Notre commission est saisie pour avis du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 avril et transmis au Sénat le 13 juin 2018.
« Construire plus, plus vite et moins cher » : personne ne peut être en désaccord avec ces objectifs qui visent à combattre la crise du logement dans laquelle nous nous trouvons. Les derniers chiffres connus montrent une baisse significative au premier trimestre des permis de construire et des constructions neuves, baisse qui se poursuit au second trimestre de cette année. Plusieurs gouvernements ont tenté de combattre cette crise à l'aide de lois-cadres ou de programmation, avec plus ou moins de succès. Ceux qui ont réussi partiellement le doivent souvent à la gouvernance et aux méthodes utilisées. Ce fut le cas - et je prendrai deux exemples pour ne vexer personne - de la loi de cohésion sociale de 2005, qui utilisa simultanément plusieurs leviers : les politiques de l'emploi, de l'égalité des chances et du logement pour restaurer la cohésion nationale, dans un contexte de chômage identique à celui d'aujourd'hui. Elle a eu des résultats significatifs : la construction a augmenté de 50 % dans le pays. Ce fut également le cas des mesures pragmatiques de relance du logement prises par Mme Sylvia Pinel en 2014, à l'issue d'une importante concertation avec les professionnels et les élus. Il n'y a donc pas de fatalité, comme on l'entend trop souvent, face à la crise du logement. Elle peut se résorber, au moins partiellement, par la création de dynamiques vertueuses et l'utilisation d'un certain nombre de leviers liés au foncier, au financement et à la fiscalité.
Les deux crises mondiales que nous avons traversées nous ont ramené à des étiages qui nécessitent des mesures fortes. Nous sommes repassés en dessous des 400 000 constructions par an. Je rappelle que lorsque M. Jean-Louis Borloo avait lancé son plan, on avait atteint un niveau de 480 000 logements par an, contre 330 000 les années précédentes.
Le président Larcher a proposé d'organiser, en prélude à ce projet de loi, une conférence de consensus sur le logement, en association avec le ministre de la cohésion des territoires, M. Jacques Mézard, afin de préparer l'examen de ce texte. Cette démarche originale a été un succès. Elle a permis de recenser, sous la coprésidence de parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale, de toutes les sensibilités politiques, de très nombreuses propositions.
À l'issue de ce cycle de concertation, le président du Sénat a mis en exergue deux axes forts devant guider les travaux du Parlement : d'abord, la nécessité d'adopter une approche pragmatique, qui prenne mieux en compte les besoins, les spécificités et les contraintes des territoires, ainsi que les expériences des acteurs de terrain, et en particulier des maires ; ensuite, l'urgence de simplifier notre droit, y compris s'agissant des nouveaux dispositifs proposés par le Gouvernement comme les grandes opérations d'urbanisme ou les projets partenariaux d'aménagement.
Je me suis donc attaché à vérifier que les attentes exprimées dans cette conférence de consensus étaient satisfaites totalement, ou partiellement, par ce projet de loi ELAN.
Or, force est de constater que ce texte n'est pas une loi de décentralisation : dès ses premiers articles il propose de créer de nouveaux outils permettant de dessaisir le maire de ses prérogatives, notamment en matière de permis de construire, dans le cadre de grandes opérations d'urbanisme (GOU), dont l'utilité reste d'ailleurs à démontrer après l'échec retentissant du précédent outil créé par un autre gouvernement : les opérations d'intérêt national (OIN).
Plusieurs autres articles dénotent une méfiance certaine du Gouvernement vis-à-vis des élus locaux, en particulier des maires. Il y a donc une volonté claire de recentralisation en prévoyant l'intervention du préfet à tous les niveaux et en minorant rôle du maire. Certains des amendements que je vous proposerai s'attacheront donc à rétablir le rôle essentiel du maire dans l'utilisation et la régulation du droit du sol et des autorisations d'urbanisme.
Ce texte est-il une loi de simplification ? Alors qu'il était initialement composé de 65 articles, le projet de loi transmis au Sénat en compte désormais 179. Je doute que nous puissions l'examiner en une semaine au cours du mois de juillet.
Si on examine ces articles dans le détail, on s'aperçoit qu'on crée de nouveaux outils toujours plus complexes alors même que nous n'utilisons pas toutes les potentialités de ceux qui existent déjà. Ce texte met également en place une mécanique autoritaire de regroupement et de financement des bailleurs sociaux, centralisée autour de deux grands acteurs : Action logement et la Caisse des dépôts et consignations. Cela ne va pas dans le sens de la proximité et des territoires. Nous ne sommes pas saisis de ces questions, la commission des affaires économiques donnera son point de vue.
Enfin, ce texte va-t-il être efficace et s'attaque-t-il aux vraies contraintes que rencontrent les maires, tous les jours sur le terrain, à savoir la contrainte financière - sur laquelle nous ne sommes pas saisis, puisque toutes les mesures fiscales et financières, notamment de regroupement des bailleurs sociaux, ont été prises dans la loi de finances, alors même qu'elles privilégient les zones tendues au détriment des autres territoires -, et la contrainte urbanistique, toujours plus lourde en raison des prescriptions environnementales qui raréfient considérablement le faisceau des possibles pour l'avenir ? Au final, on constate moins d'argent pour les bailleurs sociaux pour construire plus, et moins de terrains pour construire et développer les logements de toute nature : cela ne peut pas aller dans le sens de l'efficacité...
Ce projet de loi comporte plusieurs grands axes : construire plus, mieux et moins cher, faire évoluer le secteur du logement social, répondre aux besoins de chacun tout en favorisant la mixité sociale et améliorer le cadre de vie.
Malgré une saisine au périmètre très large, tenant au grand nombre de dispositions entrant dans le champ de compétence de notre commission, je vous propose de nous concentrer sur les mesures nécessitant une intervention de notre part, sans nous attarder sur les dispositions n'appelant aucun commentaire particulier.
Mes propositions se veulent complémentaires des travaux réalisés par la commission des affaires économiques, saisie au fond du projet de loi, sous l'égide de sa rapporteure, notre collègue Dominique Estrosi-Sassone, ainsi que des travaux réalisés par nos collègues Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, ainsi que du groupe d'études « Mer et Littoral », présidé par Michel Vaspart dont nous avons repris les deux principaux amendements dans la continuité des précédents travaux de la commission, sous l'autorité du Président Philippe Bas.
Ainsi, alors même que la saisine de votre commission concerne 71 articles, je vous propose d'adopter seulement 34 amendements. Concernant la question particulière des ordonnances, que le Gouvernement a choisi d'utiliser tout azimut, les statistiques déjà présentées ici, montrent bien que cette méthode n'est pas forcément plus rapide qu'un véritable examen par le Parlement. En outre, il me semble que lorsque l'on touche au droit de la copropriété, par exemple, priver le Parlement de son pouvoir de législateur, alors même qu'il importe de garantir le bon équilibre dans les relations entre propriétaires et locataires, n'est pas pertinent.
En conclusion, ce texte comprend plusieurs points positifs pour accélérer la construction, notamment le renforcement de la lutte contre les recours abusifs. Toutefois, il manque d'un ingrédient essentiel : la confiance dans les territoires et dans les élus locaux, alors que plusieurs gouvernements précédents s'étaient appuyés sur cette confiance, pour résoudre la crise du logement.