Monsieur le président, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver dès le lendemain du vote de l'Assemblée nationale sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Ce vote - 349 voix contre 171 et 41 abstentions - a été conclu après 80 heures d'échanges constructifs en commission et en séance. Plus de 500 amendements ont été adoptés, issus de tous les bancs, et la discussion à l'Assemblée nationale a permis d'enrichir l'ambition des 66 articles initiaux du projet de loi sans le déséquilibrer. La logique profonde du texte n'est pas modifiée, mais le texte s'est amélioré.
Nous avons mené des concertations pendant plusieurs mois avec les régions, les partenaires sociaux et les praticiens de terrain sur l'apprentissage, sous le pilotage de Sylvie Brunet, présidente de la section travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Des négociations interprofessionnelles ont été conclues au printemps au sujet de la formation professionnelle et de l'apprentissage. La concertation a également porté sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, la prévention du harcèlement sexuel et sexiste au travail, ainsi que l'inclusion dans l'emploi des personnes en situation de handicap.
Je reconnais que, sur le seul sujet du handicap, les partenaires sociaux ayant considéré qu'il fallait continuer les débats, l'essentiel est arrivé sous forme d'amendements. Nous ne serons pas dans cette situation au Sénat, et vous aurez tout loisir de vous plonger dans ce sujet avec le temps et le recul nécessaires.
Ce projet de loi, vous le savez, constitue l'acte 2 de l'engagement présidentiel de rénovation de notre modèle social. Le premier acte, que vous aviez largement soutenu, concernait la loi pour le renforcement du dialogue social. Le troisième acte aura lieu l'année prochaine avec la réforme des retraites que mènera ma collègue ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.
Avec les ordonnances pour le renforcement du dialogue social, nous avons fait ensemble le pari de la confiance dans les acteurs de terrain pour faire converger le progrès économique et le progrès social, dans les entreprises et dans les branches, en simplifiant le code du travail pour le rendre enfin accessible aux TPE-PME.
L'accord en Commission mixte paritaire (CMP) sur la loi d'habilitation et la loi de ratification a montré la capacité de l'Assemblée nationale et du Sénat à converger pour donner à nos entreprises et à nos concitoyens plus d'agilité pour développer l'emploi.
Il est trop tôt pour évaluer les conséquences de ces ordonnances, mais on peut déjà en apprécier quelques effets. Une première évaluation aura lieu en fin d'année, suivie d'une autre, plus complète, l'année prochaine. Les TPE-PME témoignent clairement de leur confiance et embauchent grâce à cette agilité supplémentaire, et l'enquête annuelle de Pôle emploi sur les besoins de main-d'oeuvre dans les entreprises le confirme. Bien sûr, ceci est d'abord dû au contexte économique, mais cette loi a renforcé la confiance des chefs d'entreprise. On enregistre une augmentation de 18 % de projets de recrutements en 2018 par rapport à l'an dernier, hausse inédite depuis 2012.
L'envie d'embaucher, pour se traduire aujourd'hui en emplois, nécessite cependant que le besoin en compétences soit satisfait. Aujourd'hui, la préoccupation majeure des entreprises est leur besoin en compétences pour saisir les opportunités de marché. En effet, la moitié des difficultés de recrutement sont liées à la difficulté à trouver les bonnes compétences sur le marché.
Cette mise en adéquation est d'autant plus nécessaire dans un contexte de mutations numériques et de transition écologique, dont on ne voit que les prémices en matière de travail, d'organisation du travail, de compétences, de métiers et de technologies. Nous estimons, avec beaucoup d'organismes d'études, dont le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), que la moitié des emplois seront profondément transformés dans les dix années à venir.
