les dispositifs à leur disposition. C’est le cas en matière de défense commerciale. Cela devrait être le cas pour les migrations. Ainsi, nous ne pouvons que nous féliciter du fait que le collège des commissaires ait adopté, mercredi 20 juin, le règlement listant les produits américains auxquels l’UE appliquera des tarifs douaniers en réaction à la politique commerciale hostile des États-Unis. Nous pouvons nous en féliciter car il n’est plus possible que les autres grandes puissances prônent la vertu dans les échanges extérieurs tout en protégeant leur marché intérieur. L’Europe a enfin su, sur ce dossier, parler d’une voix unique et forte pour protéger ses intérêts économiques.
En conclusion, comme je le disais il y a quelques instants, l’Union européenne est, une fois de plus, à l’heure de choix importants. C’est maintenant que nous devons donner des preuves de la valeur ajoutée de l’Europe et du caractère incontournable du projet européen, seul à même d’assurer la prospérité, le développement et le bien-être social pour tous les Européens.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain - MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Jean-Paul Émorine et Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent également.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Paul Émorine applaudissent.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme toujours, l’agenda de la réunion du Conseil européen est chargé : migrations, projet de budget, coopération en matière de sécurité et de défense, ou encore réforme de la zone euro devront y être abordés. Sur tous ces thèmes, des avancées ont été récemment réalisées. Oui, n’en déplaise à ses détracteurs, l’Europe avance, le couple franco-allemand avance, la zone euro avance ! Ce Conseil doit être l’occasion de réaffirmer la volonté politique commune des États membres d’avancer plus vite encore.
Ces avancées sont une réalité – je vais y revenir –, mais ne soyons pas naïfs : il y a également des divisions et des blocages, voire des tentations de repli.
Prenons la question des migrations. Nous en avons longuement débattu ces derniers jours et j’ai eu l’occasion de rappeler la portée réellement européenne de cette question.
Faute de réponse commune, le risque de fragmentation de l’Union européenne est réel. Après Budapest, Varsovie, Prague et Bratislava, voilà que Rome et Vienne annoncent la formation d’un « axe » anti-migration. Ces postures n’empêcheront pas les personnes qui fuient la misère et la guerre de tenter leur chance vers l’Europe. Au-delà des slogans de mauvais goût, il nous faut apporter des réponses pragmatiques à cette crise humaine et politique sans précédent.
Nous ne pouvons pas non plus balayer d’un revers de la main les préoccupations de nos partenaires. L’Italie et la Grèce ont trop longtemps été abandonnées à leur sort.
Dans ce contexte de fracture européenne, la France doit défendre une vision équilibrée dans les discussions relatives au règlement Dublin IV : un équilibre entre responsabilité et solidarité.
Responsabilité, d’abord, avec une prise en charge des demandes d’asile plus efficace au niveau du premier pays d’accueil. Il faudra également mieux identifier les demandes « irrecevables et infondées » pour rendre plus efficaces, lorsque nécessaire, les procédures d’éloignement.
Solidarité, ensuite, avec un juste partage du fardeau entre les États membres par le biais d’un mécanisme de répartition des demandeurs d’asile et d’un soutien financier aux pays en première ligne de la crise des migrants.
Enfin, l’Union européenne doit prendre des mesures fermes et efficaces contre les passeurs qui exploitent la misère humaine et mettent en danger la vie de milliers d’exilés.
Pour relever l’ensemble de ces défis, l’argent est comme souvent le nerf de la guerre.
L’Union européenne doit consacrer des moyens plus importants au contrôle de ses frontières et à sa politique de l’asile.
Cette insuffisance est en partie la faute des États membres : on ne peut pas, d’un côté, refuser de donner des moyens à l’Union européenne et, de l’autre, déplorer son inefficacité.
Dans ce domaine, le projet de cadre financier pluriannuel présenté en mai par la Commission européenne va dans le bon sens, même si cela reste insuffisant : il prévoit un quasi-triplement des dépenses relatives à la gestion des frontières extérieures, des migrations et de l’asile.
Notre assemblée l’a affirmé avec force récemment, cette augmentation de l’effort sur des politiques importantes ne doit pas se faire au détriment de la politique agricole commune. Nous défendons au contraire une stabilisation en valeur de la PAC grâce un budget européen global plus important. En réalité, le débat entre prétendues dépenses nouvelles d’avenir et politiques historiques dépassées est stérile ! La PAC est une politique d’avenir au même titre que les autres politiques de l’Union européenne ; elle permet de préserver notre souveraineté alimentaire et de proposer à nos concitoyens une alimentation de qualité.
Nous ne pourrons stabiliser ou augmenter les politiques communes que si elles sont financées par un système de ressources propres robuste et pérenne. Les rabais et autres « rabais sur le rabais » devront être supprimés avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’annonce récente d’un budget de la zone euro pourrait combler cette insuffisance. Cette proposition est issue d’une initiative franco-allemande, preuve supplémentaire qu’un couple franco-allemand fort et équilibré est la condition du dynamisme européen.
Ces crédits mis en commun entre les dix-neuf États membres de l’Union économique et monétaire serviraient à investir dans l’avenir de nos économies et dans la stabilisation de la zone euro face à des chocs économiques de grande ampleur. Cette avancée peut se révéler historique si elle se concrétise.
Néanmoins, plusieurs questions se posent. Quel sera le montant de ce budget ? Comment sera décidé son emploi ? Par quelles ressources sera-t-il alimenté ? Ces questions devront être tranchées avant 2021 si nous souhaitons la meilleure articulation possible avec le futur cadre financier pluriannuel de l’Union.
Nous estimons dans tous les cas qu’une telle avancée, que nous approuvons, ne peut se faire sans les peuples. L’approfondissement de la zone euro est aussi un défi démocratique.
Nous appelons à la nomination d’un ministre des finances de la zone euro, qui pourrait également être commissaire européen et président de l’Eurogroupe. Il devra être responsable devant une « formation zone euro » du Parlement européen réunie, bien entendu, à Strasbourg.
Toutes ces avancées sont positives, elles sont nécessaires.
J’aurais pu également évoquer les progrès dans le domaine de l’Europe de la défense. Ces progrès sont notamment réels en matière industrielle. J’aurais pu évoquer la conquête spatiale, enjeu véritablement majeur, mais trop méconnu, de la construction européenne. J’aurais pu encore évoquer l’Europe sociale, l’Europe de la culture, l’Europe de la jeunesse.
En vérité, mes chers collègues, nous nous rendons bien compte au quotidien, dans nos débats législatifs sur l’asile, sur l’alimentation et bientôt sur la fraude fiscale, que l’échelle européenne est à la fois omniprésente et décisive. Cette conscience profonde que les grands défis de notre temps ne peuvent être traités efficacement qu’au niveau européen, nous devons la communiquer à nos concitoyens. Nous devons briser les lieux communs qui font le jeu des populistes.
L’Europe n’est pas lointaine, elle est partout autour de nous. L’Europe n’est pas une menace, elle est une chance pour nos concitoyens. L’Europe n’est pas une faiblesse, elle est une force pour la France.
Alors que les élections européennes approchent à grands pas, c’est notre responsabilité historique de responsables politiques de contribuer à un débat public informé et de qualité pour retrouver l’esprit des pères fondateurs !
MM. Jean-Pierre Decool, Éric Gold et André Gattolin, ainsi que Mme Sylvie Vermeillet applaudissent. – Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste.
Mme Sylvie Vermeillet applaudit.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, comme à chaque débat préalable au Conseil européen, les sujets que nous abordons sont très variés.
Loin de diluer les questions européennes, cela nous permet de suivre avec attention l’évolution de l’Union et d’échanger sur sa construction perpétuelle. L’actualité nous prouve à quel point l’Europe est un sujet majeur pour notre avenir ; elle questionne son rôle, même si l’Europe doit aussi apporter des solutions.
Alors que le Royaume-Uni vient de promulguer sa loi sur le Brexit, qui confirme sa sortie de l’Union européenne le 29 mars 2019, je me concentrerai sur cette question, ainsi que sur ses impacts sur la zone euro.
Deux ans après le référendum sur le Brexit, de nombreuses zones de flou restent à éclaircir entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Nous sommes particulièrement inquiets de l’aboutissement des négociations.
D’ailleurs, Michel Barnier, négociateur en chef, a annoncé il y a moins de trois semaines que le plan du gouvernement britannique n’était pas acceptable pour l’Union. Manifestement, les Britanniques cherchent à faire porter à l’Europe les conséquences de leur choix, sans en assumer la véritable responsabilité. Actuellement, cela se cristallise notamment par la question de l’Irlande du Nord et de l’absence d’alignement des réglementations entre les deux Irlande.
Pourriez-vous, madame la ministre, faire un point sur l’avancement des négociations et sur les hypothèses de travail avec le Royaume-Uni ? Pourriez-vous également nous confirmer la fermeté de la France vis-à-vis de ce pays ? La sortie souhaitée ne peut pas être plus favorable pour lui que son maintien dans les règles de l’Union européenne.
Naturellement, en ce qui concerne la zone euro, le Brexit aura aussi une incidence forte. Il y a quelques jours, la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, affirmait que les sociétés financières britanniques seraient nombreuses à traverser la Manche. Pour elle, « il est crucial de faire en sorte que tout soit prêt en termes de régulation et de supervision pour l’arrivée massive d’entreprises financières qui finiront par déménager de l’endroit où elles sont à l’heure actuelle pour l’Europe continentale, et l’Irlande ».
Le monde économique est en train d’intégrer ce Brexit plus rapidement que le monde politique. Il est en train de l’anticiper. Pour cela, les États membres doivent être prêts. Le pire scénario pour les entreprises, notamment le milieu des affaires, et pour nous, serait une forme de retour en arrière au milieu du Brexit.
D’ailleurs, on commence à sentir un léger revirement dans les déclarations de Theresa May sur la sortie du marché unique. Celle-ci tente de négocier un accord de libre-échange incluant les services financiers essentiels à l’économie de son pays. Compte tenu de l’anticipation de nombreuses banques établies à Londres, ce sont près de 10 000 emplois qui pourraient être concernés et relocalisés. Pour l’instant cette relocalisation vers Francfort, Paris, Dublin ou Amsterdam se fait attendre.
Une forme de guerre économique et de l’emploi pourrait avoir lieu. Nous estimons que l’Union européenne doit en sortir gagnante et que ce ne sont pas ceux qui veulent la quitter qui doivent en tirer parti. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte.
