Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu en raison d’un voyage officiel avec le Président de la République.
N’hésitons pas à le dire : l’Europe est aujourd’hui en danger, tant les défis à affronter sont immenses.
Les partenaires français et allemand ont réaffirmé récemment, à Meseberg, leur volonté de relancer et de réformer l’Europe. Le Président de la République en a fait une de ses priorités depuis le discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Mais notre partenaire allemand est resté enlisé de nombreux mois dans un processus électoral à l’aboutissement incertain. La situation de la Chancelière allemande demeure fragilisée.
La négociation du Brexit continue de mobiliser une énergie considérable.
Des élections nationales ont eu lieu en Hongrie, puis en Italie, qui ont vu la victoire de partis eurosceptiques et ont confirmé la défiance d’une partie croissante de l’opinion publique européenne vis-à-vis d’une Europe divisée, qui ne parvient pas à rassurer ni à protéger ses citoyens dans un monde globalisé où les menaces s’accumulent.
Mes chers collègues, les élections européennes de l’an prochain seront cruciales pour l’avenir de l’Union.
S’agissant de la défense de l’Europe, la dynamique enclenchée en 2016 dans le cadre de la stratégie globale de l’Union européenne est, disons-le, positive.
Des instruments sophistiqués ont été mis en place, avec l’activation de la coopération structurée permanente, la CSP, prévue par le traité de Lisbonne. Lancée en décembre dernier, cette CSP est pour le moins inclusive, puisqu’elle comprend vingt-cinq pays membres, c’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne à vingt-sept, sauf le Danemark et Malte. On est donc loin de l’idée d’une avant-garde de quelques pays particulièrement en pointe, capables de financer des programmes communs et d’avancer dans un cadre intergouvernemental.
Une liste de dix-sept projets initiaux a été établie sur des projets divers. L’un d’eux est relatif à la mobilité militaire, c’est-à-dire la réduction des barrières aux mouvements de forces militaires à l’intérieur de l’Europe. Ce projet s’inscrit en réalité dans le cadre de la déclaration conjointe Union européenne-OTAN du mois de juillet 2016.
Dès lors, quelle est l’identité propre à la CSP et sa contribution à l’autonomie stratégique européenne ? Comment parvenir à cette culture stratégique commune que la France et l’Allemagne appellent de leurs vœux, malgré les différences d’approche ?
Le Président de la République a récemment proposé d’ajouter une couche institutionnelle supplémentaire. En lançant l’idée d’initiative européenne d’intervention, n’est-ce pas déjà l’aveu d’un certain manque d’ambition, ou de caractère opérationnel, des initiatives précédentes ?
Dans la déclaration de Meseberg, un autre format a encore été évoqué pour la politique étrangère de sécurité et de défense : un Conseil de sécurité de l’Union européenne. Comment envisagez-vous ce Conseil de sécurité, madame la ministre ? Quelles seraient ses prérogatives ? Comment s’articulerait-il, en particulier, avec l’initiative européenne d’intervention ?
Les cadres existent, les avancées sont nombreuses, mais l’essentiel reste à faire. Le défi ne pourra être relevé que par l’aboutissement de projets concrets. De ce point de vue, la déclaration de Meseberg mentionne le système de combat aérien futur – le SCAF – et le système majeur de combat terrestre – le MGCS, pour Main Ground Combat S ystem –, qui constitueront des tests majeurs pour l’Europe de la défense. Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’état d’avancement de ces projets et le calendrier de leur mise en œuvre ?
Après l’Europe de la défense, je veux aborder l’Europe de la sécurité et le contrôle des frontières extérieures. Quelque 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus dans ce domaine.
Alors oui, des progrès ont été réalisés, parmi lesquels le renforcement des contrôles aux frontières extérieures, le déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de gardes-côtes en appui aux 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres, l’amélioration de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations.
Concernant la coopération avec les pays tiers, la Commission européenne a proposé une augmentation substantielle des effectifs et du budget de FRONTEX après 2020. Il s’agit d’une très bonne décision.
Cependant, la réforme du régime d’asile européen commun demeure un point de discorde majeur. Cette question des migrations est d’une actualité brûlante – on le sait – et dramatique. Elle menace non seulement l’unité de l’Europe, mais aussi la pérennité des valeurs sur lesquelles elle est fondée.
Le Président de la République a récemment dénoncé l’attitude de l’Italie en invoquant l’application du droit international maritime. Mais que valent soixante et un ans de construction européenne si nous ne savons répondre à l’une des plus graves crises que l’Europe ait connue depuis sa fondation qu’en invoquant l’application du droit international commun ?
Il n’y aura pas de solution sans action dans les pays de départ des migrants : il faudra mieux informer et développer l’activité économique.
Le récent sommet franco-allemand a rappelé, à ce sujet, le modèle de la déclaration entre l’Union européenne et la Turquie de 2016. Pouvez-vous, madame la ministre, faire un point sur la mise en œuvre de cette déclaration Union européenne-Turquie, et les actions concrètes envisagées par la France et l’Allemagne pour davantage soutenir les pays d’origine et de transit des migrations ?
Je terminerai sur la stabilisation des contours de l’Union.
Nous appelons à la plus grande prudence, s’agissant des perspectives d’élargissement.
Le Président de la République a validé cette approche à l’égard de la Turquie, en préconisant une reformulation du dialogue, pour sortir d’une certaine hypocrisie mutuelle. Le fait est que le processus est au point mort, l’évolution récente de la Turquie, de même que la situation de l’Union européenne, interdisant toute avancée.
Mais, par ailleurs, la présidence bulgare a souhaité mettre l’accent sur le processus d’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux. Des négociations sont en effet en cours avec la Serbie et le Monténégro, dont l’adhésion est envisagée à l’horizon 2025.
Je ne nierai pas la dimension historique et géopolitique de ce processus, qui est importante mais, franchement, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ? Pourquoi fixer l’échéance à 2025, au risque de décevoir ces pays par la suite ?
Tirons les enseignements du référendum sur le Brexit, en nous concentrant sur la consolidation de l’Union européenne, avant de poursuivre un processus d’élargissement qui inquiète les opinions et risque de fragiliser encore un peu plus l’Europe !
Madame la ministre, je vous remercie des renseignements et des réponses que vous apporterez à mes questions.