Ce projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel nous a été présenté par le Gouvernement comme le volet « sécurisation » des réformes en cours sur l'emploi. Selon lui, ce texte présentait deux aspects : un relatif à la formation professionnelle, incluant notamment l'apprentissage et l'assurance chômage ; et un second traitant de plusieurs mesures relatives à l'emploi, notamment la problématique spécifique des travailleurs des plateformes, du handicap, des questions d'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Sur le premier aspect - formation professionnelle, apprentissage et assurance chômage - l'ambition affichée du gouvernement était de répondre aux mutations en cours, qu'elles soient technologiques, numériques ou écologiques, affectant l'économie et les mutations du travail. Cette ambition s'articule autour de trois axes : la lutte contre le chômage de masse, la question de la transition professionnelle et l'avènement d'une société de la compétence.
Nous pouvions nous retrouver sur ces objectifs. C'est la raison pour laquelle la CFDT s'est engagée dans l'ensemble des concertations et négociations qui ont eu lieu avant le dépôt du projet de loi.
Nous avons souhaité aborder ces négociations dans une démarche systémique, à la différence du Gouvernement qui privilégiait une approche public par public. En outre, nous visions à construire des réponses pertinentes, sur l'accès aux droits des publics les plus fragiles notamment.
La difficulté à laquelle nous avons été confrontés dans ces négociations alors que certains diagnostics étaient partagés par l'ensemble des partenaires sociaux, a résidé dans les arbitrages forts, voire les préjugés du Gouvernement qui ne procédaient pas du diagnostic partagé.
En outre, le Gouvernement avait une approche très cloisonnée. Nous avons essayé d'apporter des éléments de cohérence. Je citerai deux exemples en lien avec la négociation sur l'assurance chômage et la formation professionnelle : la question des transitions professionnelles et celle de la pédagogie de l'alternance. Pour nous, il ne s'agit pas de s'interroger uniquement sur le financement de ce dispositif, son montant et son pilotage. Il est nécessaire de réfléchir aux stratégies à mettre en place, au développement de compétences qui soient adaptés aux futurs enjeux de la société.
Au final, nous voyons quelques éléments positifs dans cette réforme globale, qui va au-delà de ce projet de loi. Je pense notamment à la formation des demandeurs d'emploi et des réformes autour du plan d'investissement dans les compétences. J'ai toutefois une réserve sur ce point : pour l'année 2017, ce plan d'investissement dans les compétences est largement financé par les partenaires sociaux. Pour autant, il est mis en oeuvre dans le cadre des contractualisations entre les régions et l'État, sans association des partenaires sociaux. Nous nous interrogeons ainsi sur la place des partenaires sociaux dans la construction de ces pactes régionaux pour les prochaines années.
Une autre avancée positive concerne la réforme de l'apprentissage. Cette dernière doit, pour nous, s'inscrire dans les réflexions sur les pédagogies de l'alternance et concerner tous les publics : les jeunes, les salariés, les demandeurs d'emploi, et s'articuler autour du développement des compétences.
Si nous constatons des avancées majeures sur les principes, des questions persistent sur les dimensions opérationnelles. En outre, il nous semble essentiel, pour une réforme réussie, de se concentrer sur la manière de mieux accompagner les apprentis, et ne pas se concentrer uniquement sur les questions de financement ou les jeux de pouvoirs.
Le troisième point positif de cette réforme - que l'on doit à la négociation collective - est l'accompagnement des transitions professionnelles. Le présupposé de l'exécutif est qu'il suffirait de construire un droit à la démission pour construire les transitions professionnelles. Nous nous sommes battus dans le cadre des négociations sur la formation professionnelle et l'assurance chômage pour que, si ce droit existe pour les démissionnaires, l'accent soit mis, pour les personnes en emploi, sur la mobilisation du compte personnel de formation pour des projets de transition professionnelle.
En outre, face à la volonté du Gouvernement de désintermédier, nous avons obtenu le principe du financement du conseil en évolution professionnelle pour tous. Il reste néanmoins à aller jusqu'au bout des questions de financement, d'accompagnement et de droit effectif à la transition professionnelle.
En revanche, nous avons des désaccords de philosophie générale et de choix structurels sur deux sujets : il s'agit tout d'abord de la volonté du gouvernement de désintermédier la formation professionnelle. L'idée selon laquelle, il suffit de monétiser le CPF (compte personnel de formation) et d'instaurer une application numérique pour que l'accès à la formation professionnelle soit simplifié est fausse. Il est nécessaire d'accompagner ces personnes, que ce soit au niveau interprofessionnel dans l'accompagnement au plus près des territoires, ou dans le cadre du dialogue social dans l'entreprise, afin de co-construire la sécurisation des parcours.