Madame la ministre, que peuvent faire votre gouvernement et l’Union pour rassurer les acteurs économiques sur l’avenir du marché unique ?
Enfin, vous comprendrez qu’après la déclaration de Mme Merkel, je ne peux pas passer sous silence la question de Strasbourg comme siège unique et capitale européenne !
M. Claude Kern. Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que M. le Président de la République et le Gouvernement défendront avec fermeté la position de Strasbourg ?
Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu ’ au banc des commissions.
La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu en raison d’un voyage officiel avec le Président de la République.
N’hésitons pas à le dire : l’Europe est aujourd’hui en danger, tant les défis à affronter sont immenses.
Les partenaires français et allemand ont réaffirmé récemment, à Meseberg, leur volonté de relancer et de réformer l’Europe. Le Président de la République en a fait une de ses priorités depuis le discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Mais notre partenaire allemand est resté enlisé de nombreux mois dans un processus électoral à l’aboutissement incertain. La situation de la Chancelière allemande demeure fragilisée.
La négociation du Brexit continue de mobiliser une énergie considérable.
Des élections nationales ont eu lieu en Hongrie, puis en Italie, qui ont vu la victoire de partis eurosceptiques et ont confirmé la défiance d’une partie croissante de l’opinion publique européenne vis-à-vis d’une Europe divisée, qui ne parvient pas à rassurer ni à protéger ses citoyens dans un monde globalisé où les menaces s’accumulent.
Mes chers collègues, les élections européennes de l’an prochain seront cruciales pour l’avenir de l’Union.
S’agissant de la défense de l’Europe, la dynamique enclenchée en 2016 dans le cadre de la stratégie globale de l’Union européenne est, disons-le, positive.
Des instruments sophistiqués ont été mis en place, avec l’activation de la coopération structurée permanente, la CSP, prévue par le traité de Lisbonne. Lancée en décembre dernier, cette CSP est pour le moins inclusive, puisqu’elle comprend vingt-cinq pays membres, c’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne à vingt-sept, sauf le Danemark et Malte. On est donc loin de l’idée d’une avant-garde de quelques pays particulièrement en pointe, capables de financer des programmes communs et d’avancer dans un cadre intergouvernemental.
Une liste de dix-sept projets initiaux a été établie sur des projets divers. L’un d’eux est relatif à la mobilité militaire, c’est-à-dire la réduction des barrières aux mouvements de forces militaires à l’intérieur de l’Europe. Ce projet s’inscrit en réalité dans le cadre de la déclaration conjointe Union européenne-OTAN du mois de juillet 2016.
Dès lors, quelle est l’identité propre à la CSP et sa contribution à l’autonomie stratégique européenne ? Comment parvenir à cette culture stratégique commune que la France et l’Allemagne appellent de leurs vœux, malgré les différences d’approche ?
Le Président de la République a récemment proposé d’ajouter une couche institutionnelle supplémentaire. En lançant l’idée d’initiative européenne d’intervention, n’est-ce pas déjà l’aveu d’un certain manque d’ambition, ou de caractère opérationnel, des initiatives précédentes ?
Dans la déclaration de Meseberg, un autre format a encore été évoqué pour la politique étrangère de sécurité et de défense : un Conseil de sécurité de l’Union européenne. Comment envisagez-vous ce Conseil de sécurité, madame la ministre ? Quelles seraient ses prérogatives ? Comment s’articulerait-il, en particulier, avec l’initiative européenne d’intervention ?
Les cadres existent, les avancées sont nombreuses, mais l’essentiel reste à faire. Le défi ne pourra être relevé que par l’aboutissement de projets concrets. De ce point de vue, la déclaration de Meseberg mentionne le système de combat aérien futur – le SCAF – et le système majeur de combat terrestre – le MGCS, pour Main Ground Combat S ystem –, qui constitueront des tests majeurs pour l’Europe de la défense. Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’état d’avancement de ces projets et le calendrier de leur mise en œuvre ?
Après l’Europe de la défense, je veux aborder l’Europe de la sécurité et le contrôle des frontières extérieures. Quelque 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus dans ce domaine.
Alors oui, des progrès ont été réalisés, parmi lesquels le renforcement des contrôles aux frontières extérieures, le déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de gardes-côtes en appui aux 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres, l’amélioration de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations.
Concernant la coopération avec les pays tiers, la Commission européenne a proposé une augmentation substantielle des effectifs et du budget de FRONTEX après 2020. Il s’agit d’une très bonne décision.
Cependant, la réforme du régime d’asile européen commun demeure un point de discorde majeur. Cette question des migrations est d’une actualité brûlante – on le sait – et dramatique. Elle menace non seulement l’unité de l’Europe, mais aussi la pérennité des valeurs sur lesquelles elle est fondée.
Le Président de la République a récemment dénoncé l’attitude de l’Italie en invoquant l’application du droit international maritime. Mais que valent soixante et un ans de construction européenne si nous ne savons répondre à l’une des plus graves crises que l’Europe ait connue depuis sa fondation qu’en invoquant l’application du droit international commun ?
Il n’y aura pas de solution sans action dans les pays de départ des migrants : il faudra mieux informer et développer l’activité économique.
Le récent sommet franco-allemand a rappelé, à ce sujet, le modèle de la déclaration entre l’Union européenne et la Turquie de 2016. Pouvez-vous, madame la ministre, faire un point sur la mise en œuvre de cette déclaration Union européenne-Turquie, et les actions concrètes envisagées par la France et l’Allemagne pour davantage soutenir les pays d’origine et de transit des migrations ?
Je terminerai sur la stabilisation des contours de l’Union.
Nous appelons à la plus grande prudence, s’agissant des perspectives d’élargissement.
Le Président de la République a validé cette approche à l’égard de la Turquie, en préconisant une reformulation du dialogue, pour sortir d’une certaine hypocrisie mutuelle. Le fait est que le processus est au point mort, l’évolution récente de la Turquie, de même que la situation de l’Union européenne, interdisant toute avancée.
Mais, par ailleurs, la présidence bulgare a souhaité mettre l’accent sur le processus d’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux. Des négociations sont en effet en cours avec la Serbie et le Monténégro, dont l’adhésion est envisagée à l’horizon 2025.
Je ne nierai pas la dimension historique et géopolitique de ce processus, qui est importante mais, franchement, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ? Pourquoi fixer l’échéance à 2025, au risque de décevoir ces pays par la suite ?
Tirons les enseignements du référendum sur le Brexit, en nous concentrant sur la consolidation de l’Union européenne, avant de poursuivre un processus d’élargissement qui inquiète les opinions et risque de fragiliser encore un peu plus l’Europe !
Madame la ministre, je vous remercie des renseignements et des réponses que vous apporterez à mes questions.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Claude Requier, ainsi que Mmes Colette Mélot et Victoire Jasmin applaudissent également.
La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit certainement du Conseil européen le plus ambitieux depuis l’élection du Président de la République. Malheureusement, le défi migratoire a pu éclipser certains points de son ordre du jour. C’est pourquoi je me permettrai de revenir sur ceux, abordés ou non précédemment, qui intéressent particulièrement la commission des finances.
Concernant tout d’abord le sommet de la zone euro, celui-ci intervient quelques jours après la déclaration de Meseberg, qui détaille les propositions communes de la France et de l’Allemagne. Cette déclaration pourrait certes agir comme un catalyseur de la réforme de la zone euro, mais il faut noter qu’elle reste en deçà des ambitions initiales de la France, et que le sommet pourrait se heurter à la persistance de désaccords entre les États membres.
L’Allemagne semble avoir surmonté son refus d’un budget propre de la zone euro, mais sa concrétisation demeure floue, puisque ni son montant ni ses sources de financement n’ont fait l’objet d’un accord. Par ailleurs, plusieurs États membres, tels que les Pays-Bas, la Suède et le Danemark, ont exprimé leur refus de ce budget de stabilisation, à l’occasion de l’Eurogroupe de la semaine dernière.
Madame la ministre, si la perspective d’un budget de la zone euro devait se concrétiser à moyen terme, nous resterons vigilants sur les termes de sa concrétisation et nous veillerons à ce qu’il n’échappe pas à la surveillance des parlements nationaux.
Quant à l’achèvement de l’union bancaire – autre sujet qui intéresse la commission des finances –, nous ne pouvons que nous réjouir de l’accord concernant la création d’un filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique, dont la fonction reviendra au Mécanisme européen de stabilité, le fameux MES.
En particulier, le fait que le secteur bancaire soit dans l’obligation de rembourser les fonds prêtés dans un délai de cinq ans constitue à nos yeux un gage de crédibilité : le principe du bail-in est respecté et les deniers publics ne seront pas utilisés pour pallier les pertes d’une banque défaillante.
Néanmoins, la feuille de route franco-allemande renvoie discrètement l’examen des modalités de la mise en œuvre de la garantie européenne des dépôts bancaires à une date ultérieure. Étant donné que les débats relatifs au troisième pilier de l’union bancaire ont débuté il y a plus de trois ans maintenant, et que le nombre de prêts non performants au sein de la zone euro a décru, l’absence d’un engagement plus ferme traduit sans doute un abandon progressif de cette mesure.
En ce qui concerne les questions économiques et fiscales à l’ordre du jour du Conseil européen, trois points principaux doivent être soulignés.
Premièrement, le Conseil européen approuvera les recommandations par pays du semestre européen. Celui-ci a notamment été marqué par la sortie de la France de la procédure de déficit excessif.
S’il faut s’en féliciter, madame la ministre, j’attire votre attention sur le fait que cette sortie ne signifie pas la fin des efforts budgétaires de la France. Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques vient de souligner que la réduction du déficit structurel constaté en 2017 résulte davantage de l’élasticité des prélèvements obligatoires – en clair, de nos bonnes recettes fiscales – que d’un resserrement de la dépense publique. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler bientôt à travers « Action publique 2022 ».
La crédibilité budgétaire de la France passe donc par la continuité de nos efforts en matière de réduction et de rationalisation de la dépense publique.
Deuxièmement, les annonces de la Commission européenne du 2 mai dernier concernant le prochain cadre financier pluriannuel seront discutées par les États membres.
Dans un contexte perturbé par le retrait du Royaume-Uni et la volonté de redéployer les crédits du budget de l’Union européenne vers de nouvelles priorités politiques, plusieurs politiques communes devraient faire l’objet de coupes budgétaires.
Si la France apparaît relativement préservée par rapport à ces voisins européens, deux sujets interpellent la commission des finances.
