Intervention de Frédérique Vidal

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 28 juin 2018 à 10h45
Audition de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Merci de votre invitation. Je n'avais pas eu l'opportunité d'être entendue par votre commission depuis le mois de janvier, alors que le Sénat s'apprêtait à examiner, dans votre commission puis en séance publique, le projet de loi « orientation et réussite des étudiants ». Ce projet est devenu une loi de la République, en grande partie grâce à la confiance du Sénat et je vous en remercie. Nous avons su trouver ensemble un point d'équilibre et je salue le travail de votre rapporteur, Jacques Grosperrin.

Cet équilibre est le fruit des nombreux travaux conduits par votre commission, et est aussi la preuve que le Gouvernement a su travailler efficacement avec le Sénat. Ce travail n'a pas été remis en cause en commission mixte paritaire (CMP). Bien au contraire, ce fut l'une des rares CMP conclusives de cette session ordinaire, qui a su préserver de nombreuses propositions du Sénat. Nous avons écrit ensemble une loi de progrès social qui accorde un rôle central aux lycéens en leur donnant un véritable pouvoir de choisir leur affectation.

L'accord obtenu en CMP était aussi le reflet d'une préoccupation que nous avons tous partagée. Le système Admission Post Bac (APB) n'était plus en mesure de remplir sa mission d'affectation. La décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 25 septembre 2017 puis l'annulation de la circulaire permettant de recourir au tirage au sort ont rendu le système illégal et donc inopérant - uniquement pour la phase d'affectation et non pour celle de dépôt des voeux. Nous avions impérativement besoin d'une loi avant le 31 mars.

S'il est encore trop tôt pour dresser le bilan de la campagne d'affectation 2018, je peux déjà vous rendre compte de la bonne exécution de la loi du 8 mars 2018 et du bon fonctionnement de Parcoursup. Les 812 000 candidats inscrits sur la plateforme ont eu jusqu'au 31 mars pour formuler puis valider leurs voeux. La plateforme a diffusé auprès de chaque lycéen les attendus précis des 13 000 formations référencées sur Parcoursup. À ce jour, presque tous les décrets d'application de la loi ont été pris, moins de six mois après l'adoption de la loi.

Parcoursup a mis en évidence la réalité de ce que souhaitent les lycéens. Près de 6,3 millions de voeux ont été formulés, dont 68 % sur des formations sélectives et 32% sur des formations universitaires. Nous avons fait le choix de donner une totale liberté aux lycéens, en contrepartie du renforcement de leur orientation. Depuis le 22 mai, les candidats peuvent prendre connaissance des réponses à leurs voeux et faire leurs choix finaux. Plus de 646 000 candidats ont reçu au moins une proposition d'admission, soit plus de 80 % des lycéens, et plus de 90 % des lycéens inscrits en filière générale. C'est au-dessus des projections initiales du Gouvernement.

Le système est évolutif, il affecte sans tirage au sort et sur le fondement d'une orientation construite tout au long de l'année de terminale. Surtout, il permet aux lycéens d'être maîtres de leur affectation en leur donnant la possibilité de choisir entre plusieurs propositions, ce qui n'était pas le cas avec le système antérieur. En moyenne, chaque candidat a reçu trois propositions. Chaque candidat qui fait son choix libère des places, qui sont immédiatement proposées à de nouveaux candidats. Dès le 22 mai, 63 000 candidats ont définitivement validé leur affectation. Aujourd'hui, ils sont plus de 361 172.

Comme tous les nouveaux systèmes, Parcoursup a suscité des interrogations et il suppose que chacun se l'approprie. Les lycéens en ont compris la logique et le mode de fonctionnement, d'autant mieux qu'ils ont vu, l'année dernière, les lycéens patienter plusieurs semaines entre deux tours d'APB sans avoir la moindre visibilité ni la moindre prise sur le processus.

Parcoursup fonctionne-t-il mieux qu'APB ? Les deux systèmes diffèrent profondément, non seulement sur le plan technique, mais dans leur esprit même. Avec APB, la priorité absolue était, coûte que coûte, de tirer parti des ressorts de l'algorithme pour faire une proposition au plus grand nombre de candidats possible. Chaque année, il a fallu augmenter un peu plus les contraintes qui pesaient sur les lycéens : hiérarchisation des voeux, pastilles vertes - obligation de s'inscrire dans au moins une de ces filières, même si elle ne correspond pas aux voeux du lycéen - règles non écrites comme la « règle des six voeux » - un lycéen ne formulant pas au minimum six voeux était moins bien traité. Ces contraintes conduisaient à formuler aux candidats des propositions qui ne leur convenaient pas : 64 % à peine des candidats acceptaient une proposition faite par la plateforme.