C'est dire si l'enjeu de la connaissance et des compétences ne constitue pas simplement un accompagnement de la vie des entreprises, mais qu'il est devenu un enjeu stratégique pour elles et pour les individus. C'est en effet la meilleure protection contre le chômage. Le chômage des cadres a quasiment disparu (- 4 %), et il va encore diminuer arrivant ainsi au niveau du chômage frictionnel - avec, pour les plus qualifiés, un taux de chômage très bas et quatre fois plus faible que pour les salariés non-qualifiés.
L'enjeu de la société de la connaissance est donc d'établir un accès plus simple, plus rapide, plus ouvert à la formation pour augmenter les compétences, afin de renforcer la compétitivité de l'économie et favoriser l'émancipation sociale des individus.
C'est un triple défi, économique, social mais aussi territorial. On le voit aujourd'hui, la croissance repart, la France crée des emplois - 288 000 créations nettes l'année dernière, 48 800 au premier trimestre -, sans toutefois que ceux-ci soient également répartis sur le territoire. Pour que la croissance soit riche en emplois et véritablement inclusive, il est essentiel qu'elle contribue au dynamisme et à l'attractivité de tous territoires, qui évoluent dans un contexte concurrentiel international. Or les niveaux de qualification et les taux d'accès à la formation sont inégaux selon les catégories sociales, mais aussi selon les territoires.
Le salarié d'une PME, qui fait le tissu économique de nos territoires, a deux fois moins de chances de se former qu'un salarié de grande entreprise, et un ouvrier ou un employé deux fois moins qu'un cadre. Or ils ont tous autant besoin de formations face aux mutations du travail qui se profilent. C'est donc une inégalité qu'il faut combattre.
Ce dynamisme ne se décrète pas : il faut un investissement fort dans les compétences. C'est pourquoi, en parallèle du projet de loi, le Gouvernement a investi 15 milliards d'euros sur cinq ans dans le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour former un million de jeunes et un million de demandeurs d'emploi.
J'ai le plaisir de vous annoncer que seize régions sur dix-huit, y compris en outre-mer, ont décidé de s'associer à l'État pour augmenter le nombre de personnes en formation correspondant aux filières et aux métiers en tension, afin que la croissance soit riche en emplois et inclusive, c'est-à-dire orientée vers les jeunes décrocheurs et les demandeurs d'emploi. Je voudrais saluer à cette occasion l'excellent partenariat conclu entre l'État et les régions sur le terrain.
Ce dynamisme s'incarne surtout dans le fait que tous les acteurs sont au coeur de cette transformation que nous pensons nécessaire - l'entreprise, le jeune, le demandeur d'emploi, le salarié.
Au-delà de la méthode de travail que j'ai retenue avec les partenaires sociaux et les régions, j'ai réalisé plus d'une cinquantaine de visites de terrain qui ont permis de vérifier la faisabilité de nos projets et l'engagement des acteurs. En ce qui concerne le volet apprentissage, l'ensemble des industries ont déjà déclaré que, grâce à la réforme, elles pourraient créer 60 000 places supplémentaires, dont 40 000 places pour les entreprises relevant de l'Assemblée permanente des chambres de métiers de l'artisanat (APCMA). Les Compagnons du Devoir vont pouvoir doubler leurs places en apprentissage et les Maisons familiales rurales (MFR) ont indiqué qu'elles pouvaient développer fortement l'apprentissage. Ce sont des déclarations publiques qui nous encouragent, car cela signifie que les praticiens ont fort bien compris les formidables leviers de développement que contient cette loi.
Quelle est l'ambition du projet de loi ? D'abord rompre avec la résignation face au chômage de masse et aux inégalités, et développer l'idée de sécurisation des parcours professionnels pour que nos concitoyens ne subissent pas simplement les mutations à venir, mais puissent exercer un choix.
Le projet de loi s'articule autour de trois axes interdépendants et cohérents. Le premier axe concerne la création de nouveaux droits concrets, facilement mobilisables, adaptés à notre temps, capables de constituer une véritable protection professionnelle universelle, simple et efficace, au service de l'émancipation individuelle et collective.
