Intervention de Ivan Renar

Réunion du 11 mai 2006 à 15h00
Politique de l'archéologie préventive — Débat sur un rapport d'information

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Notre pays ne peut pas promouvoir de façon crédible la diversité culturelle, y compris à l'UNESCO, s'il ne se donne pas les moyens de faire vivre et d'éclairer ce que furent les productions humaines d'hier, qu'elles soient économiques, sociales ou culturelles.

Les Français sont passionnés par leur histoire comme en témoigne le succès des recherches généalogiques ou encore celui, fulgurant, de la consultation en ligne des archives numérisées de l'INA, que vous évoquiez hier soir, monsieur le ministre. On a eu raison de se doter des moyens nécessaires à la sauvegarde de ces documents audiovisuels si fragiles et de permettre leur diffusion à un large public : c'est là une sorte d'« archéologie préventive » du XXIe siècle.

De la même manière, on a eu raison de se doter, avec l'INRAP, des moyens de donner une nouvelle vie aux vastes gisements de mémoire que recèle notre sous-sol.

Et si l'archéologie préventive a un coût, elle est surtout un investissement d'avenir : à ce titre, elle n'a pas de prix ! Elle est partie intégrante de l'exception culturelle et lui donne encore plus de force. Car, on le sait, il n'y a pas de création sans assimilation critique de l'héritage du passé.

Alors, après avoir amputé drastiquement les moyens de l'établissement public qu'est l'INRAP, ce qui engendre inévitablement des difficultés dans la poursuite de ses missions de service public, je redoute, pour parler franchement, que ce nouveau rapport n'aboutisse qu'à lui infliger le coup de grâce.

Certes, les compétences de l'INRAP et de ses archéologues ne sont pas contestées, et chacun se réjouit du résultat inespéré des fouilles. À Marseille, par exemple, elles ont permis de mettre au jour un sanctuaire qui date de la fondation de la ville, soit quelque 600 ans avant notre ère : c'est le plus ancien monument architectural de France qui a été ainsi exhumé, valant à ce site exceptionnel d'être classé ! Il en est de même des vestiges de la Lutèce gallo-romaine, à deux pas du Sénat, sur le site de l'Institut Curie.

Le problème est que, sur un secteur devenu concurrentiel depuis la loi de 2003, l'INRAP ne maîtrise pas son carnet de commandes puisque c'est l'État et ses services archéologiques qui prescrivent. Les conséquences de la loi de 2003 n'ont pas été tirées, ce qui rend le pilotage de l'établissement hasardeux, avec un déficit croissant, induit par le dispositif législatif lui-même.

L'ouverture à la concurrence, introduite par la loi de 2003, est-elle de nature à améliorer la qualité des missions scientifiques des différents opérateurs ? Avez-vous, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, des analyses précises sur ce sujet ? Pour ma part, je pense qu'elle a été de nature à accroître les délais de diagnostics et fouilles archéologiques de plusieurs mois, là où la concurrence était présente.

Notre connaissance historique peut-elle se soumettre au jeu de la concurrence ? Doit-on écrire l'histoire de France avec tantôt Vinci, tantôt Total, Arcélor ou une société suisse ? Peut-on envisager un dispositif où l'INRAP soit au coeur des projets et non plus en voiture-balai ? Ne peut-on pas, au contraire, fédérer autour de l'INRAP les opérateurs majeurs de l'archéologie préventive, les compétences locales, régionales, privées, les universités, le CNRS, afin de bâtir des projets opérationnels de qualité, plus attractifs en termes de coûts et de délais ?

L'INRAP a conscience de ses faiblesses et les analyse tout en préconisant des solutions, qu'il s'agisse du coût prohibitif des fouilles pour les aménageurs, du principe de financement aligné sur le concept, inadapté, du « pollueur-payeur », des délais de réalisation trop longs et, enfin, des conséquences néfastes d'un système de gestion archaïque, incohérent et bureaucratique.

On ne peut que se féliciter que l'INRAP n'hésite pas à se remettre en question de façon constructive, soucieux de mieux répondre aux attentes des archéologues comme à celles des aménageurs.