D’une part, comme l’a souligné le Parlement européen en adoptant une résolution à la fin du mois de mai, il est regrettable que la Commission européenne ait tardé à transmettre des prévisions budgétaires chiffrées avec exactitude. L’opacité des modalités de calcul a complexifié la tenue d’un débat démocratique de qualité.
D’autre part, la position du gouvernement français dans les négociations à venir semble parfois contradictoire. En effet, ici même au Sénat, nous avons entendu le commissaire en charge du budget, Günther Oettinger, mettre en exergue le discours ambigu, voire le double discours de la France. Ainsi, les autorités françaises à Bruxelles ne défendraient apparemment pas une augmentation globale du budget de l’Union européenne, et ne font pas de la réduction des crédits alloués à la politique agricole commune une ligne rouge, contrairement aux communiqués de presse du ministère de l’agriculture.
Madame la ministre, au regard de ces propos un peu dissonants, pourriez-vous clarifier la position du gouvernement français quant aux annonces de la Commission européenne sur le prochain cadre financier pluriannuel ?
Troisièmement, le chantier de la fiscalité n’a pas fait l’objet de progrès depuis le dernier Conseil européen de mars dernier. Nous pouvons par exemple regretter que les propositions de la Commission européenne en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, notamment les GAFA, n’aient pas été intégrées dans le volet « ressources » des annonces pour le prochain cadre financier pluriannuel.
Depuis mon déplacement récent à Berlin, j’ai rencontré un certain nombre de représentants de l’administration fiscale et de membres de la commission des finances du Parlement, et j’ai conscience qu’il sera probablement très difficile de mettre en place cette taxe transitoire à 3 %.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne se sont accordées pour défendre la proposition de directive de la Commission européenne concernant l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, sans pour autant s’engager sur un calendrier. Par conséquent, je ne peux que réitérer mes propos de mars dernier en encourageant la France à s’investir pour permettre une prise de décision plus rapide en la matière.
Enfin, le Conseil européen se réunira dans la configuration prévue par l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, pour examiner l’état d’avancement des négociations du Brexit.
Alors que le dernier Conseil européen avait permis de trouver un accord sur la période de transition et sur l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange, les négociations sont aujourd’hui au point mort. L’inextricable question irlandaise et les difficultés politiques rencontrées par Theresa May éloignent la perspective d’un accord prochain sur la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le Conseil européen devrait acter l’inertie des négociations, mais ce simple constat n’est pas satisfaisant.
Madame la ministre, pourriez-vous nous expliquer comment la France compte agir pour surmonter le blocage actuel des négociations ?
Voilà quelques-unes des nombreuses questions que je souhaitais vous poser sur des sujets diversifiés, qui intéressent particulièrement la commission des finances.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Claude Raynal, ainsi que Mme Victoire Jasmin applaudissent également.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir dans un contexte particulièrement périlleux. Disons-le clairement : l’Europe est en danger. Dans son rapport publié en février 2017, le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne invitait à un sursaut. Et nous continuons de le dire aujourd’hui, tant les défis à affronter sont immenses !
Nous venons de faire un point d’étape. Le rapport est à la disposition de nos collègues.
Le constat est mitigé. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours ambitieux que le Président de la République a tenu à la Sorbonne le 26 septembre 2017 et, malheureusement, la modestie des résultats obtenus. La méthode était-elle la bonne ? Au catalogue des nombreuses mesures annoncées n’aurait-il pas fallu privilégier une démarche plus pragmatique, concentrée sur les sujets susceptibles d’aboutir à un consensus ?
Or le temps presse. Nous ne pouvons pas rester inertes devant la montée des populismes. Les récentes élections hongroises et italiennes agissent comme une piqûre de rappel. Les opinions publiques européennes sont de plus en plus défiantes face à une Europe divisée, qui ne répond pas à leur besoin de protection.
La crise migratoire concentre légitimement les inquiétudes. Elle illustre tragiquement l’impuissance de l’Europe à agir. Nous prenons acte de certains progrès – il faut le reconnaître – comme le renforcement de FRONTEX que la Commission européenne propose d’amplifier dans le prochain cadre financier pluriannuel. Cependant, parallèlement, la réforme du système européen d’asile est enlisée. Plus profondément, on ressent un grand décalage entre la lenteur du processus européen et l’urgence des réponses à apporter.
Le sommet à seize États, qui vient de se tenir à Bruxelles, n’a malheureusement pas débouché sur des solutions concrètes. Madame la ministre, que peut-on espérer du Conseil européen ? L’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de passeurs et de réseaux criminels qui profitent de la détresse humaine. Le secours en mer est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit porter le débat au niveau international sur la reconduite des bateaux vers leur port d’origine.
Nous examinerons avec beaucoup d’attention la directive Procédures, qui est en cours de seconde lecture à Bruxelles, et qui va redéfinir le concept de « pays tiers sûr ». J’avoue être déjà un peu inquiet à la lecture des commentaires de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur ce point. Le Sénat sera à vos côtés, si vous le souhaitez, madame la ministre, pour être extrêmement ferme sur le sujet.
La conférence ministérielle, qui s’est tenue à Niamey le 16 mars, semble marquer un engagement sans précédent des États africains. Qu’en est-il concrètement de la mise en œuvre de la déclaration adoptée à cette occasion ? Il faut aussi construire des centres d’accueil ou hotspots dans les pays d’accueil ou de transit aux portes de l’Europe. Développons avec ces pays des partenariats ambitieux dans l’esprit du sommet de La Valette, mais exigeons aussi leur coopération active en matière de réadmission.
Face aux nombreux défis que l’Union européenne doit relever, le moteur franco-allemand peine à se concrétiser. Il a pâti de l’incertitude politique en Allemagne, même si la déclaration commune de Meseberg, publiée le 19 juin 2018, intègre finalement des éléments concernant l’avenir de la zone euro. S’il existe aujourd’hui un soutien allemand aux projets du Président de la République, comme le budget de la zone euro, les dispositifs restent à élaborer. La Commission européenne a, quant à elle, présenté des pistes de réforme a minima. Le renforcement du pilotage exécutif de la zone euro n’est pas abordé et l’association des parlements nationaux n’est pas évoquée.
Au plan institutionnel, la déclaration de Meseberg insiste sur la réduction du nombre de commissaires, mesure que nous soutenons. En revanche, nous restons réservés sur des listes transnationales à partir des élections européennes de 2024. Cela étant, nous saluons le souci de passer à la règle de la majorité qualifiée sur un certain nombre de sujets, qu’il s’agisse des problématiques de défense ou d’autres questions, afin d’éviter la paralysie de l’Europe.
Les échanges sur le cadre financier pluriannuel feront figure de test sur une vision commune franco-allemande pour l’avenir de l’Union. Vous connaissez la position du Sénat, madame la ministre. Elle est claire : la politique agricole commune et la politique de cohésion ne peuvent servir de variable d’ajustement, au risque de fragiliser encore davantage la ruralité, ce qui entraînera par « effet domino », si je puis dire, une fracturation de la société française.
À juste titre, la présidence bulgare a mis en avant la stabilité dans les Balkans occidentaux. Nous y sommes très attentifs. Toutefois, la priorité doit être donnée à des progrès significatifs, tant sur l’organisation institutionnelle, l’État de droit, que sur le plan économique. Prenons garde à ne pas ignorer l’état de nos opinions publiques très réticentes face à un processus d’élargissement qui ne serait pas maîtrisé ? Nous l’avons dit à de nombreux interlocuteurs que nous rencontrons, tant dans nos déplacements que lorsque nous les accueillons : nous nous situons toujours dans une phase d’approfondissement de l’Union européenne.
Enfin, je veux évoquer la négociation du Brexit. Nous soutenons l’action du négociateur de l’Union européenne, notre compatriote Michel Barnier. Sa tâche est difficile face aux atermoiements et aux profondes divisions que l’on constate au Royaume-Uni. Notre groupe de suivi se rendra à Dublin, Belfast et Londres au début du mois de juillet.
Nous devons vous faire part de la profonde inquiétude des citoyens européens installés, souvent de longue date, au Royaume-Uni, singulièrement de nos compatriotes. En clair, nombre d’entre eux font l’objet de mesures et de propos discriminants, particulièrement intolérables. Nous les avons rencontrés et leurs témoignages sont assez poignants.
La question irlandaise n’est toujours pas résolue. Elle conditionne pourtant tout accord de retrait. Les récentes propositions de Mme May laissent sceptiques. Nous mesurons chaque jour davantage l’impact économique désastreux du Brexit. Les différentes études publiées par des cabinets spécialisés annoncent, selon qu’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soit conclu ou non, et selon la nature de cet accord, un coût compris entre 35 milliards d’euros et 70 milliards d’euros par an – dans l’hypothèse où aucun accord ne serait signé. Cette somme est à partager entre l’Europe à vingt-sept et le Royaume-Uni. Autrement dit, il s’agit d’un suicide économique collectif.
La récente annonce d’Airbus de retirer ses investissements au Royaume-Uni si aucun accord n’était trouvé ou en cas de « Brexit dur » en est une nouvelle illustration. L’Union doit défendre ses intérêts et veiller, pour l’avenir, à garantir l’intégrité du marché unique, qui n’est pas un libre-service. Sur tous ces points, que peut-on attendre concrètement du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, merci tout d’abord pour vos interventions. Je vais revenir sur les principaux thèmes que vous avez abordés.
Vous avez été nombreux – M. le président Bizet, M. Requier, M. Allizard, M. Gattolin, M. Raynal, Mme Mélot, M. Bonnecarrère et M. del Picchia – à évoquer la question des migrations. Cela me donne l’occasion d’apporter des précisions.
Vous êtes revenus sur le cas de l’Aquarius et sur celui du Lifeline. Permettez-moi de dire que la France a pleinement pris la mesure du défi auquel l’Italie est confrontée depuis quelques années. Elle prend sa part de cet effort. Nous le faisons en accélérant les relocalisations, nous sommes la deuxième destination en Europe pour les personnes sous protection relocalisées. Nous participons à l’opération navale Sophia pour lutter contre les trafiquants d’êtres humains au large de la Libye et former les gardes-côtes libyens. Nous avons régulièrement été présents dans l’opération Triton de FRONTEX, nous le sommes désormais dans l’opération Thémis. Je ne reviens pas sur notre rôle pour la stabilisation de la Libye.
Je partage votre opinion, madame Mélot, les États membres doivent davantage prendre leurs responsabilités. Cela vaut bien évidemment pour l’Italie. Nous devons ensemble choisir la coopération plutôt que le repli et agir avec clarté et fermeté, dans le plein respect de nos valeurs.
