Intervention de Karen Gournay (Fo)

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 juin 2018 à 9h00
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel — Table ronde des organisations représentatives des salariés autour de m. philippe debruyne secrétaire confédéral chargé des questions de formation professionnelle et mme chantal richard secrétaire confédérale chargée des questions d'assurance chômage de la cfdt mm. éric courpotin maxime dumont mme aline mougenot et m. michel charbonnier de la cftc m. jean-françois foucard secrétaire national en charge de l'emploi et de la formation et mme laurence matthys responsable du service juridique de la cfe cgc mm. denis gravouil et lionel lerogeron membres de la direction confédérale de la cgt et mme karen gournay secrétaire confédérale de fo

Karen Gournay (Fo) :

FO déplore le non-respect des dispositions des accords nationaux interprofessionnels du 22 février 2018 relative à la formation professionnelle et à l'assurance chômage. Même si les interlocuteurs sociaux ne sont pas des co-législateurs et que le législateur n'est pas tenu de reprendre l'intégralité de ces textes, il existe tout de même une philosophie qui se doit, à notre sens, être respectée.

En outre, l'ambition du projet de loi est loin d'être à la hauteur des annonces de l'exécutif. Contrairement à ce qui nous avait été annoncé, cette réforme ne constitue pas le volet sécurité qui devait faire suivre au volet « flexibilité » mis en oeuvre l'été dernier avec la réforme du code du travail par ordonnances. Ce projet porte gravement atteinte aux droits des travailleurs. Les dispositifs relatifs à la formation professionnelle concourant à l'objectif historique de promotion sociale, restent dans ce texte dans une optique de flexibilité.

En outre, les dispositions relatives aux travailleurs détachés ne devraient pas être traitées dans un projet de loi fourre-tout, mais faire l'objet d'une transposition ambitieuse de la directive révisée.

Nous sommes parvenus à trouver quelques points positifs à ce projet. Toutefois, lors de cette audition, nous souhaitons mettre en avant les aspects négatifs de ce texte.

FO dénonce la suppression pure et simple du congé individuel de formation, dispositif de formation à l'initiative des salariés. De manière générale, ce Gouvernement abroge les dispositifs garantis collectivement pour ne laisser substituer que les droits individuels tendant à laisser les salariés responsables de leur parcours professionnel. A notre sens, il s'agit, ni plus ni moins d'une logique d'individualisation des droits et non plus d'une logique de droits collectifs.

Nous sommes également opposés au choix opéré de monétisation du compte personnel de formation. Cela conduirait à notre sens, irrémédiablement, à une diminution des droits des travailleurs. Si le Gouvernement souhaite persister dans sa volonté de détruire les droits d'initiative personnelle d'accès à la formation garantis collectivement, en supprimant le CIF, FO souhaite que davantage de garanties soient inscrites dans la loi, quant à la mise en oeuvre du CPF de transition professionnelle. Pour nous le CPF de transition professionnelle est un minima. Il doit présenter les mêmes garanties collectives que le CIF, et nous demandons que l'enveloppe dédiée à ce dispositif soit rehaussée, afin de permettre à davantage de travailleurs d'en profiter. Nous condamnons également le choix du Gouvernement mettant en péril les Fongecif et le choix fait d'ouvrir la prestation du CEP à des structures privées, au moment où cet accompagnement va enfin disposer de moyens financiers dédiés. Nous recommandons que des moyens humains et financiers soient accordés aux Fongecif et qu'une évaluation objective des prestations fournies par l'ensemble des opérateurs soit réalisée à l'horizon 2021. Celle-ci doit permettre d'imaginer des axes d'amélioration. Nous rappelons également notre attachement au paritarisme de gestion que nous avons toujours défendu. Nous condamnons ainsi le choix de faire disparaitre les instances paritaires interprofessionnelles nationales et régionales. Les interlocuteurs sociaux ont fait la démonstration au sein de ces différentes instances, et à tous les niveaux, de leur expertise et de la bonne utilisation des fonds confiés.

Nous sommes opposés à la création de l'agence France Compétences dans les termes du projet de loi, car la composition de son conseil d'administration ne laisse qu'une place réduite aux interlocuteurs sociaux. Nous regrettons également la décision de transférer les consultations en matière d'emploi, de formation et d'orientations professionnelles du Cnefop (Conseil National de l'Emploi, de la Formation et de l'Orientation Professionnelles) vers la CNNC (Commission nationale de négociation collective). En effet, ces sujets, qui sont actuellement traités au sein d'une instance dédiée, seront demain fondus parmi d'autres dans une commission au champ de compétences bien plus vaste.

