Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, encore un débat sur l'archéologie ! Je pense qu'il nous faut nous en réjouir : pendant trop longtemps, en effet, pendant des dizaines d'années, il n'avait pas été question d'archéologie au Parlement. Il faut reconnaître que, depuis 2001, le rythme des débats s'est singulièrement accéléré.
Il faut sans doute y voir non seulement une preuve de l'intérêt que les pouvoirs publics, le Parlement et les Français portent à l'archéologie, c'est-à-dire à la connaissance de notre passé et de ce qui est inscrit dans le sous-sol, de notre volonté de traiter sérieusement la préservation d'une source historique essentielle, mais aussi le signe de la conscience que cela ne va pas tout seul et qu'il faut arbitrer entre l'aspiration à la connaissance et les nécessités de la vie et de la préparation du futur.
Je tiens, à l'occasion de ce débat, à formuler tout d'abord un souhait : celui que nous ne commettions pas une erreur de perspective.
Nous parlons parfois de l'archéologie, parfois de l'INRAP. L'INRAP est un instrument au service de l'archéologie. Il ne faut pas confondre une politique globale et un instrument très important au service de cette politique.
L'erreur de la loi de 2001 était de vouloir instaurer, en France, un monopole dans le domaine de l'archéologie préventive. C'était en particulier une erreur s'agissant du recrutement. J'ai entendu, tout à l'heure, mon collègue M. Ivan Renar s'inquiéter du recrutement. Il faut en effet que, chaque année, des jeunes motivés puissent entrer dans la profession d'archéologue. Où sont-ils formés ? Essentiellement au sein des universités. L'instauration d'un monopole suppose évidemment, à un moment donné, un recrutement massif, suivi ensuite, chaque année suivante, de recrutements à la marge, alors que le nombre des étudiants en archéologie dans les universités, lui, n'est pas limité. Il s'ensuit donc une pression terrible et, du fait de ce monopole, il ne peut être répondu à toutes les demandes d'intégration au sein de celui-ci, aussi justifiées soient-elles.
Rien que pour cette raison, instaurer un monopole était dangereux.
L'idée du Parlement, en 2003, fut de mettre en place, à côté de cet instrument para-étatique qu'est en fin de comte l'INRAP, des services archéologiques relevant des collectivités territoriales, voire d'organismes privés.
Il est inutile de rouvrir le débat qui avait eu lieu entre nous voilà deux ou trois ans sur ce dernier point. En effet, dans le domaine de l'archéologie, les organismes privés ne se sont pas multipliés et la crainte de voir l'appétit de lucre se répandre dans le domaine de l'archéologie s'est finalement révélée vaine.
Ce que je regrette, c'est que les collectivités territoriales n'aient pas été plus nombreuses à se doter de services archéologiques. Nous ne serions pas confrontés aux difficultés actuelles si les organismes de ce type étaient plus nombreux. L'on en compte, paraît-il, cinquante-quatre, une quarantaine étant financée par des collectivités territoriales. C'est peu, monsieur le ministre !
Si j'ai un regret à formuler et, peut-être, un petit reproche à faire, je dirai que les collectivités territoriales n'ont pas été suffisamment incitées à se doter de services archéologiques, si bien que nous sommes encore à une étape intermédiaire entre la loi de 2001 et celle de 2003.
Nous avons mis officiellement un terme au monopole par la loi, mais, dans la pratique, un seul organisme se charge du diagnostic et reçoit l'essentiel des commandes en matière de fouilles parce qu'il est le seul réellement apte à pouvoir intervenir.
Nous demandons à l'INRAP de répondre rapidement tout en n'augmentant plus ses moyens, parce qu'il serait effectivement dangereux de les accroître de manière inconsidérée, et nous le mettons de ce fait dans une situation extrêmement difficile.
Il est urgent que nous franchissions enfin cette étape intermédiaire. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté de rencontrer les représentants des collectivités territoriales, des régions, des départements et des grandes agglomérations pour que, sur l'ensemble de notre territoire, un nombre important d'organismes ayant toutes les compétences requises soient capables d'agir dans le domaine archéologique.
Il y a urgence. Si nous restons encore quelque temps dans cette situation, il ne faudra pas nous étonner que les plaintes continuent à pleuvoir, en particulier celles des investisseurs.
J'ai découvert, monsieur le ministre, en arrivant en séance, l'existence d'un rapport sur ce sujet au Parlement. J'ignore pourquoi je ne l'avais pas reçu et n'avais même pas été informé de son existence : c'est un peu déplaisant pour celui qui, en 2003, fut ici même rapporteur du projet de loi relatif à l'archéologie préventive et se fait un devoir d'exercer le droit de suite qui est celui de tout rapporteur d'un texte de loi au Parlement.
J'ai eu néanmoins la joie, monsieur le ministre, en feuilletant ce rapport, de voir que ma région et mon département du Nord étaient mentionnés pour des fouilles qui ont eu lieu dans la communauté d'agglomération dont je suis le président : j'y lis avec intérêt que la connaissance de la période du Haut Moyen Âge a progressé grâce à ces fouilles.
Cependant, cela rappelle à l'investisseur que je suis aussi par ailleurs que, à côté de ma satisfaction de découvrir les traces d'un habitat carolingien, dont attestent la présence de métiers à tisser et celle de dix-sept tombes d'enfants enterrés à cette époque, dont les squelettes ont été retrouvés en bon état de conservation, il est un autre aspect dont il me faut parler ici, car il m'a rendu extrêmement nerveux tout l'été et tout l'automne de l'année passée.
