Intervention de Jean Bizet

Réunion du 26 juin 2018 à 21h45
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 28 et 29 juin 2018

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir dans un contexte particulièrement périlleux. Disons-le clairement : l’Europe est en danger. Dans son rapport publié en février 2017, le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne invitait à un sursaut. Et nous continuons de le dire aujourd’hui, tant les défis à affronter sont immenses !

Nous venons de faire un point d’étape. Le rapport est à la disposition de nos collègues.

Le constat est mitigé. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours ambitieux que le Président de la République a tenu à la Sorbonne le 26 septembre 2017 et, malheureusement, la modestie des résultats obtenus. La méthode était-elle la bonne ? Au catalogue des nombreuses mesures annoncées n’aurait-il pas fallu privilégier une démarche plus pragmatique, concentrée sur les sujets susceptibles d’aboutir à un consensus ?

Or le temps presse. Nous ne pouvons pas rester inertes devant la montée des populismes. Les récentes élections hongroises et italiennes agissent comme une piqûre de rappel. Les opinions publiques européennes sont de plus en plus défiantes face à une Europe divisée, qui ne répond pas à leur besoin de protection.

La crise migratoire concentre légitimement les inquiétudes. Elle illustre tragiquement l’impuissance de l’Europe à agir. Nous prenons acte de certains progrès – il faut le reconnaître – comme le renforcement de FRONTEX que la Commission européenne propose d’amplifier dans le prochain cadre financier pluriannuel. Cependant, parallèlement, la réforme du système européen d’asile est enlisée. Plus profondément, on ressent un grand décalage entre la lenteur du processus européen et l’urgence des réponses à apporter.

Le sommet à seize États, qui vient de se tenir à Bruxelles, n’a malheureusement pas débouché sur des solutions concrètes. Madame la ministre, que peut-on espérer du Conseil européen ? L’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de passeurs et de réseaux criminels qui profitent de la détresse humaine. Le secours en mer est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit porter le débat au niveau international sur la reconduite des bateaux vers leur port d’origine.

Nous examinerons avec beaucoup d’attention la directive Procédures, qui est en cours de seconde lecture à Bruxelles, et qui va redéfinir le concept de « pays tiers sûr ». J’avoue être déjà un peu inquiet à la lecture des commentaires de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur ce point. Le Sénat sera à vos côtés, si vous le souhaitez, madame la ministre, pour être extrêmement ferme sur le sujet.

La conférence ministérielle, qui s’est tenue à Niamey le 16 mars, semble marquer un engagement sans précédent des États africains. Qu’en est-il concrètement de la mise en œuvre de la déclaration adoptée à cette occasion ? Il faut aussi construire des centres d’accueil ou hotspots dans les pays d’accueil ou de transit aux portes de l’Europe. Développons avec ces pays des partenariats ambitieux dans l’esprit du sommet de La Valette, mais exigeons aussi leur coopération active en matière de réadmission.

Face aux nombreux défis que l’Union européenne doit relever, le moteur franco-allemand peine à se concrétiser. Il a pâti de l’incertitude politique en Allemagne, même si la déclaration commune de Meseberg, publiée le 19 juin 2018, intègre finalement des éléments concernant l’avenir de la zone euro. S’il existe aujourd’hui un soutien allemand aux projets du Président de la République, comme le budget de la zone euro, les dispositifs restent à élaborer. La Commission européenne a, quant à elle, présenté des pistes de réforme a minima. Le renforcement du pilotage exécutif de la zone euro n’est pas abordé et l’association des parlements nationaux n’est pas évoquée.

Au plan institutionnel, la déclaration de Meseberg insiste sur la réduction du nombre de commissaires, mesure que nous soutenons. En revanche, nous restons réservés sur des listes transnationales à partir des élections européennes de 2024. Cela étant, nous saluons le souci de passer à la règle de la majorité qualifiée sur un certain nombre de sujets, qu’il s’agisse des problématiques de défense ou d’autres questions, afin d’éviter la paralysie de l’Europe.

Les échanges sur le cadre financier pluriannuel feront figure de test sur une vision commune franco-allemande pour l’avenir de l’Union. Vous connaissez la position du Sénat, madame la ministre. Elle est claire : la politique agricole commune et la politique de cohésion ne peuvent servir de variable d’ajustement, au risque de fragiliser encore davantage la ruralité, ce qui entraînera par « effet domino », si je puis dire, une fracturation de la société française.

À juste titre, la présidence bulgare a mis en avant la stabilité dans les Balkans occidentaux. Nous y sommes très attentifs. Toutefois, la priorité doit être donnée à des progrès significatifs, tant sur l’organisation institutionnelle, l’État de droit, que sur le plan économique. Prenons garde à ne pas ignorer l’état de nos opinions publiques très réticentes face à un processus d’élargissement qui ne serait pas maîtrisé ? Nous l’avons dit à de nombreux interlocuteurs que nous rencontrons, tant dans nos déplacements que lorsque nous les accueillons : nous nous situons toujours dans une phase d’approfondissement de l’Union européenne.

Enfin, je veux évoquer la négociation du Brexit. Nous soutenons l’action du négociateur de l’Union européenne, notre compatriote Michel Barnier. Sa tâche est difficile face aux atermoiements et aux profondes divisions que l’on constate au Royaume-Uni. Notre groupe de suivi se rendra à Dublin, Belfast et Londres au début du mois de juillet.

Nous devons vous faire part de la profonde inquiétude des citoyens européens installés, souvent de longue date, au Royaume-Uni, singulièrement de nos compatriotes. En clair, nombre d’entre eux font l’objet de mesures et de propos discriminants, particulièrement intolérables. Nous les avons rencontrés et leurs témoignages sont assez poignants.

La question irlandaise n’est toujours pas résolue. Elle conditionne pourtant tout accord de retrait. Les récentes propositions de Mme May laissent sceptiques. Nous mesurons chaque jour davantage l’impact économique désastreux du Brexit. Les différentes études publiées par des cabinets spécialisés annoncent, selon qu’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soit conclu ou non, et selon la nature de cet accord, un coût compris entre 35 milliards d’euros et 70 milliards d’euros par an – dans l’hypothèse où aucun accord ne serait signé. Cette somme est à partager entre l’Europe à vingt-sept et le Royaume-Uni. Autrement dit, il s’agit d’un suicide économique collectif.

La récente annonce d’Airbus de retirer ses investissements au Royaume-Uni si aucun accord n’était trouvé ou en cas de « Brexit dur » en est une nouvelle illustration. L’Union doit défendre ses intérêts et veiller, pour l’avenir, à garantir l’intégrité du marché unique, qui n’est pas un libre-service. Sur tous ces points, que peut-on attendre concrètement du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains ?

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