Nous condamnons également le choix de transformer le plan de formation en place de développement des compétences et demandons à ce que soit maintenue la catégorisation du plan de formation. Cette dernière permet de distinguer les actions d'adaptation au poste de travail ou de maintien dans l'emploi, qui relèvent de la responsabilité pleine et entière de l'employeur, des actions de développement de compétences.

Nous sommes également opposés à l'expérimentation prévue par la loi du dispositif relatif au contrat de professionnalisation sans qualification. Pour nous, cela contournerait l'objectif de qualification du contrat de professionnalisation en visant l'ensemble des demandeurs d'emploi, et pas uniquement ceux éloignés de l'emploi. Plus globalement, nous dénonçons le glissement d'une logique de qualification à celles de compétences, qui oblige les salariés à entrer dans une démarche d'adaptabilité permanente aux besoins des entreprises et à une stagnation dans les grilles de classification. Nous sommes également inquiets de la gestion des fonds du CPF par la Caisse des dépôts et consignations, en raison de la facilité avec laquelle l'État aurait la capacité de ponctionner des fonds qui pourraient rester non utilisés à la fin de chaque année, sans aucune consultation des interlocuteurs sociaux.

Sur l'apprentissage, nous sommes contre le rehaussement de la limite d'âge d'entrée en apprentissage, en permettant une généralisation de celui-ci jusqu'à 30 ans. Pour nous, une telle mesure menacerait gravement les CDI et les CDD. Nous souhaitons également que la durée minimale d'un an des contrats d'apprentissage soit maintenue afin d'éviter le recours abusif à l'embauche d'apprentis. De même, nous sommes contre tout assouplissement des conditions d'emploi des apprentis, qu'il s'agisse des horaires, ou de la durée de travail hebdomadaire. Dans l'hypothèse d'une rupture de contrat d'apprentissage aux torts de l'employeur, FO souhaiterait que soit prévu un accompagnement de l'apprenti. Pour nous, il est impératif de renforcer la reprise par le CFA du jeune apprenti, et l'accompagnement dans la recherche d'un nouvel employeur.

Nous condamnons la décision du transfert des délégations régionales de l'Onisep aux régions, qui accentue la territorialisation de l'orientation. En outre, ce transfert favorisera dans certains cas une privatisation de l'orientation. Nous souhaitons au contraire que soit renforcé le service public d'orientation.

Nous n'étions pas demandeurs de l'entrée en indemnisation de tous les démissionnaires et des indépendants, estimant d'ailleurs que les démissionnaires étaient déjà indemnisés par l'assurance chômage au bout de quatre mois, après saisine des instances paritaires régionales ou territoriales. En ce qui concerne les indépendants, nous redoutons une baisse générale des droits des autres demandeurs d'emploi liée aux problèmes de financement dus au surcoût d'indemnisation de ces deux nouvelles catégories. Lors des discussions de l'ANI, FO avait demandé l'instauration d'une cotisation sur les indépendants, afin de prendre en compte la hausse de charge à venir.

Nous sommes également opposés à la suppression de la cotisation salariale d'assurance chômage car le financement du régime se ferait désormais pour partie par une hausse de la CSG, de 1,7 %. Par ce moyen de financement, le caractère assurantiel disparaît. En outre, le recours à la CSG conduit les retraités et fonctionnaires à financer un système d'assurance chômage alors qu'ils ne sont pas exposés à ce risque.

Nous sommes également opposés à la remise en cause du dispositif permettant le cumul entre emploi et allocation chômage permettant aux bénéficiaires de garder un pied dans le marché du travail. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas imputable aux demandeurs d'emploi mais à certaines entreprises qui considèrent Pôle emploi comme un complément de salaire pour leurs travailleurs.

FO s'oppose à tout système de flicage des demandeurs d'emploi, et prône un meilleur accompagnement passant par des rendez-vous physiques avec le conseiller Pôle emploi. Nous appelons ainsi à la plus grande vigilance concernant la digitalisation et la mise en place d'un journal de bord informatisé. La fracture numérique en France est une réalité.

Nous attendons du Gouvernement des mesures ambitieuses concernant les travailleurs détachés. La déclaration préalable au détachement et la présence d'un représentant de l'entreprise sur le territoire français sont des éléments majeurs pour lutter contre les abus des employeurs. Alléger ces obligations pour les employeurs se trouvant dans les zones transfrontalières contournera la future agence européenne du travail prévue pour 2019. En outre, la création d'une nouvelle infraction de travail dissimulé en cas d'activité stable et continue en France n'impose en rien la coopération avec les autres organismes de sécurité sociale pour reconnaitre un faux détachement Notamment la diffusion de cette condamnation pour les seules personnes coupables d'un délit commis en bande organisée vient limiter la portée de cette mesure.

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