L'autre différence d'approche concerne la simplification, essentiellement abordée par le Gouvernement sous l'angle de la « tuyauterie », et non pas de la gouvernance. Ainsi, cette simplification devait aboutir à une seule cotisation pour la formation professionnelle et l'apprentissage. Le texte adopté par l'Assemblée nationale maintient les deux cotisations et les éléments de simplification ne sont pas si évidents. En outre, ces éléments de tuyauterie ont été mis en place à partir de l'agence France Compétences. Or, il reste un angle mort important portant sur la mise en oeuvre concrète dans les territoires et les entreprises de cette réforme.
Pour que cette réforme aboutisse, trois points nous paraissent essentiels -c'est le message que nous portons depuis plusieurs semaines. Il s'agit tout d'abord de construire les conditions opérationnelles de sa réussite : comment faire vivre les droits ? En outre, il est nécessaire d'avoir une approche globale et un portage politique de cette réforme. Elle ne peut se réduire à réfléchir à la seule tuyauterie financière. Par ailleurs, la dimension territoriale reste aujourd'hui la grande oubliée. Nous avons essayé de travailler sur ce point en promouvant le dialogue social dans l'entreprise. Or, l'on constate la remise en cause du bilan à six ans de l'engagement social de l'entreprise sur le développement des compétences des personnes et les enjeux de certification. Ces points sont très peu portés par cette réforme, alors qu'ils étaient au coeur de la dernière réforme sur l'accès de tous à la certification.
Nous avons en outre un changement radical de philosophie qui n'est pas assumé par le Gouvernement, mais qui est réel dans ses propositions : il fait ainsi passer l'assurance chômage d'un système contributif à un système de minima sociaux, sans l'assumer. Nous rappelons que nous n'étions pas demandeurs de cette réforme. Un accord, négocié l'année dernière et entré en vigueur en novembre 2017, avait déjà traité une large partie des points énoncés.
Nous avons toutefois contribué aux négociations multipartites sur les démissionnaires, les indépendants, la modulation de la cotisation, la gouvernance et le renforcement des contrôles. Un point positif est l'évolution de l'échelle des sanctions. En outre, concernant les démissionnaires, la loi prévoit désormais l'accès à ce droit au bout de 5 ans, contre 7 ans comme le prévoyait l'accord national interprofessionnel (ANI) du 22 février 2018.
S'agissant des indépendants, une difficulté majeure est que l'on passe d'un système de contribution à l'assurance chômage à un système où on indemniserait les indépendants sans cotisation.
Cela signifie une hausse des dépenses pour l'assurance chômage sans que des ressources supplémentaires soient prévues. Il y a donc un risque de baisse des droits pour l'ensemble des salariés.
Par ailleurs, un amendement vient d'être adopté à l'Assemblée nationale prévoyant que les mois indemnisés seront comptabilisés dans les trimestres de cotisation pour la retraite. Là encore, alors qu'une concertation sur les retraites est en cours, on apporte un changement important sans le dire.
On nous propose également une expérimentation sur les CDD de remplacement. Nous sommes très réservés. Il s'agit d'une question d'ordre politique et non technique comme cela est présenté. La vraie question est de savoir comment changer les comportements, les méthodes de recrutement ou encore la gestion de la main-d'oeuvre. Nous sommes extrêmement attachés à une responsabilisation des acteurs dans le cadre de la négociation collective. Il ne doit pas seulement s'agir d'une mesure financière, mais d'une mesure de gestion de l'emploi et de réduction des abus de recours aux contrats courts.
Nous aborderons sans doute les règles de cumul entre allocation chômage et salaire. Je rappelle que la négociation de l'année dernière avait traité ce point. Leur remise en cause à l'occasion de cette réforme fait porter un risque grave sur le retour à l'emploi des personnes concernées.
Je souhaite également insister sur le risque considérable sur le financement du système, en raison de la baisse des recettes et de la fin du régime contributif.
Enfin, je vous mets en garde contre le risque véhiculé par la mise en place d'une charte pour les travailleurs des plateformes. Cette dernière serait unilatérale et elle pourrait remettre en cause la capacité de ces travailleurs à faire valoir leur contrat de travail.
Les dispositions concernant le handicap sont plutôt décevantes par rapport à la concertation. Nous sommes également demandeurs d'être partie prenante des négociations internationales pour les travailleurs transfrontaliers.
Les mesures ne sont pas non plus à la hauteur en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu'en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Tous les partenaires sociaux ont fait ensemble des propositions pour faire évoluer ces mesures sur ces deux points.