Les difficultés de la campagne 2017 ont mis en évidence un phénomène alors peu connu : le premier voeu n'était pas forcément le premier choix. Outre les stratégies d'optimisation, il est apparu que les préférences des lycéens n'étaient pas nécessairement figées dès mars.

Parcoursup est fondé sur le principe du dernier mot à l'étudiant, gravé dans la loi : l'objectif n'est pas seulement de faire une proposition à chaque candidat, c'est de lui faire une proposition qui lui convienne. Cette idée simple permet d'accomplir l'objectif cardinal de cette réforme : démocratiser l'accès à l'enseignement supérieur et accompagner la réussite des étudiants. Pour cela, il faut donner à chaque futur étudiant le plus grand choix possible, multiplier les réponses et lui permettre de choisir non pas de manière abstraite, en classant des voeux sur une liste, mais concrètement, en répondant aux différentes propositions.

En un mois à peine, Parcoursup a fait plus de deux millions de propositions aux candidats inscrits sur la plateforme, ce qui permet de faire de vrais choix. Près de 80 % des candidats ont eu trois propositions, alors qu'APB était construit pour ne faire qu'une seule proposition à chacun de ses tours.

Le principal mérite d'APB aura été de construire une unité de temps et de lieu pour l'affectation des lycéens en réduisant le nombre important des procédures parallèles. Parcoursup parachèvera ce mouvement dès 2020 en intégrant la totalité de l'offre nationale de formation d'enseignement supérieur. Actuellement, 15 % des formations ne sont pas présentes sur APB. Une deuxième vague d'affectations aura ainsi lieu après les résultats des concours d'infirmière, des concours aux classes préparatoires d'ingénieurs et aux instituts d'études politiques, qui libèreront quelques places.

La mobilité territoriale et sociale est au coeur de cette réforme. Nous avons instauré des quotas de boursiers dans toutes les formations, y compris dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Nous avons assoupli les règles de mobilité académique, notamment en Ile-de-France, afin que personne ne soit assigné à résidence. Surtout, nous avons ouvert à l'échelle de la région académique d'Ile-de-France les formations les plus demandées : sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), première année commune aux études de santé (Paces) et psychologie. Il n'y a dans ces filières aucune différence entre un Parisien et un Francilien. Dans l'académie de Versailles, 34 % des inscrits sur Parcoursup ont obtenu une proposition dans un établissement parisien, contre 21,7 % avec APB l'année dernière. De même dans l'académie de Créteil, où le taux est passé d'un sur trois à un sur cinq avec Parcoursup. Ce progrès doit être souligné.

Sans mobilité sociale ou territoriale, il ne saurait y avoir de démocratisation réelle de l'accès au supérieur : j'ai installé jeudi dernier un comité de suivi de la réforme composé d'experts et d'enseignants-chercheurs - et notamment de sociologues. Si des progrès ont été réalisés cette année, le comité de suivi nous appuiera afin de les amplifier en dressant un état complet des effets sociaux et territoriaux de la réforme à la rentrée.

La transparence est dorénavant la règle. Les critères pris en compte par les formations sont affichés sur Parcoursup depuis le mois de janvier. Les algorithmes permettant de faire fonctionner la plateforme nationale ont été rendus publics le 21 mai, soit trois mois avant l'expiration du délai légal. Il y a encore quelques mois, on distribuait l'algorithme d'APB sur papier ! La loi du 8 mars reconnait un droit nouveau aux étudiants, celui de pouvoir obtenir à titre individuel les informations utiles pour comprendre la réponse qui leur a été faite, sans préjudice de la nécessaire protection du secret des délibérations. Jamais un Gouvernement n'avait fait un tel effort de transparence sur les modalités d'accès au premier cycle.

Le comité éthique et scientifique, chargé de suivre et d'évaluer le fonctionnement de la plateforme Parcoursup, fera des propositions d'amélioration technique du dispositif. Il faut faire en sorte que le droit fasse le code, et non que le code fasse le droit.

De nombreuses personnes, dans les médias, et parfois même au Parlement, n'ont jamais soutenu la réforme et la contestent à la première occasion, alimentant ainsi l'anxiété des lycéens. Ce sont les mêmes qui nous disaient que la plateforme ne fonctionnerait pas, que les fiches avenir ne seraient pas remplies, que les enseignants chercheurs ne liraient pas les dossiers. Les faits leur ont donné tort : 135 000 parcours individualisés seront proposés cette année.

D'autres estiment qu'il n'y a pas assez de place dans l'enseignement supérieur. Or j'ai ouvert depuis mardi la procédure complémentaire, qui ouvre 90 000 nouvelles places. Elle recense toutes les places encore disponibles. En 2017, après la rentrée étudiante, près de 135 000 places étaient encore vacantes. Nous en créerons plus de 21 000 supplémentaires pour la rentrée prochaine, dont 4 000 pour des brevets de technicien supérieur (BTS). Avec le Premier ministre, je me suis engagée à dresser un état des lieux des besoins en places supplémentaires. Je m'exprimerai prochainement sur ce sujet. Chacun pourra accéder à une formation qui lui correspond.