Votre serviteur et les élus de ma région ont, en effet, craint de voir une entreprise textile française prestigieuse, fleuron de la confection de linge de table et membre du Comité Colbert - ce qui n'est pas rien, dans notre pays ! - revendue à un financier américain qui avait la tentation de transférer cette très ancienne usine aux États-Unis, en Chine ou en Europe centrale, en tout cas hors de notre sol.
Cette délocalisation eût été à tous points de vue une perte ; soixante-cinq emplois auraient été supprimés. Il nous appartenait donc de convaincre cet investisseur de sauver les emplois menacés ; nous pouvions espérer le voir en créer trente-cinq de plus et, peut-être, construire une usine neuve, chose fort rare, de nos jours, dans le secteur du textile en France.
Pour mener notre projet à bien, il nous fallait proposer un terrain et respecter des délais extrêmement courts : un investisseur arrivant de New York ne comprend pas qu'en France, en un an, il ne soit pas possible de construire une usine et de la rendre opérationnelle !
Nous avons relevé ce défi. Le seul terrain dont disposait mon agglomération était celui où il y avait eu prescription de diagnostic, lequel a révélé qu'il fallait faire des fouilles, à cause de cette trace de poteaux carolingiens. Il a fallu beaucoup d'efforts financiers et la bonne compréhension de l'INRAP - je tiens à le saluer, car nous avons finalement réussi à régler le problème - pour parvenir à sauver soixante-cinq emplois, à en créer une trentaine d'autres et à voir l'usine s'achever. Mais après quelles inquiétudes, monsieur le ministre !
Il faut savoir que, dans la concurrence entre territoires, qu'il s'agisse d'une concurrence interne à la France ou d'une concurrence avec l'étranger, les prescriptions de fouilles archéologiques et l'allongement des délais qui en résulte peuvent jouer un rôle tout à fait important.
C'est bien pourquoi nous serait extrêmement précieuse une carte indiquant quels sont les territoires soumis à imposition de diagnostic et, au-delà, le diagnostic étant fait, ceux où il y aurait éventuellement obligation de procéder à des fouilles, afin qu'on n'ait pas à découvrir qu'elles sont nécessaires au dernier moment, quand un investisseur vient exiger de se voir livrer une usine dans six ou huit mois, sous peine d'aller la construire en Chine, en Europe centrale ou ailleurs.
Car, de nos jours, les choses se passent ainsi, que cela nous plaise ou ne nous plaise pas ! À nous d'en tirer les conséquences et de faire en sorte que l'archéologie ne vienne pas, au nom d'une éventuelle connaissance du passé, se mettre en balance avec la préservation de l'avenir, des emplois et de la vie. L'archéologie n'est pas fautive, mais telle est bien la réalité des choses à laquelle se trouvent parfois confrontés les investisseurs.
Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas faire des diagnostics uniquement quand ils sont nécessaires ? À mon avis, actuellement, ils sont prescrits un peu trop systématiquement, en tout cas dans ma région, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pourquoi ? La question mérite d'être posée.
Par ailleurs, ne pourrait-on établir des diagnostics sans utiliser le terrain immédiatement après ? En effet, actuellement, les méthodes de diagnostic sont telles, en l'occurrence des tranchées tous les cinq mètres, et leurs conséquences sont si lourdes que ce terrain ne peut plus être remis en culture ensuite. Cela explique que l'on n'ose pas anticiper sur une demande éventuelle.
Comment dire à un cultivateur qu'il ne peut plus ensemencer et doit se priver d'une récolte, au motif que dans trois, quatre ou cinq ans, on aura besoin de son terrain et qu'en attendant il faut lever la prescription archéologique ? Il y a là une difficulté.
Ne pourrait-on pas, avec les moyens actuels dont on dispose, mettre en place des approches de diagnostic ayant des effets moins lourds sur le terrain ? Je n'en sais rien. Je souhaite simplement que cet aspect du problème soit examiné.
Monsieur le ministre, l'archéologie demande souvent aux investisseurs et aux collectivités locales des efforts financiers importants. Certains les comprennent, d'autres moins. Les Français sont capables de s'intéresser à l'histoire que révèle leur sous-sol, mais en contrepartie des efforts importants qui leur sont demandés - dans l'exemple que je citais, la somme en jeu représentait 1 million d'euros pour ma collectivité : ce n'est pas rien ! -, ils attendent que les fruits des recherches soient portés à leur connaissance et que l'archéologie puisse être popularisée.
Certes, on parle plus d'archéologie qu'avant. Il convient de saluer les efforts faits en ce domaine, notamment par l'INRAP. Toutefois, les résultats des fouilles doivent être connus systématiquement et le plus rapidement possible, et les objets éventuellement montrés. La loi comporte d'ailleurs des dispositions à cet égard.
Monsieur le ministre, il a été également prévu dans la loi que nous ayons régulièrement un débat au Parlement, à l'occasion de la remise du rapport. Notre discussion n'est qu'un rapport d'étape par rapport à la mise en oeuvre de l'archéologie en France, mais je me réjouis qu'elle ait lieu aujourd'hui, tout en espérant que ce ne sera pas la dernière.
Monsieur le ministre, ne nous laissez pas au milieu du gué. Il faut convaincre les collectivités de s'engager dans la constitution de services archéologiques régionaux. Plutôt que de modifier la loi, il vaut mieux tirer toutes les conséquences de son esprit. En France, nous avons le droit de connaître notre passé, mais cette connaissance ne saurait insulter la préparation de l'avenir.