Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 26 juin 2018 à 21h45
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 28 et 29 juin 2018

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire c’est que le débat de ce soir cadrera parfaitement avec l’actualité.

Les deux sujets que je compte évoquer, à savoir l’immigration et la défense, qui ont en effet en commun le fait d’avoir été négligés durant trop longtemps, tant par les États que par l’Union elle-même, contraignent à rattraper dans l’urgence un retard certain.

S’agissant des questions migratoires, ce n’est pas un lieu commun que de dire que l’Europe est arrivée à un moment clé de son histoire, l’un de ces moments de fragilité où tous les basculements deviennent possibles. Européen convaincu, j’ai vu cette crise progressivement prendre de l’importance, submerger certains États membres et, hélas, causer de nombreuses victimes. L’action lente et brouillonne de l’Europe a marqué les opinions publiques. Regardons avec lucidité les traces laissées par la crise migratoire en Grèce, en Italie ou en Europe centrale et orientale, notamment. On peut, certes, continuer à montrer d’un doigt moralisateur les démagogues, populistes et autres marchands de solutions simplistes comme s’ils étaient « le » problème. Or ils n’en sont que la conséquence et le suffrage universel, méprisé par ces messieurs de Bruxelles, parle régulièrement.

Comme on pouvait s’y attendre, le sommet d’urgence, réuni dimanche, en l’absence des pays du groupe de Visegrád, n’a pas permis d’avancées. Et la tragique odyssée de l’Aquarius ou du Lifeline continue de cristalliser les tensions. En fait, plus nous attendons, plus les gouvernements intransigeants en matière migratoire risquent de se multiplier et il deviendra bientôt impossible de trouver une solution partagée.

Si aujourd’hui l’objectif annoncé est clairement la mise en place d’une politique migratoire européenne efficace, humanitaire et sûre, force est de constater que nous sommes encore loin de cela. L’Europe de Schengen, soucieuse avant tout du libre-échange, a transféré la charge des frontières extérieures sur des États mal préparés. Pour sauver Schengen, il faut aujourd’hui renforcer ce cadre, donner des moyens à FRONTEX et assurer un meilleur respect du droit.

L’État de droit n’est pas à géométrie variable. Lorsque des personnes n’ont pas vocation à se maintenir sur le territoire de l’Union européenne, elles doivent être effectivement reconduites. Cette forme de laxisme pèse sur les opinions publiques. Je ne parle pas de la politique généreuse en faveur des migrants mineurs qui est aujourd’hui dévoyée et instrumentalisée, impactant toujours plus les finances locales.

Madame la ministre, un renforcement des relations euro-méditerranéennes est nécessaire. Échangeant il y a quelques jours avec des parlementaires allemands, j’ai pu relever leur prise de conscience d’avoir, à tort, abandonné la Méditerranée au profit quasi exclusif de leur relation avec l’Europe centrale et la Russie. Les pays de la rive Sud veulent aussi avancer. J’ai reçu avec le président Jean Bizet, la semaine dernière, une délégation marocaine qui plaidait en ce sens. Le Maroc a d’ailleurs officiellement fait savoir aux autorités européennes sa volonté de coopération, en tant que partenaire à part entière, y compris sur les questions migratoires.

En dehors de l’Afrique et du Proche-Orient, dans d’autres régions du monde, les candidats au départ vers l’Europe se multiplient. En déplacement en Serbie, il y a quinze jours, sur la « route des Balkans », j’ai pu constater que nombre de migrants gérés sur place ne provenaient pas en fait du pourtour immédiat de l’Union mais, pour 85 %, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Iran, ce qui, vous en conviendrez, complique la situation.

Malgré les mesures prises, malgré l’accord avec la Turquie, le trafic d’êtres humains demeure une activité prospère – c’est un peu triste de devoir la qualifier ainsi, mais c’est une réalité ! Ceux que l’on appelle pudiquement des « passeurs », et qui ne sont rien d’autre que des trafiquants d’hommes et de femmes, continuent d’engranger des profits considérables. En marge, toute une « économie de la migration » s’est mise en place, faisant vivre de nombreuses personnes.

En regardant objectivement l’avenir, rien dans la situation géopolitique, économique et démographique ne permet d’envisager une atténuation des flux migratoires.

Madame la ministre, vous savez qu’à quelques mois des élections européennes l’absence d’évolutions significatives sur les questions migratoires ferait le jeu des eurosceptiques. Ces derniers pourraient ainsi achever de détruire l’Union européenne de l’intérieur, ne comprenant d’ailleurs pas qu’avec la désunion, ils affaibliraient les États-nations dont ils sont pourtant les ardents défenseurs.

Concernant les questions de défense, les choses semblent aussi évoluer. Là encore, nous étions dos au mur, confrontés à un contexte international dégradé.

Dans cet environnement troublé, remettre les questions de défense parmi les priorités de l’Union européenne n’apparaît pas comme une option, voire un luxe. C’est, je crois, un enjeu stratégique mais aussi économique. Stratégique, car l’Europe doit désormais s’affirmer comme puissance, et plus seulement comme un marché unique, pour affronter le monde de demain et assurer sa sécurité partout où cela serait nécessaire. Économique, parce que nous disposons d’entreprises de la défense, notamment en France, mais pas uniquement, dotées de compétences industrielles reconnues et qui font vivre nos territoires. Dans ce secteur, dominé par des géants américains, la Russie, vous le savez, revient en force et de nouveaux acteurs issus des pays émergents apparaissent, rendant la concurrence de plus en plus rude.

Les récents débats sur la loi de programmation militaire 2019–2025 ont été l’occasion pour la France de relancer son effort de défense.

Depuis 2016 et la déclaration de Varsovie, l’Union européenne et l’OTAN ont lancé un renforcement de leur coopération dans plusieurs domaines d’intérêt commun, à la fois sur le plan stratégique et sur le plan opérationnel, élargis à la fin de l’année dernière à de nouveaux thèmes tels que la lutte contre le terrorisme, la situation des femmes, la paix et la sécurité, et la mobilité militaire. Tout effort de coopération entre alliés est louable et permettra aux armées d’agir ensemble plus efficacement.

Tout aussi importants sont les rapprochements entre industriels de la défense européens et, plus généralement, la coopération européenne, qui permet mutualisation et économies, au moment où la sophistication des équipements tire les coûts vers le haut. En marge du sommet franco-allemand de Meseberg, les ministres française et allemande de la défense ont signé deux lettres d’intention concernant des projets communs d’armement, l’une sur le système de combat aérien futur, l’autre sur le char de combat du futur.

La volonté politique d’agir existe, et c’est tant mieux, car rien ne peut se faire sans. Nombre d’industriels européens évoquaient, lors du dernier Eurosatory, surtout un besoin de coopération sur des projets d’ambition plus modeste, pour mieux se connaître et apprendre à travailler ensemble.

Par ailleurs, si la priorité est donnée ici à l’axe franco-allemand, ne laissons pas de côté pour autant le partenaire britannique dont les compétences et le format d’armée sont proches des nôtres. S’ils sont écartés de tout, les Britanniques achèteront tout ou presque aux États-Unis. Ce n’est pas l’intérêt de l’Europe !

À côté des questions de défense stricto sensu, le Conseil a récemment adopté des conclusions sur le renforcement du volet civil de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC.

Pour sa sécurité, l’Europe doit, me semble-t-il, continuer à avancer sur ses deux « jambes » : civile et militaire.

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