C’est le sens de la réunion qui s’est tenue le 24 juin à Bruxelles, qui a été utile, pour préparer le Conseil européen et rappeler la nécessité du débarquement dans le port sûr le plus proche, mais en le faisant de façon sérieuse, dans des hotspots renforcés, bénéficiant d’un soutien européen sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui, à la fois financièrement et par des relocalisations. C’est, d’ailleurs, la meilleure solution pour le Lifeline, applicable dans d’autres cas : un débarquement soit en Italie, soit à Malte, et l’envoi de missions de l’OFPRA et d’agences homologues européennes, contribuant ainsi à limiter la charge pesant sur le pays de première entrée.
Nous devons renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, en particulier en accroissant les effectifs de FRONTEX. Notre volonté politique est claire : il nous faut voir en détail comment concilier le renforcement de ses pouvoirs et les responsabilités de police propres aux États membres.
Je dirai maintenant un mot sur le règlement de Dublin. Renvoyer sa révision à plus tard ne ferait qu’aggraver les choses. Nous devons au contraire trouver une solution d’ensemble qui l’inclut. Je vous rassure, monsieur Raynal, la France défend avec conviction le projet d’une agence européenne de l’asile et combat l’idée de déporter vers des pays tiers les demandeurs d’asile.
Enfin, vous m’interrogez, monsieur del Picchia, sur l’état de la relation entre l’Union européenne et la Turquie dans la gestion de la crise migratoire. Cet accord fonctionne de façon satisfaisante, en dépit des tensions régulièrement causées par la Turquie, en mer Égée ou lorsqu’elle maintient en prison des soldats grecs. Il faut maintenant finaliser avec le Parlement l’accord sur le financement de la deuxième tranche de la facilité pour les réfugiés en Turquie, laquelle, je le rappelle, ne bénéficie qu’à des ONG et à des acteurs locaux, et non à l’État turc.
Je partage, monsieur Ouzoulias, votre sentiment sur l’évolution de la Turquie. Le conseil des affaires générales en a pris acte aujourd’hui en inscrivant qu’il n’était pas possible, en l’état actuel de l’évolution du régime turc, de poursuivre le processus de négociation pour l’adhésion de la Turquie.
Je partage également votre sentiment sur l’évolution de l’État de droit en Europe, en particulier en Pologne. La première audition de la Pologne s’est tenue cet après-midi lors du conseil des affaires générales dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 7 du traité. Pour la première fois, la Pologne était invitée à répondre, de façon détaillée et longuement, aux interrogations et aux doutes que suscite l’évolution des réformes de son système judiciaire.
Je reviens sur les questions migratoires. Je ne m’étends pas sur la nécessité de renforcer nos efforts avec les pays d’origine et de transit et d’améliorer le partenariat avec la Libye. Vous savez que cette dimension externe est fondamentale.
Plusieurs d’entre vous – M. le président Bizet, M. le rapporteur général de la commission des finances, M. Raynal et Mme Mélot – ont souhaité revenir sur les sujets relatifs à la zone euro et à la proposition franco-allemande de budget pour la zone euro.
L’accord franco-allemand de Meseberg est une avancée significative puisqu’il prévoit un véritable budget de la zone euro, qui financera des investissements dans l’innovation et le capital humain et contribuera à la stabilité de la zone.
Il sera alimenté par les États membres et des ressources européennes. Il n’a pas été facile d’arriver à cet accord, tant les craintes sont fortes en Allemagne d’encourager une union de transfert. La Chancelière a fait preuve d’un réel courage politique, dans un contexte qui est, nous le savons, très sensible.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez évoqué l’union bancaire. Dans ce domaine également, les choses avancent puisque, après l’accord trouvé le 25 mai sur le « paquet bancaire », nous avons progressé en franco-allemand sur la mise en œuvre d’un filet de sécurité – un backstop – pour le Fonds de résolution unique.
Nous avons aussi trouvé un accord sur la proposition de la Commission relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, l’ACCIS, et pour parvenir d’ici à la fin 2018 à un accord sur une taxation équitable du numérique. Ce n’est pas un mince sujet, et nous espérons que cet accord franco-allemand permettra des convergences européennes plus larges. Il est clair, monsieur de Montgolfier, que les progrès sont plus limités dans ce domaine que sur le système européen de garantie des dépôts, le SEGD, mais le travail va se poursuivre, comme convenu à Meseberg.
Enfin, je vous le concède, madame Mélot, les discussions ont moins porté sur l’architecture institutionnelle de la zone euro durant cette rencontre franco-allemande que sur le fond. C’est d’ailleurs volontaire, car il faut d’abord que nous nous mettions d’accord sur ce que serait un budget de la zone euro. Mais je veux vous rassurer sur le fait que la France demeure attachée à la promotion d’un ministre et d’un Parlement pour la zone euro.
Pour répondre à vos interrogations sur le Brexit, monsieur le président Bizet, monsieur Kern, j’indique que je partage votre inquiétude sur l’absence d’avancée ces dernières semaines, en particulier sur la question si sensible de l’Irlande du Nord. Le temps presse et le flou des positions britanniques est inquiétant. Une absence d’accord est donc possible, nous nous y préparons.
En réponse à votre remarque sur la frontière irlandaise, monsieur le président, je vous indique que la France soutient la position de Michel Barnier, qui considère la proposition britannique comme inacceptable et inopérante. Seule la solution du backstop, limité à l’Irlande du Nord, proposée par la Commission, nous semble aujourd’hui réaliste.
Enfin, concernant le cadre des relations futures, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur, monsieur Kern, le Royaume-Uni a publié une dizaine de papiers de position dans lesquels la logique est trop souvent de conserver tous les avantages de l’appartenance au Marché unique, sans en supporter les obligations, ce qui ne saurait être acceptable.
Il ne peut y avoir de marché unique à la carte et il ne peut pas y avoir de situation plus avantageuse pour un État tiers que pour un État membre.
Quant aux discussions sur le futur cadre financier pluriannuel, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur Requier, madame Mélot, elles sont censées être brèves et centrées sur la durée de la négociation. Nous sommes résolus, vous le savez, mais je vous remercie de me donner une occasion supplémentaire de le dire, à défendre la PAC de façon déterminée. Je l’ai dit dès le mois de novembre 2017, je l’ai répété à maintes occasions, au commissaire Oettinger. Je ne peux donc qu’être surprise qu’il ait cru pouvoir tenir un double langage, en particulier devant la représentation nationale. Le président de la Commission et l’ensemble du collège des commissaires, dont M. Oettinger, que le Premier ministre et moi-même avons rencontrés la semaine dernière, savent tous que, pour nous, il ne peut être porté atteinte à la politique agricole commune.
M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.
Lorsque le commissaire Oettinger s’est exprimé devant vous et qu’il a cru devoir s’étonner de la position que nous avions prise sur le budget de 2018, il rappelait la position qui était celle de la plupart des États membres de l’Union, consistant, en début d’année, à demander à la Commission de prévoir des réserves, en cas d’imprévu, sur l’ensemble des fonds dont bénéficie la Commission européenne.
Concernant la taxation du numérique, monsieur Gattolin, vous avez rappelé qu’elle est un des défis majeurs de notre temps. Nous sommes à ce titre déterminés à aboutir à une juste taxation des géants du numérique au niveau européen. Nous voulons une Europe de l’équité et de la justice fiscales. Nous voulons tout autant une Europe qui innove et qui est à la pointe des innovations de rupture ou de l’intelligence artificielle.
Je me félicite de la très forte cohérence entre l’action de la Commission en la matière et la stratégie française présentée par le Président de la République le 29 mars 2018 à l’occasion du sommet AI for Humanity. Je salue le rapport remarquable rendu par le député Cédric Villani, qui l’a inspirée.
Je note aussi avec intérêt, monsieur Gattolin, la proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes et que vous avez présentée, sur les supercalculateurs. Ce sujet est peut-être moins médiatique que l’intelligence artificielle, mais il n’en est pas moins fondamental si nous voulons que l’Union européenne reste autonome sur ce plan.
L’Union se mobilise : la Commission a proposé de créer une entreprise dédiée, EuroHPC, et le Conseil et le Parlement viennent d’adopter leurs positions respectives. J’ai bon espoir que les trilogues avancent très rapidement.
Monsieur Allizard, je peux vous assurer que la France mettra également l’accent sur la nécessité de faire de la coopération structurée permanente en matière de défense un puissant catalyseur de projets capacitaires et opérationnels concrets et ambitieux, et qu’elle proposera, dans les mois qui viennent, de nouveaux projets.
Monsieur del Picchia, monsieur Requier, vous le savez bien, on ne décrète pas une culture stratégique commune à plusieurs États membres qui ont une histoire et une culture différente.
On peut en revanche prendre des actions résolues pour les rapprocher. Telle est notre ambition, et c’est celle de l’initiative européenne d’intervention, que Florence Parly a lancée officiellement hier.
Nous travaillons par exemple avec les Allemands sur un conseil européen de sécurité. La France avait proposé il y a quelques années des réunions spécifiques sous ce vocable du Conseil européen, qui, de fait, aborde désormais des questions internationales lors de chacune de ses réunions. La Chancelière a proposé dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung une instance de coordination spécifique. Nous allons y travailler. Il est possible en tout état de cause d’avancer de manière souple et informelle dans un premier temps.
La question du passage de la prise de décision de l’unanimité à la majorité qualifiée doit être examinée dans un cadre plus large, y compris sur les questions fiscales par exemple.
Monsieur Kern, laissez-moi vous rassurer : nous avons été surpris par la déclaration d’Angela Merkel sur le Parlement européen. Elle ne sera pas surprise par la nature de notre réponse. Notre attachement à Strasbourg, siège du Parlement européen, ne variera pas.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous défendrons à chaque occasion, comme je l’ai fait depuis ma prise de fonctions, l’importance et le rôle de Strasbourg, et la présence du Président de la République dans l’hémicycle de Strasbourg le 17 avril dernier en a une fois encore témoigné.
MM. Jean-Pierre Decool, Jean-Claude Requier, René Danesi et André Reichardt, ainsi que Mme Nathalie Goulet applaudissent.
Je vous remercie, monsieur Bonnecarrère, de l’expression de votre soutien à l’action du Gouvernement et à notre volonté de refondation européenne. Je partage la gravité de votre analyse. L’Europe est mise au défi. Je dirais que les démocrates et les progressistes sont mis au défi de ne pas laisser le destin de l’Europe non pas à des hommes forts, mais à ceux qui parlent fort sans rien construire ni rien résoudre. Notre vision ne sera certainement pas de diminuer notre ambition, mais au contraire de porter encore plus haut nos valeurs.
Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes, ainsi que Mmes Colette Mélot et Victoire Jasmin applaudissent également.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le débat interactif et spontané, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France a adopté le 30 octobre 2017 les mesures législatives nécessaires pour renforcer le cadre juridique interne, conformément à la directive PNR. Vous le savez, cette disposition est extrêmement importante pour la protection de nos frontières. Madame la ministre, quel est l’état de ce dossier et où en est la mise en place du PNR ?
Par ailleurs, dans le cadre des dossiers sur l’immigration et le droit d’asile, où en est-on des possibilités de croiser ces dossiers avec les dossiers d’Europol et d’Interpol, qui sont une nécessité absolue pour la sécurité de la France et la sécurité de l’Europe ?
Madame la sénatrice, le PNR est entré en vigueur le 25 mai dernier. En réalité, à cette date, douze États membres étaient parfaitement prêts à le mettre en œuvre. Nous avons renforcé notre coopération avec certains des États membres assez éloignés au départ de notre niveau en termes de systèmes d’information.
Comme vous, je souhaite que l’interopérabilité entre les différents systèmes d’information, qu’il s’agisse des systèmes liés à Schengen, des systèmes que nous allons mettre en place – le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, ETIAS, le système d’entrée/sortie – et les fichiers d’Europol soit accélérée afin de mieux participer à l’action coordonnée de l’Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme.
Madame la ministre, ma question porte sur le droit communautaire des visas.
On sait qu’une des solutions les plus efficaces pour réduire l’immigration irrégulière réside dans l’action des pays d’origine pour limiter les départs, mais aussi, le cas échéant, dans leur volontarisme en matière de délivrance des laissez-passer consulaires pour les migrants nationaux déboutés de leur demande d’asile. Or certains pays laissent volontairement l’immigration irrégulière se développer ou rechignent à délivrer des passeports consulaires. Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes pays qui font les deux.
Mes chiffres sont un peu anciens – ils datent de 2016 –, mais sachant que le Maroc n’a délivré dans les temps impartis que 27, 5 % des laissez-passer consulaires sollicités par la France, que ce taux est encore plus faible pour des pays comme le Mali, dont le taux n’atteint même pas 12 %, l’Égypte, dont le taux est de 17 %, et la Tunisie, dont le taux est de 31 %, et je m’arrête là, on s’interroge sur la possibilité d’amener ces pays et d’autres à mieux coopérer.
Peut-être serait-il possible que les pays de l’Union européenne délivrent eux-mêmes ces visas ? La Commission propose ainsi de modifier le code communautaire des visas afin de délivrer moins de visas de court séjour aux pays les moins coopératifs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces modifications, telles qu’elles sont envisagées par la Commission ? Enfin, quelle est la position des autorités françaises sur ces propositions de réforme ?
Monsieur le sénateur Reichardt, vous avez parfaitement raison : une partie du sujet auquel nous sommes confrontés est celui des retours des déboutés du droit d’asile ou, plus largement, des migrants illégaux. Ce retour est conditionné à l’existence de laissez-passer consulaires et, donc, au bon vouloir des pays d’origine. Nous en avons tous fait le constat, et les chiffres que vous avez cités, s’ils se sont parfois améliorés, ne sont pas pour autant pleinement satisfaisants.
Nous sommes d’accord entre pays membres de l’Union européenne pour renforcer notre dialogue avec les pays d’origine. Il s’agit de nous répartir le travail en fonction des pays avec lesquels nous avons les liens les plus étroits pour inciter ces pays à atteindre de meilleurs taux de réadmission, en délivrant de manière plus systématique et plus rapide des laissez-passer consulaires. Il faut pour cela évidemment avoir un dialogue franc avec eux, pas nécessairement public, le plus souvent discret.
Il faut également demander au Service européen pour l’action extérieure d’appuyer le travail des États membres dans ce sens et faire en sorte que nous puissions disposer, dans les délais impartis, notamment par la rétention administrative, des laissez-passer consulaires nécessaires. C’est ce qui justifie l’extension de la durée de rétention administrative telle qu’elle est proposée dans le projet de loi Asile et immigration que vous venez d’examiner, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous devons avoir avec les pays d’origine une discussion sur le soutien que nous leur apportons, mais aussi sur la délivrance des visas, plus particulièrement des visas sur les passeports de service. Ces visas sont une facilité que nous accordons à un nombre souvent élevé de personnes souhaitant se rendre dans l’Union européenne et qui sont elles-mêmes en situation de faire évoluer l’attitude des pays d’origine.
Je préfère cette solution à celle qui toucherait directement les visas de court séjour, qui peuvent servir à des personnes de parfaite bonne foi, mais qui n’auraient pas de poids sur les décisions prises par leur gouvernement.
Ces discussions sont donc parfaitement à l’ordre du jour, à la fois au niveau bilatéral et au niveau européen.
Madame la ministre, le projet de cadre financier pluriannuel de la Commission européenne prévoit une baisse de 5 % des fonds dédiés à l’agriculture. Le Sénat s’est exprimé officiellement par voie de résolution pour s’opposer à cette baisse, afin de protéger nos agriculteurs, notre souveraineté alimentaire et la qualité de notre alimentation. Nous sommes heureux que le Président de la République et le Gouvernement aient pris des positions fortes, bien que tardives, en la matière.
Il y a quelques jours, le 18 juin, le Conseil des ministres sur la politique agricole commune a permis à la France de fédérer une coalition de vingt États opposés à la baisse du budget de la PAC. C’est une bonne chose, mais il reste maintenant à infléchir la position de la Commission.
Madame la ministre, nous aurons beau sauver l’équilibre financier de la PAC, tout ne sera pas réglé. Plusieurs questions subsistent. Comment adapter la PAC aux enjeux de l’agriculture durable ? Comment prendre en compte la diversité des modèles agricoles dans l’Union, et même au sein des États membres ? Comment assurer la compétitivité de notre agriculture face aux concurrents sud-américains ou australiens ? Enfin, comment passer d’une logique défensive à une logique offensive de renouveau agricole, de conquête de nouveaux marchés ?
Pour notre part, nous croyons toutefois que la vieille politique agricole commune est une politique d’avenir, et non un combat d’arrière-garde. Alors que nous entamons nos travaux sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, je souhaite connaître la vision précise du Gouvernement sur l’avenir et le rôle de la PAC au XXIe siècle.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La PAC en deux minutes, c’est une gageure !
Sourires.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l ’ Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. C’en est une, vous avez raison !
Nouveaux sourires.
Monsieur le sénateur Decool, j’étais à l’heure du déjeuner avec le commissaire Oettinger. Une fois de plus, j’ai réitéré, avec le soutien, en effet, de dix-neuf autres États membres, l’importance de préserver les crédits dédiés à la PAC, avec des mots qui auraient pu être les vôtres.
L’agriculture et l’alimentation sont des enjeux majeurs du XXIe siècle. Cette politique, qui est la première politique commune que nous ayons réussie, nous avons tous vocation à la préserver pour conserver à la fois notre souveraineté, notre sécurité alimentaire et notre capacité à conquérir des marchés, laquelle a été illustrée par les avancées obtenues par le Premier ministre lors de son déplacement en Chine en matière d’exportation de viandes françaises.
Les propositions faites par la Commission sur la PAC contiennent des points positifs. La Commission propose ainsi le mécanisme de réserve de crise que nous appelions de nos vœux. Elle propose également des mesures d’accompagnement de l’agriculture vers un modèle plus respectueux de l’environnement.
Toutefois, on ne peut pas espérer moderniser la PAC, accompagner la transition de notre modèle agricole et rendre nos filières plus compétitives en diminuant drastiquement les crédits de la PAC, comme la Commission l’a proposé. Nous l’avons encore dit aujourd’hui.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la crise migratoire que traverse notre continent pose deux questions centrales : comment réduire les arrivées irrégulières sur notre sol ? Comment assurer le retour de ceux qui ne relèvent pas de la protection internationale ?
Si l’Europe doit bien sûr faire preuve d’humanité, elle doit aussi montrer sa fermeté pour cesser d’apparaître aux yeux du monde comme un espace incapable d’assurer la protection de ses frontières. La réadmission rapide et effective des migrants économiques dans leur État d’origine doit devenir l’un des fondements de notre politique migratoire. Cela passe concrètement par l’inscription noir sur blanc du concept de conditionnalité-réadmission dans nos partenariats avec les pays tiers. Autrement dit, chaque pays qui refuse de coopérer doit savoir qu’il s’exposera à des mesures de rétorsion, comme une baisse du nombre de visas accordés à leurs ressortissants ou encore une diminution de l’aide publique au développement.
Il s’agit non pas de faire du chantage, mais tout simplement de rappeler à nos partenaires que les phénomènes migratoires relèvent d’une responsabilité partagée entre les pays d’origine, les pays de transit et les pays de destination. Chacun doit prendre part à la lutte contre l’immigration illégale.
Nous devons proposer à ces partenaires une stratégie gagnant-gagnant, comme a su le faire l’Espagne à titre bilatéral à partir du milieu des années 2000, avec des résultats probants en Méditerranée sur la voie d’accès à l’Europe.
L’Union européenne doit conclure des accords de nouvelle génération, couplant accord de réadmission et aide financière importante. Le sommet de La Valette, en novembre 2015 en a posé les premiers jalons, suivi du plan d’investissement extérieur de l’Union européenne. Cependant, les résultats restent encore mitigés. Il nous faut donc faire un saut qualitatif et quantitatif.
Madame le ministre, quelle position la France défendra-t-elle au Conseil européen ? Choisira-t-elle la voie du statu quo, ou bien fera-t-elle preuve d’audace en affirmant clairement que l’Europe ne peut être la seule perspective d’avenir pour la jeunesse du continent africain ?
Madame la sénatrice Gruny, il est essentiel de renforcer notre travail avec les pays d’origine des migrations économiques. C’est la raison pour laquelle le Fonds fiduciaire d’urgence a été créé et abondé de 3 milliards d’euros. Nous travaillons actuellement à son réabondement. C’est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons augmenter notre aide au développement, aussi bien à titre bilatéral que celle de l’Union européenne.
Nous devons aider les pays d’origine à créer des nouvelles opportunités pour ces gens jeunes, souvent courageux, souvent déjà formés, et à qui il manque des opportunités d’emploi. C’est ce que nous nous efforçons de faire, en coordonnant bien davantage les efforts à la fois bilatéraux et européens.
