Il déclarait : « La famille naturelle est attaquée. Les homosexuels veulent nous dominer et effacer notre peuple. »
Dans l’infâme catalogue des boucs émissaires classiques de l’extrême droite, il ne manquait plus que les francs-maçons : le nouveau gouvernement italien vient de réparer cette omission en leur interdisant officiellement toute participation ministérielle. Ce faisant, il franchit une nouvelle étape dans la course aux abîmes en bafouant la liberté de conscience, près d’un siècle après les crimes de Mussolini.
Entendant que le Président de la République italienne avait refusé d’investir le nouveau gouvernement, j’ai espéré quelque temps qu’une conscience humaniste s’opposait à cette violation de droits fondamentaux pourtant inscrits dans les traités européens. Las ! L’objet du conflit, comme toujours, ne portait que sur les préventions supposées du ministre de l’économie pressenti contre les dogmes budgétaires européens. Pour le reste, rien ! Le respect du cadre budgétaire européen doit rester l’essentiel.
Ce triste bilan provisoire nous oblige à nous demander ce qu’il reste des valeurs démocratiques de l’Europe et de la mission que lui ont donnée celles et ceux qui ont tenté de bâtir la paix et la concorde sur les ruines encore fumantes des vieilles nations ravagées par la guerre et marquées du sceau inextinguible de la Shoah.
L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fêté son dixième anniversaire l’an passé. Son bilan d’activité, pourtant contraint par le souci de ne heurter aucun État membre, est inquiétant. L’Agence est ainsi obligée de constater que la deuxième décennie du XXIe siècle est caractérisée par le recul des droits fondamentaux.
Pourtant, la Charte des droits fondamentaux de l’Union, dont cette agence est chargée de surveiller l’application, a été adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne et mise en œuvre par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne de 2007 lui donne même une valeur juridiquement contraignante.
À plusieurs reprises, l’Agence a reconnu que plusieurs États n’avaient pas pris en considération les mécanismes européens et internationaux de surveillance des droits de l’homme. Certaines législations nationales violent même délibérément les traités européens. Néanmoins, ces manquements graves ne suscitent que des observations peu dissuasives de la Commission, ce qui entretient un sentiment d’impunité de la part de ces États qui défient ouvertement les instances européennes.
La Charte semble ainsi être devenue un cadre général subsidiaire et facultatif pour les législations nationales, alors qu’elle est, à présent, constitutive du droit primaire de l’Union européenne. De nouveau, on ne peut que s’insurger contre ce traitement différencié, qui exige le respect absolu des normes économiques, mais accepte avec une grande mansuétude la transgression des dispositions européennes relatives aux droits fondamentaux.
Les traités européens relatifs aux droits fondamentaux ne sont pas des éléments accessoires de la construction européenne. Ils en constituent l’âme et la base. Nous devons nous donner comme objectif commun d’apporter à toutes les citoyennes et à tous les citoyens de l’Union européenne l’assurance que leurs droits fondamentaux seront protégés et satisfaits, quel que soit l’État dans lequel elles ou ils résident.
Accepter qu’il puisse en être autrement revient à laisser aux États membres la faculté de choisir, en fonction de leurs seuls intérêts particuliers, les législations européennes qu’ils souhaitent appliquer. C’est réduire l’Union européenne à un marché économique que, paradoxalement, le Royaume-Uni n’aura aucune difficulté à rejoindre demain, après sa sortie de l’Union.
L’Europe est en grand danger. Elle peut mourir de ce rabougrissement à sa seule dimension mercantile. Le risque est grand de voir, dans moins d’un an, au Parlement européen issu des élections de mai 2019, une majorité favorable à cette réduction majeure de ses prérogatives et de ses ambitions.