Ce sont les mêmes qui soutenaient les blocages des universités. Le débat, la controverse voire la contestation font partie de notre vie et de notre histoire universitaires. Pour autant, débattre, ce n'est pas dégrader. Contester, ce n'est pas vandaliser ni s'en prendre au personnel des établissements. Le mouvement de blocage des universités est assez inédit dans le registre des mobilisations étudiantes. Les manifestations ont été peu nombreuses cette année et ont attiré très peu d'étudiants.

Dans ce mouvement, le blocage était à la fois un moyen d'action et sa propre finalité. Les bloqueurs cherchaient à vivre une forme d'engagement très utopique et bien éloigné de l'exigence de la formation à l'université. Pour autant, ce mouvement était très minoritaire. Seule une poignée de nos 73 universités ont été bloquées, sans parler des 300 autres établissements d'enseignement supérieur qui n'ont pas été touchés.

Plutôt qu'un mouvement uniforme de blocage, je parlerais plus volontiers de situations de blocage dont les ressorts étaient souvent très différents d'un site à l'autre et généralement assez éloignés de Parcoursup. Tout le monde garde à l'esprit la parodie de conférence de presse menée par les bloqueurs du site de Tolbiac.

À chaque fois qu'une parole démocratique a été rendue aux étudiants, leur majorité a systématiquement demandé la levée des blocages. On l'a vu notamment lors des consultations électroniques organisées à Strasbourg ou à Sorbonne Université, mais aussi dans les quelques assemblées générales qui ont su conserver un esprit démocratique, comme à Pau.

Face à la violence de certaines situations de blocage, les présidents d'université ont réagi avec fermeté et mesure. À aucun moment ils n'ont hésité à faire évacuer les bâtiments bloqués lorsque les conditions devenaient trop dangereuses pour les étudiants et les personnels, afin de garantir la sécurité de tous et la préservation des bâtiments. Je souligne la très grande qualité du travail de nos forces de l'ordre et le sang-froid des présidents d'universités. Des stocks de cocktails Molotov, de barres de fer et de pavés ont été retrouvés, notamment à Tolbiac, en perspective de l'intervention des forces de police.

Tout cela a eu un coût. Le Gouvernement avait débloqué 35 millions d'euros pour l'application de la loi ORE. Nous estimons la facture globale des dégradations à plus de 5 millions d'euros. L'État étant son propre assureur, le ministère prendra cette dépense à sa charge, dans l'attente que les responsabilités soient établies dans le cadre d'instructions judiciaires en cours.

Le mouvement minoritaire de blocage s'est rapidement transformé en une entreprise toute aussi marginale de perturbation des examens universitaires. Le Gouvernement, à la suite des déclarations du Président de la République, a pris un engagement très clair : 2018 ne sera pas une année universitaire blanche et il n'y aura pas d'examens ou de diplômes de complaisance. Ce phénomène était aussi très minoritaire. En Ile-de-France, trois sites étaient particulièrement sensibles : Tolbiac à Paris I, Censier à Paris III et Paris X, soit un total de 56 000 étudiants. Afin de parer à ces perturbations, j'ai installé au sein du ministère une cellule d'appui à ces trois établissements de sorte de leur proposer des solutions de délocalisation d'examens. Cette cellule a proposé 300 000 places d'examens sur table en présentiel, sécurisés par des agents de sécurité et de police.

Paris I a effectivement délocalisé une partie de ses examens à Rungis et Paris X a opté pour la dématérialisation du contrôle des connaissances. Ce mode de contrôle est pratiqué depuis plusieurs années par plusieurs établissements et nous savons en sécuriser le processus. Ainsi, à Montpellier III, le sac de la salle des serveurs avait vocation à perturber le déroulement des examens en ligne. La délocalisation des examens de cette université a permis à plus de 7 000 étudiants de composer sur table en toute sécurité. Les examens ont eu lieu sur l'ensemble du territoire et dans des conditions qui garantissent aux diplômes toute leur valeur. L'engagement du Gouvernement a donc été tenu.

Le travail réalisé cette année avec le Plan Étudiants, la loi ORE, la mise en place de Parcoursup, va dans le même sens : continuer à faire de l'université un lieu de réussite pour tous les étudiants. C'est pour cela que nous avons mis un point d'honneur à sécuriser l'organisation des examens. C'est dans ce sens que nous travaillons à préparer la prochaine rentrée universitaire qui donnera lieu, je n'en doute pas, à une prochaine audition à l'automne.

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