Nous voulons aussi associer les pays d’origine à la lutte contre les réseaux de passeurs, parce que ces réseaux de trafiquants d’êtres humains, mais aussi de stupéfiants, d’armes, de substances illicites, ont en général un seul intérêt : affaiblir les États souverains. Nous devons convaincre les pays d’origine et les pays de transit que nous avons un intérêt commun à lutter ensemble contre ces réseaux de passeurs.
C’est sur l’ensemble de ces actions que nous comptons travailler, renforcer nos efforts, pour que les pays d’origine soient responsables et intéressés par une augmentation de l’aide, mais qui permette de fixer les populations sur place. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui un grand nombre de pays d’Afrique connaissent la croissance sans connaître le développement.
Madame la ministre, vous avez évoqué, au début de votre intervention, la situation des migrants réfugiés en Libye.
( Mme la ministre opine.) Ces groupes fonctionnent par la détention de migrants, le travail forcé et le racket auprès des familles de ces migrants, le tout en leur infligeant de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la mort. Ils considèrent que la traite des êtres humains est un commerce comme un autre.
Mme la ministre opine de nouveau.
En effet, la situation de ces personnes est toujours catastrophique. Nous connaissons tous les violations des droits humains qu’ils subissent. Les auteurs de ces atteintes inqualifiables sont identifiés, les liens qui les relient aussi. Des groupes armés, des milices et des bandes criminelles agissent en dehors de tout contrôle, l’État en Libye étant disloqué. §
Cela fait un moment que cette situation dure. L’impunité de ces milices armées est quasi totale. Vous avez évoqué, madame la ministre, le rôle joué par Sofia dans l’arrêt de trafiquants de migrants, mais – on peut le dire – les résultats sont faibles. Je sais que la situation est forcément difficile dans le sud de la Libye, mais nous nous demandons toujours qui peut agir.
Je considère que notre pays est trop silencieux ou est dans l’impossibilité d’agir, mais dans le cas de l’Union européenne, c’est encore plus ahurissant ! Pour le moment, Bruxelles a simplement dénoncé les conditions de détention et appelé à l’amélioration de celles-ci. Je suis très choquée par cette position. J’attends, tout comme mon groupe, beaucoup plus. Un nouveau projet de coopération entre l’Union européenne et la Libye pour stopper l’arrivée de migrants serait en cours.
Ma question sera celle-ci, madame la ministre : quels sont les partenaires de cette coopération et, surtout, quelle est leur influence politique ? Quels sont les engagements de notre pays pour les migrants et les réfugiés de Libye ?
Madame la sénatrice Prunaud, vous mettez le doigt sur un sujet majeur. Nous avons tous le souvenir des images que nous avons vues sur les traitements subis par les migrants détenus, maltraités en Libye.
L’action sur la Libye prend plusieurs formes. Elle passe, d’abord, par la tentative de stabilisation de ce pays. On ne peut pas espérer y faire respecter les droits de l’homme alors qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’État en Libye. C’est pourquoi le Président de la République a convié, à plusieurs reprises, les parties libyennes à Paris pour tenter d’accélérer un processus de règlement politique qui permettrait d’avoir des interlocuteurs responsables et le retour d’un État dans ce pays.
Entre-temps, nous travaillons avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, le HCR, qui intervient en Libye à la fois pour gérer des rassemblements de migrants dans des conditions respectueuses des droits de l’homme, et pour permettre à des migrants de ressortir via le Niger, où nous les interviewons et où nous avons réinstallé des demandeurs d’asile qui étaient sortis de Libye, revenus au Niger et qui sont venus ensuite directement en France, sans avoir à traverser ni la Libye ni la Méditerranée, parce qu’ils étaient en besoin manifeste de protection.
Nous devrons aussi développer les actions de PSDC de l’Union européenne au Mali et au Niger, ces pays nous aidant à lutter contre les réseaux de trafiquants qui, en réalité, gangrènent une partie importante du Sahel.
Nous avons aussi, pour la première fois il y a une quinzaine de jours, sur l’initiative de la France, adopté au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution visant nommément des passeurs travaillant en Libye afin de les soumettre à des sanctions individuelles.
C’est donc un ensemble de dispositions qui sont mises en place à la fois pour mieux protéger les personnes et pour mieux cibler les trafiquants.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la Grande-Bretagne, avec le Brexit, est en train de faire la démonstration par l’absurde que d’essayer de quitter l’Union européenne est un jeu perdant-perdant, celle-ci apparaît plus fragile que jamais.
Nombreux sont ceux qui se demandent ce que nous avons raté avec les élargissements de 2004 et 2007. Qu’avons-nous raté par rapport à cette perspective de réunification du continent, par rapport à cette formidable libération de 1989 et ce que cela semblait pouvoir apporter à l’ensemble de l’Union européenne ?
Pour avoir habité vingt ans en Europe centrale, je dirais que peut-être nous ne nous sommes pas compris. Seuls les vieux pays européens avaient cinquante ans de pratique du Traité de Rome ; les autres, tout aussi européens, avaient d’autres perspectives, d’autres attentes. Finalement, ils ne se sont jamais vraiment retrouvés. Pendant quelques années, on a fait comme si. Aujourd’hui, cela nous revient en pleine figure, et l’Europe apparaît fragilisée.
Pourtant, rien n’est inéluctable. Les choses peuvent être reconstruites dans la mesure où tous les pays européens restent fondamentalement attachés, chacun à leur manière, aux valeurs européennes. Simplement, cela ne peut se faire que dans le dialogue, en essayant de se comprendre, et non en s’envoyant les uns et les autres à la figure les valeurs européennes.
Personne n’a de solution, mais le dialogue est plus que jamais nécessaire entre les pays membres de l’Union européenne.
Si nous en sommes arrivés là, c’est aussi parce que la magie nous a quittés pendant les négociations d’adhésion, avant 2004 et avant 2007. C’est la raison pour laquelle je veux tirer la sonnette d’alarme s’agissant des autres pays européens qui sont aujourd’hui engagés dans un processus de négociation.
Je pense en particulier à la République de Macédoine du Nord, en cette semaine où un accord a été conclu entre la Grèce et ce pays candidat, à qui il faut permettre d’entrer dans le processus de négociation de manière plus concrète. Je pense aussi aux autres pays candidats.
Il n’est pas possible d’arrêter cette négociation, de faire qu’aujourd’hui les négociations d’élargissement soient non plus un processus avec une fin potentielle, mais un état dont on ne saurait pas quand on sortirait.
Sinon, nous engendrerions d’autres malentendus. On le voit aujourd’hui avec les pays d’Europe centrale, mais ces malentendus pourraient aussi se produire dans les Balkans, dont nous savons – l’histoire nous l’a montré – combien ils sont essentiels à la stabilité européenne. Il faut y faire très attention.
Monsieur le sénateur Leconte, ne reproduisons pas les erreurs des élargissements passés ! Alors que nous étions aujourd’hui en train de travailler sur la question de l’État de droit, la Pologne a eu beau jeu de nous dire que nous n’avions pas critiqué, au moment de son entrée dans l’Union européenne, un certain nombre de mesures que nous critiquons aujourd’hui.
À l’époque, sous la pression de certains de nos grands partenaires, nous avions commencé par les chapitres les plus faciles, remettant à plus tard les sujets relatifs à l’État de droit. Et puis, emportés par notre envie d’accueillir les grands leaders de l’époque de l’Europe de l’Est, nous n’avons pas regardé d’assez près ce qui se passait en matière d’État de droit, pensant que ces grands leaders seraient éternels. Aujourd’hui, nous n’avons pas les mêmes interlocuteurs, mais nous avons toujours des législations qui datent souvent de la période antérieure à l’entrée de ces pays dans l’Union européenne.
Alors, pour les Balkans, souvenons-nous-en ! Aidons ces pays en les accompagnant, en ayant sur les réformes – non seulement celles qui sont adoptées, mais aussi celles qui sont véritablement mises en œuvre – une vraie exigence en matière d’État de droit, de lutte contre la corruption et de lutte contre la criminalité organisée.
Depuis que ces pays ont une perspective européenne, ils ont progressé. C’est le cas de la Macédoine, qui a réussi à se mettre d’accord sur son nom avec la Grèce dans un accord historique conclu il y a quelques jours. Mais n’allons pas trop vite en besogne, ne considérons pas que le compte y est tant qu’il n’y est pas. Nous ne rendrions pas service aux démocrates de ces pays. Accompagnons-les, soyons à leurs côtés, ayons conscience que leur destin et le nôtre sont liés, mais ne fermons pas les yeux sur ce qui manque encore.
La candidature à l’Union européenne, c’est une exigence, et il ne faut pas la brader !
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a tout juste un an jour pour jour, la Commission européenne attribuait une amende historique de 2, 43 milliards d’euros à Google pour abus de position dominante sur son comparateur de prix Google Shopping, l’entreprise favorisant ses propres produits parmi les résultats de recherche.
Saluons le courage de la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager sur ce sujet. Mais notons aussi que, depuis, il ne s’est rien passé. Cela signifie que condamner ne suffit pas.
Madame la ministre, on ne peut plus laisser les entreprises françaises et européennes désarmées, condamnées à subir des pratiques d’éviction du marché dans un secteur, qui plus est, en évolution constante, tel que le numérique, sans avoir d’autre solution que d’attendre que les procédures contentieuses arrivent à leur terme. Je rappelle qu’il a fallu sept années d’enquête et de procédure pour aboutir à la décision du 27 juin de l’année dernière.
Les géants de l’internet le savent bien ; d’ailleurs, ils se jouent non seulement des divergences d’appréciation entre États membres sur ces questions de souveraineté pour mieux asseoir leurs intérêts sur ce marché de 500 millions d’individus que constitue l’Europe, mais plus encore de notre passivité, voire de notre complaisance.
Or ces distorsions de concurrence actuelles sont autant de menaces à la survie de nos entreprises. Face à cela, j’ai déposé une proposition de résolution européenne, qui est devenue depuis proposition du Sénat, pour réformer le cadre juridique des mesures provisoires afin de les rendre plus vite applicables par la Commission européenne et interrompre rapidement toute pratique constitutive d’un abus de position dominante.
Ne voyant rien venir ces derniers mois, à la veille du dernier Conseil européen, j’ai tenu à alerter le Président de la République et la Chancelière allemande sur la nécessité d’inscrire cet impératif de réforme à l’ordre du jour. Or seul le cabinet de la Chancelière a pris soin de me répondre. Réactif, je dois bien le dire, le gouvernement allemand a même créé une commission d’experts sur le droit de la concurrence 4.0 et m’a invitée à participer à ses travaux.