Alors, plutôt que de s'acharner sur l'INRAP, dont les missions sont fixées par la loi, ne faudrait-il pas que le Gouvernement et l'État se dotent d'une véritable vision stratégique afin de développer cette essentielle mission de civilisation qu'est l'archéologie préventive ? Pour ce qui concerne les opérateurs, celle-ci est aujourd'hui entrée dans les moeurs. Plus que jamais, nous avons besoin de l'INRAP et d'un engagement fort de l'État à ses côtés.

Je suis persuadé que les personnels de l'INRAP, très attachés à la notion de service public, ne demandent qu'à mettre en place des procédures et dispositifs plus souples et cohérents afin de toujours mieux développer l'archéologie préventive et l'appropriation des découvertes et recherches scientifiques par un vaste public.

Et si certains trouvent qu'il y a trop d'archéologues, pour ma part, je pense qu'il n'y en a pas assez pour faire face aux 300 000 permis de construire déposés chaque année, sans parler des nouveaux grands projets d'infrastructures sur notre territoire.

Les archéologues ne demandent qu'à être sur le terrain et à travailler en bonne intelligence avec les aménageurs publics ou privés, sans lesquels il n'y aurait pas d'archéologie préventive.

L'ensemble des acteurs concernés souhaitent que tout soit mis en oeuvre pour permettre à l'INRAP d'être un outil efficace au service de la science, en lien avec les services archéologiques des collectivités territoriales.

C'est pourquoi je préconise, avec mes amis, la mise sur pied d'une table ronde - elle pourrait se tenir au Sénat - réunissant les élus, les archéologues, les pouvoirs publics, les aménageurs publics et privés, sans oublier les services de l'État, afin de procéder à un état des lieux partagé et de proposer une évolution du mode de fonctionnement actuel et la pérennisation de l'archéologie préventive en adossant son financement sur un dispositif équilibré où l'État doit prendre toute sa part.

La loi de 2001, puis celle de 2003, dont l'impact est mesurable, doivent être analysées du point de vue tant des prescriptions que de la capacité de l'INRAP à y faire face dans les mois et les années à venir.

Le rapport dont nous débattons succède à trois inspections générales en trois ans, émanant de trois ministères, finances, intérieur et culture, sans oublier la mission interministérielle en cours. Comme j'aimerais y voir une marque d'intérêt de l'État pour l'archéologie préventive !

Mais j'ai du mal à comprendre cette logique qui souligne l'importance de l'archéologie préventive et, dans le même temps, envisage de lui couper encore davantage les vivres. L'INRAP, principal opérateur en la matière, est aujourd'hui sous perfusion.

Les archéologues, malgré des compétences reconnues, sont maintenus dans une grande précarité. Actuellement, aucun moyen n'est dévolu à la formation d'une nouvelle génération d'archéologues. Pourtant, l'archéologie préventive n'est pas un luxe ; elle est au contraire une science en mouvement qui peut encore bouleverser l'état des connaissances de l'histoire de notre pays.

C'est une formidable machine à remonter le temps, qui témoigne que tout est éphémère mais que rien ne meurt vraiment. Je ne le répéterai jamais assez, ce qui coûte cher, ce n'est pas la culture, c'est l'absence de culture. Je ne vois pas comment on peut afficher l'ambition d'une politique volontariste de l'archéologie préventive sans lui donner les moyens humains et financiers nécessaires à la pleine réalisation de ses missions.

Il est plus que temps de réunir les acteurs concernés dans le cadre d'une table ronde, dont l'objectif est bien d'apporter des réponses concrètes aux dysfonctionnements et aux incohérences repérés tout en pérennisant cet outil national essentiel de l'archéologie préventive qu'est l'INRAP.

Ce n'est qu'en s'appuyant sur l'expérience, la pertinence de l'analyse de tous ceux qui sont aux premières loges que l'on pourra vaincre les obstacles aujourd'hui bien repérés et permettre un développement durable de l'archéologie préventive, dont le service public que constitue l'INRAP est une pièce maîtresse.

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