Intervention de André Rouvière

Réunion du 11 mai 2006 à 10h00
Respect effectif des droits de l'homme en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de André RouvièreAndré Rouvière :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne tenterai pas de définir ce que sont les droits de l'homme, car cela prendrait trop de temps, sinon pour affirmer qu'il s'agit du respect de l'homme et de ses droits tels qu'ils sont définis dans de très nombreux textes nationaux et internationaux.

En revanche, il est facile, hélas, de constater les infractions au respect de ces droits. En France, les exemples sont beaucoup trop nombreux. Je rappellerai, à la suite de nos collègues, les prisons surpeuplées, les contrôles et les arrestations parfois trop « musclées », la lutte contre les immigrés clandestins, les agressions racistes et autres, notamment en Corse.

Toutes ces affaires, que révèlent les médias, attestent que, même en France, le problème du respect des droits de l'homme se pose réellement et quotidiennement. Cette situation est inquiétante, mais l'évolution de notre société l'est plus encore, me semble-t-il, car elle rend plus difficile le respect des droits de l'homme.

Si, en disposant d'un temps de parole plus long, je pourrais évoquer bien d'autres domaines, je n'aborderai ici que trois secteurs, la justice, le travail et l'éducation, qui me suffiront pour lancer un cri d'alarme : en France, les droits de l'homme sont en danger !

La justice, tout d'abord, pour des raisons diverses, sur lesquelles je ne m'étendrai pas, a tendance à substituer à la présomption d'innocence la présomption de culpabilité.

Monsieur le garde des sceaux, on emprisonne d'abord, on juge après, parfois des mois ou des années plus tard ! La détention provisoire, qui devrait être l'exception, devient la règle, hélas. À la fin de l'année 2005, les prisons françaises comptaient plus de 21 000 prévenus, soit environ 35 % du total des personnes écrouées. Celles-ci sont enfermées dans des cellules exiguës, où prévenus et condamnés sont trop souvent entassés et mélangés.

L'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'a toutefois pas été abrogé ! Il dispose que « tout homme [est] présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

La dérive qui consiste à sanctionner a priori s'insinue dans de nombreux domaines de notre vie quotidienne, malheureusement. Un exemple fréquent, dérisoire, bien sûr, au regard de l'emprisonnement, mais qui illustre, à mon sens, l'évolution des mentalités, peut être trouvé dans les procès-verbaux que nous inflige l'éclair d'un radar sur le bord d'une route.

Mes chers collègues, lorsque vous êtes persuadé qu'il y a erreur, que vous adressez une requête en exonération et utilisez le point 3 du procès-verbal, il vous est indiqué qu'en envoyant le formulaire de requête vous devez acquitter 135 euros de consignation. Certes, il est précisé que cette consignation n'est pas assimilable au paiement d'une amende, mais je note qu'avant d'être reconnus coupables nous subissons une sanction, même si celle-ci est dénommée consignation. La présomption d'innocence se trouve ainsi écartée.

Cette dérive se généralise, ce qui est grave au regard des droits de l'homme. Le rejet de la présomption d'innocence favorise la délation, l'accusation non vérifiée.

Hier, c'était Outreau, aujourd'hui, c'est la lamentable affaire Clearstream. Si nous n'arrêtons pas cette folie, demain, chacun d'entre nous risquera de devoir saisir la justice afin de prouver son innocence. Nous serons coupables a priori, potentiellement d'abord, réellement ensuite.

Il faut donc restaurer la présomption d'innocence et lui donner toute sa place. Monsieur le garde des sceaux, l'exemple - je parle du bon exemple - doit venir d'en haut. Or, je ne vois rien venir.

S'agissant à présent du travail, la recherche à tout prix d'une rentabilité toujours plus grande n'est pas compatible avec le respect des droits de l'homme. Une course folle à toujours plus de profit entraîne la disparition d'entreprises, des suppressions d'emploi et des réductions de salaires. Le chômage s'installe, même si les statistiques officielles s'efforcent de prouver le contraire. La précarité fragilise le travailleur.

Dans ce contexte, les droits du travail, qui font partie des droits de l'homme, sont trop souvent considérés par certains comme un obstacle au profit et à la rentabilité.

Une nouvelle donne économique s'abat sur la France. Elle ne frappe pas seulement notre pays, mais elle ne l'épargne pas. Les salaires doivent être sacrifiés aux profits, parfois aux superprofits.

Notre pays s'enrichit, certains groupes industriels accumulent des bénéfices faramineux, mais leurs employés s'appauvrissent, que la précarité menace et la colère habite. Parfois, les banlieues explosent.

Enfin, j'évoquerai l'éducation du citoyen, pour souligner que l'école n'a plus les moyens de l'assumer. L'école communique des savoirs, elle les transmet, souvent bien, voire très bien. Néanmoins - tout comme la famille désormais - elle n'éduque plus le citoyen. Le respect de l'autre et l'acceptation de la différence font partie d'une indispensable éducation, mais qui l'assume aujourd'hui ? Presque personne, car nous n'apprenons plus à respecter, nous cherchons à obliger à respecter.

La répression a remplacé la prévention, mais elle a ses limites. Elle est peut-être indispensable dans certains cas, mais en général elle est insuffisante. Le respect de l'autre ne s'impose pas, il s'apprend, par l'éducation et par l'exemple.

Le service militaire aurait pu contribuer à cette éducation citoyenne. En le supprimant, le président Chirac a commis une lourde faute. Un jour, j'en suis convaincu, il faudra rétablir le service national obligatoire pour toutes et pour tous.

En résumé, il n'y a plus d'éducation citoyenne, et l'exemple qui nous est donné en haut lieu n'est pas bon. Une rupture est effectivement nécessaire, afin de retrouver le sens des valeurs qui est indispensable au respect des droits de chacune et de chacun.

Je le répète, le bon exemple doit venir d'en haut, mais je ne vois rien venir. En France, les droits de l'homme sont en danger. Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement en est-il conscient ?

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