Aussi, face à cette situation, madame la ministre, je m’interroge sur cette absence de réponse du côté français. Je m’étonne d’ailleurs du peu d’intérêt que porte le Gouvernement aux travaux du Parlement, qui pourtant sont assez importants et peuvent constituer autant d’accompagnement et d’aide à l’action gouvernementale.
Sur cette question, madame la ministre, avez-vous des éléments de réponse ?
Madame la sénatrice Morin-Desailly, vous avez parfaitement raison, l’Europe doit être davantage présente en termes de régulation du numérique, comme elle l’a été avec le règlement général sur la protection des données et comme elle l’est quand la commissaire Vestager utilise les armes à sa disposition pour rétablir le droit, que ce soit vis-à-vis de Google ou d’Amazon.
Plus largement, il faut que l’Union européenne progresse en matière de régulation des plateformes et de rapport entre plateformes et entreprises traditionnelles, en veillant à la loyauté des plateformes, à leur responsabilité et en mettant en place un arsenal juridique qui aujourd’hui manque encore.
Vous avez raison, les grandes plateformes connaissent toutes nos lacunes et, jusqu’à présent, elles en jouent. C’est tout le but des états généraux du numérique confié par le Président de la République à Mounir Mahjoubi, qui a entamé sa réflexion avec un certain nombre d’acteurs. J’ai d’ailleurs commencé à travailler avec lui.
Je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’adresser le courrier que vous aviez envoyé au Président de la République. Je m’engage, conjointement avec mon collègue Mounir Mahjoubi, à y répondre et, surtout, à vous associer à notre réflexion et à ces états généraux.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen essaiera de sauver le soldat Angela Merkel, qui s’est chargée en 2015 d’ouvrir les portes à l’immigration de masse, au nom de la mauvaise conscience allemande depuis 1945, mais sans demander l’avis de ses voisins.
Elle l’a fait sous les applaudissements de la Commission européenne, qui ne manque pas une occasion de provoquer l’incompréhension, voire la colère, des peuples. Je pense en particulier aux peuples d’Europe centrale et orientale, lesquels n’ont pu survivre à leurs voisins envahisseurs que par leur combat multiséculaire pour leur identité et pour leur nation.
Ajoutons à cela que ni les Polonais, ni les Tchèques, ni les Slovaques, ni les Hongrois n’ont colonisé l’Afrique et l’Asie. Ils n’ont donc aucune raison de partager la mauvaise conscience des élites de l’Europe de l’Ouest à l’égard des migrants.
En méconnaissance totale de l’histoire particulièrement douloureuse de ces peuples, la Commission européenne veut les sanctionner en diminuant très fortement leurs subventions. Le prétexte est qu’ils ne respecteraient pas l’État de droit, ce qui ne permettrait donc pas une saine gestion des fonds publics européens.
On peut s’interroger sur cette soudaine volonté de contrôle, alors même que l’Union européenne n’a jamais voulu voir la corruption, le népotisme et l’évasion fiscale qui ont amené la Grèce à la quasi-faillite. Mais comme l’a dit si bien Costa-Gavras en présentant son autobiographie : « Ils ont laissé le pays aller à la catastrophe, mais cela arrangeait les Allemands, les Français et les autres de vendre leurs produits aux Grecs à crédit. »
Pendant que la Commission européenne prétend mettre les pays d’Europe au pas, la Chine tisse ses routes de la soie. Le 27 novembre dernier, le Premier ministre chinois était l’invité vedette d’une réunion à Budapest, qui rassemblait seize pays de l’Europe balkanique, centrale et orientale. Il a annoncé des mises à disposition de crédits. Certes, il n’y a pas encore là de quoi charpenter un cheval de Troie, mais on y arrivera rapidement si l’Union européenne continue à vouloir mettre tous les pays sous la même toise, au lieu d’accepter la diversité historique des pays et des peuples qui la composent.
Je souhaite, madame la ministre, que notre pays et son Président prennent conscience du fait que l’intransigeance de l’Union européenne déroule les routes de la soie dans l’Europe centrale et orientale. Qu’en pensez-vous ?
Monsieur le sénateur Danesi, l’Union européenne est beaucoup plus qu’un marché unique et qu’un carnet de chèques : c’est une union de valeurs.
Lorsqu’on rejoint l’Union européenne, c’est qu’on croit à la liberté, à la démocratie, à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs. On s’engage à respecter l’ensemble de ces notions qui sont contenues dans les traités. Ceux qui ont rejoint l’Union européenne y croyaient !
Aujourd’hui, certains de ces pays sont trahis par leurs dirigeants, qui mettent à mal l’indépendance de la justice et qui parfois vont jusqu’à détourner des fonds européens et être mis en examen pour cela.
Les fonds européens, ce ne sont pas des fonds qui tombent du ciel ou qui viennent de Bruxelles ; c’est notre argent, celui des contribuables européens, notamment celui des contribuables français, notre pays étant le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne.
Nous devons à nos compatriotes un contrôle et une saine gestion de ces fonds. Il n’y a aucune raison de penser que parce que l’on aurait un passé agité, il serait normal que se développent la corruption et un manque d’indépendance de la justice. Ce serait porter bien peu de considération aux citoyens de ces pays qui, lorsque je m’y rends, comme je le fais souvent, et que je dialogue aussi bien avec les autorités qu’avec les personnes de la société civile, me reprochent la trop grande magnanimité de l’Union européenne, et parfois sa cécité. Ils me disent qu’ils deviendraient eurosceptiques si nous n’étions pas plus exigeants sur l’utilisation des fonds qui sont versés par dizaines de milliards d’euros à cette partie de l’Union européenne.
Madame la ministre, j’ai écouté votre réponse à la fin de la discussion générale ; elle ne m’a pas totalement convaincu. Vous le savez, je suis membre de la commission des finances et, quand j’entends parler d’un cadre financier pluriannuel, je raisonne en financier.
Lorsque j’entends un diplomate parler de cadre financier pluriannuel, j’ai une traduction un peu difficile. Je voudrais vous poser la question peut-être de manière assez directe, et vous me direz si vous pouvez y répondre. J’ai quelques difficultés à comprendre la position française. Sans reprendre les propos d’un commissaire européen qui vous ont précédemment irritée, il n’en est pas moins vrai que nous avons une difficulté de compréhension sur quelques points.
Premier point, on a, d’un côté, très clairement une diminution des ressources avec le Brexit et, de l’autre, une demande d’augmentation de crédits dans de nombreux domaines – sécurité, migrations, recherche, technologies, numérique, et j’en passe. J’ai regardé toutes ces listes : diminution des recettes, augmentation des dépenses. Je constate que, sur la PAC, des demandes de stabilité sont formulées, et je les partage.
Je fais des additions, des soustractions et des totaux et je n’arrive toujours pas à comprendre quelle est la position française. Sommes-nous prêts à lâcher ou, en tout cas, à admettre certaines concessions en matière de politique de cohésion, dans laquelle notre pays est finalement peu impliqué ? Sommes-nous prêts à remettre au pot, à ajouter des recettes supplémentaires ? Je ne parviens pas à saisir la position d’entrée dans cette équation.
Comme dirait quelqu’un que j’ai bien connu, …
… lorsque c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! Madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur ce point.
Je vous remercie, monsieur le sénateur Raynal, de m’aider à dissiper le flou. Je vous adresserai avec beaucoup de plaisir la note des autorités françaises envoyée aux institutions européennes. Je peux vous garantir que ce midi, le commissaire Oettinger n’avait pas l’impression que mon discours était flou.
Nous l’avons dit d’entrée de jeu, nous sommes prêts à un budget en expansion pour l’Union européenne, compte tenu des priorités, dont je ne dirais pas qu’il y a les nouvelles et les anciennes, qui sont celles de l’Union.
Nous sommes donc prêts à faire un effort sur le volume du budget. Nous considérons aussi que la proposition de la Commission manque d’ambition en matière de suppression immédiate des rabais, puisqu’un certain nombre de contributeurs nets ont négocié au fil du temps ce qui ressemblait au chèque britannique. Maintenant que celui-ci disparaît, que les rabais disparaissent aussi vite ! Nous sommes aujourd’hui le premier contributeur au rabais des autres. §C’est une gloire dont nous nous passerions volontiers.
Nous demandons aussi que l’on explore avec plus d’imagination et d’ambition de nouvelles ressources propres. La Commission a parlé de l’ETS, et nous la soutenons ; elle a aussi évoqué une « taxe plastique », nous attendons des précisions parce que, pour le moment, pour le coup, c’est flou !
Nous considérons également que la mise en place d’une taxe numérique rapporterait au budget de l’Union européenne 5 milliards d’euros par an, c’est-à-dire la moitié de ce que nous perdons avec le départ du Royaume-Uni.
Nous souhaitons aussi que l’on revienne sur la mise en place d’une taxe financière européenne.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est aussi l’occasion d’apprendre beaucoup. On dit toujours qu’on apprend tous les jours…
De multiples sujets d’importance ont été évoqués. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, notre pays participe financièrement, dans la loi de finances via le prélèvement sur recettes, à hauteur de quelque 20 milliards d’euros. Cette solidarité financière particulièrement importante est redistribuée.
On a souvent parlé de la complexité des dossiers à caractère financier. On sait que les services de l’État, et maintenant aussi les grandes régions, peuvent aider les demandeurs d’aides européennes. On a toujours évoqué la complexité administrative des dossiers. En termes d’enjeu pour le monde agricole et les agriculteurs, ce n’est pas simple. Il en va de même pour le monde économique et les entreprises.
Je voudrais aussi vous poser une question complémentaire pour le financement des projets portés par les collectivités territoriales, que ce soit des communes, en particulier du monde rural, des villes ou des intercommunalités.
Des mesures d’assouplissement sont-elles prévues pour trouver les bons interlocuteurs, améliorer la lisibilité et, surtout, alléger les contraintes ? Telles sont mes modestes questions.
La question de la complexité de l’accès aux fonds européens – je vous en remercie, monsieur le sénateur Laménie – m’est souvent posée à l’occasion des consultations citoyennes sur l’Europe.
Ces fonds sont aujourd’hui sous la responsabilité des régions, autorités de gestion des fonds européens que nous encourageons à être des accompagnateurs plutôt que des « complicateurs » de projets. Cela nécessite d’avoir des équipes qui connaissent bien les financements européens et qui puissent conseiller les entreprises, les associations, les collectivités locales dans la manière dont on monte un dossier. Nous avons donc notre part à prendre, y compris avec, à l’échelon national, la simplification – on a parfois complexifié davantage le versement des fonds européens que nos voisins –, et, en ce moment, nous faisons ce travail d’harmonisation des conditions nationales demandées pour le versement des fonds européens.
Nous demandons aussi à la Commission européenne de simplifier autant que possible les procédures, sans oublier la nécessité des contrôles, puisque, là encore, il s’agit d’argent public, et on ne peut laisser utiliser l’argent européen sans contrôle et sans lutte efficace contre la fraude. Toutefois, pendant trop longtemps, en raison de ce motif tout à fait honorable de lutte contre la fraude, on a découragé les porteurs de projets de solliciter des fonds européens. Cela ne doit plus arriver aujourd’hui.
C’est moins vrai, cela dit, avec le plan Juncker, qui a été une vraie réussite. La France est d’ailleurs le premier bénéficiaire des fonds de ce plan, notamment environ 100 000 PME, parce que l’instrument a été simple à utiliser et que les intermédiaires ont su s’en emparer.
Il n’y a donc pas de fatalité, mais il y a une véritable nécessité de simplification, je partage votre point de vue.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la prochaine programmation financière pluriannuelle de l’Union européenne.
Pour équilibrer les budgets à venir, qui seront confrontés aux contraintes liées au Brexit et à des charges nouvelles à assumer – sécurité, numérique et bien d’autres –, les arbitrages semblent se porter sur les crédits dédiés jusque-là aux territoires les plus ruraux. On a évoqué la PAC, dont le budget diminuerait de 5 % en euros courants, soit plutôt 12 % en euros constants, en particulier pour ce qui concerne les aides directes du premier pilier. L’effet de la baisse sur le deuxième pilier sera encore plus élevé, alors qu’il s’agit de crédits nécessaires au développement local.
Si l’on tient compte en outre des crédits dédiés à la politique de cohésion, même si l’enveloppe de cette politique a été plus ou moins préservée, on voit que l’élargissement des territoires éligibles entraînera une diminution des fonds. Si l’on ajoute à cela l’augmentation des taux de cofinancement, on constate un véritable risque pour les territoires les plus fragiles, qui ne disposent ni de l’ingénierie nécessaire pour monter les dossiers ni des financements permettant de boucler les budgets. Cette perspective est dommageable au regard des besoins et des attentes des territoires ruraux.
Ma question est donc simple : pensez-vous, madame la ministre, qu’il soit encore possible de rééquilibrer, de revoir, ces arbitrages au profit des territoires ruraux, ou abandonne-t-on cette partie particulière de la France ?
Pour ce qui concerne les crédits de la PAC, nous l’avons dit très clairement, la proposition de la Commission n’est pas acceptable, et nous ne l’accepterons donc pas.
Nous sommes au début de la négociation. La Commission nous presse de boucler celle-ci avant les élections européennes de l’année prochaine, mais je reprendrai, avec une certaine distance, ce que mon homologue polonais disait tout à l’heure à la Commission : il est tout de même assez paradoxal de nous demander d’aller vite alors que le projet de budget est aussi mauvais.
Sourires.
C’est parfois l’avantage avec les Polonais ; ils disent les choses avec une certaine brutalité, ce qui permet, ensuite, de dire la même chose avec le sourire.
Nouveaux sourires.
Cela étant, en réalité, c’est là toute la question ; pour le moment, il n’est pas possible de trouver un compromis en partant d’une hypothèse relative à la politique agricole commune qui ne correspond absolument pas à ce que nous souhaitons. Nous avons veillé à discuter avec nos partenaires, et vingt pays membres de l’Union européenne disent « non » aux coupes telles qu’elles se présentent dans le projet de la Commission. Il est évidemment essentiel de maintenir le premier pilier, les aides directes et, naturellement, de veiller, plus largement, au développement rural au travers du deuxième pilier.
Pour ce qui concerne la politique de cohésion, vous avez peut-être vu les simulations pour la France ; honnêtement, ce n’est pas sur ce point que nous sommes le plus en alerte. Nous sommes attentifs, notamment, au sort fait aux régions ultrapériphériques, dont nous sommes des porte-parole très motivés, mais ce n’est pas sur la politique de cohésion que nous avons de véritables soucis à nous faire, c’est sur la PAC.
Sur le reste du budget, sur les priorités en matière de défense par exemple, nous considérons que nous avons des retours possibles intéressants, il faut le dire. Nous sommes évidemment favorables également à l’augmentation des crédits de recherche. Donc il y a aussi dans le projet de cadre financier pluriannuel des aspects qui nous intéressent.
Je conclus en signalant la proposition que nous avons faite et qui est reprise par la Commission, consistant à cibler des fonds européens vers les collectivités qui accueillent et qui intègrent des migrants ; c’est une manière de rééquilibrer géographiquement l’attribution de certains fonds à l’intérieur de l’Union européenne.
Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’incidence tragique pour l’agriculture en outre-mer de la baisse annoncée du budget de la PAC. Vous en avez parlé, mais je veux insister sur la déclinaison de cette diminution pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le POSEI. Ce programme est un outil indispensable qui accompagne financièrement les producteurs des filières agricoles des régions ultrapériphériques, ou RUP, de l’Union européenne.
Toute réduction budgétaire se traduira mécaniquement par une diminution importante de la production locale dans les différentes filières. Dès lors, le projet de la Commission européenne, présenté le 1er juin dernier, qui prévoit une réduction de 5 % des crédits alloués au POSEI par rapport au budget actuel, est inquiétant pour l’économie de nos territoires d’outre-mer.
Face à cette menace, qui contredit d’ailleurs les déclarations du président Juncker lors de la conférence des présidents des RUP en octobre 2017 en Guyane, la mobilisation des acteurs et des élus locaux a été unanime, et désormais, c’est au gouvernement français qu’il appartient de soutenir clairement notre agriculture en outre-mer. La balle est dans votre camp, madame la ministre, puisque, aujourd’hui même, 180 socioprofessionnels de l’industrie agroalimentaire des outre-mer se sont déplacés à Bruxelles, et ils ont obtenu l’engagement de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, de ne pas toucher au POSEI si la Commission reçoit le soutien du Parlement européen et des trois pays membres des RUP, l’Espagne, le Portugal et la France.
Aussi, pouvez-vous, madame la ministre, nous assurer de la volonté de votre gouvernement, lors du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains, de sanctuariser, au moins jusqu’en 2027, l’enveloppe budgétaire consacrée à l’agriculture en outre-mer ?
Merci de votre question, madame la sénatrice.
L’agriculture ultramarine, c’est 35 000 emplois et 1, 2 milliard d’euros de chiffre d’affaires ; nous y sommes particulièrement attachés.
Je parlais précédemment de l’importance des régions ultrapériphériques et, naturellement, nous sommes très attentifs au maintien du POSEI. Comme vous, nous avons vu dans le projet de la Commission des motifs d’inquiétude, et nous avons déjà commencé à défendre la nécessité de stabiliser les crédits de ce programme – Stéphane Travert et Annick Girardin l’ont déjà fait et je m’y emploierai aussi –, compte tenu de leur importance pour la viabilité de l’agriculture ultramarine.
Au-delà du POSEI, nous sommes aussi attentifs au versement des fonds FEADER dans les régions ultramarines. Nous sommes donc parfaitement mobilisés et pleinement sensibilisés. Vous le savez, le Président de la République réunira l’ensemble des acteurs autour du Livre bleu outre-mer pas plus tard que jeudi prochain et, naturellement, ce sujet sera de nouveau abordé ; il figure absolument sur notre liste des sujets sur lesquels nous n’acceptons pas le projet de la Commission.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Madame la ministre, je veux vous remercier, comme à l’accoutumée, de vous être prêtée à ce flot de questions, alors que vous revenez du conseil Affaires générales, que votre emploi du temps était donc contraint, et dans une conjoncture où l’Europe est confrontée à un certain nombre de dossiers difficiles.
Avant de parler du dossier le plus inquiétant, le dossier migratoire, je veux rappeler que, au travers de l’accord de Meseberg, quelques avancées sont tout de même notoires, comme en matière de politique de la défense. Le choix du recours à la majorité qualifiée, que je souhaiterais voir décliné dans d’autres domaines, afin d’avoir une Europe beaucoup plus rapide, le fait de vous être mis d’accord avec les Allemands sur l’impôt sur les sociétés, le fait d’avoir créé un centre franco-allemand de recherche sur l’intelligence artificielle sont autant de sujets malheureusement occultés par le gros dossier de l’heure, le dossier migratoire.
La directive Procédures, que j’ai évoquée tout à l’heure, actuellement en deuxième lecture au sein des instances communautaires et que nous allons expertiser au cours des semaines qui viennent, a trait à la définition du « pays tiers sûr » et implique de plus en plus les pays de la rive sud de la Méditerranée. Pour ma part, je trouve cela très pertinent, très sain, et je suis extrêmement déçu, même si je ne suis pas spécialement surpris, de l’avis négatif de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui considère que la mise en œuvre de cette directive ne serait pas conforme à la Constitution.
Je crois très sincèrement que la France devra, par votre voix, madame la ministre, être d’une extrême fermeté sur le sujet, parce que nous aurions là une possibilité de solution sur les problématiques d’asile. Croyez-moi, je crains que nous ne soyons malheureusement qu’au début de la crise migratoire. En soixante ans, l’Afrique est passée de 250 millions à 1, 25 milliard d’habitants, et, dans trente ans, à horizon de 2050, ce chiffre va doubler.
Il faut donc que nous revenions, Pascale Gruny l’a dit précédemment, à l’esprit de La Valette, c’est-à-dire à la réinjection de fonds communautaires dans les pays pourvoyeurs d’hommes et de femmes qui veulent engager leur processus professionnel à l’extérieur de leur pays ; je n’oublie pas que, dans le prochain cadre financier pluriannuel, 44 milliards d’euros seront justement consacrés à cette politique.
Encore une fois, nous regarderons avec beaucoup d’attention cette directive Procédures, et j’espère que, à Bruxelles, la France sera d’une extrême fermeté en la matière.
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 juin 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Nomination des vingt et un membres de la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins.
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (n° 525, 2017-2018) ;
Rapport de M. Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 570, 2017-2018) ;
Avis de M. Pierre Médevielle, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 563, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 571, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 27 juin 2018, à zéro heure quarante.