Deuxième axe : pour que ces droits soient effectifs, il faut lever de nombreux verrous administratifs, réglementaires et financiers.
Troisième axe : l'impératif d'égalité des chances pour les individus, les entreprises et les territoires.
Sans entrer dans le détail des mesures, je voudrais maintenant évoquer quelques éléments structurants du projet de loi.
J'ai parlé de « révolution copernicienne » concernant les nouveaux droits concrets et l'apprentissage. En effet, tout le projet de loi tourne autour du triptyque jeune-entreprise-centre de formation d'apprentis.
Concernant l'apprentissage, cela signifie garantir un droit à la vérité en matière d'orientation en instaurant la transparence sur le taux d'insertion dans l'emploi ainsi que sur le taux de réussite aux diplômes de tous les CFA et de tous les lycées professionnels. C'est une information que n'ont pas les familles ni les jeunes, et je pense que cela peut contribuer à révéler enfin la véritable image de l'apprentissage.
L'apprentissage demeure trop confidentiel - 420 000 apprentis alors que 1,3 million de jeunes sont au chômage et sans qualification. Sept jeunes sur dix trouvent un emploi durable au bout de sept mois dans des filières d'excellence. Ces jeunes sont passionnés : un sur quatre crée son entreprise ou la reprend. Il nous revient de renforcer cette dynamique.
Il convient par ailleurs d'élargir la compétence des régions en matière d'orientation. Elles ont une compétence décentralisée en matière économique et connaissent parfaitement les filières et les opérateurs économiques. Elles organiseront donc, avec tous les collèges et les lycées, et pas simplement les établissements volontaires, une découverte des filières et des métiers par la rencontre de professionnels, qui pourront faire connaître leur passion. Comment les jeunes et les familles peuvent-ils connaître les métiers s'ils ne rencontrent pas des professionnels ? Il ne suffit pas de leur communiquer des fiches : il faut leur faire rencontrer ceux qui leur donneront envie de choisir un métier.
En matière d'apprentissage, il faut renforcer l'attractivité vis-à-vis des jeunes, d'où l'augmentation de la rémunération des apprentis, l'aide de 500 euros pour le permis de conduire, la possibilité d'entrer tout au long de l'année en apprentissage. Aujourd'hui, ce n'est possible que de septembre à décembre et in fine on perd souvent le jeune et l'entreprise en cours de route.
Il faut aussi permettre aux jeunes de faire valoir leurs acquis pour adapter la durée de leur formation. De plus en plus de jeunes qui ont fait entre une et quatre années d'université se découvrent une passion, mais ne souhaitent pas suivre à nouveau tout un cursus de formation générale. C'est pourquoi l'apprentissage sera ouvert jusqu'à 30 ans pour ceux qui le souhaitent. La durée des contrats variera entre six mois et trois ans pour ceux qui ont des difficultés et ont besoin de plus de temps.
Nous allons financer des préparations à l'apprentissage dans le plan d'investissement dans les compétences pour ceux qui ne sont pas encore prêts à choisir leur métier ou qui n'ont pas le savoir-être professionnel ni les codes sociaux de l'entreprise.
Nous souhaitons un esprit de complémentarité entre apprentissage et statut scolaire. Cela n'a jamais été le cas dans les réformes précédentes. Le ministère de l'éducation et le ministère du travail, quoi qu'en dise la presse, travaillent main dans la main sur ce sujet. Concrètement, on va créer des passerelles pour qu'il soit possible de suivre une partie du cursus en apprentissage. Je pense que c'est très important.
On va par ailleurs, avec les régions, développer les campus de métiers comme il en existe déjà, et qui sont exemplaires : on peut, dans le même lieu, avec une fédération professionnelle, aller du CAP à la formation continue, en passant par l'apprentissage, et avoir le statut d'étudiant ou celui d'élève.
Enfin, nous voulons développer l'Erasmus professionnel. Un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale pour permettre la mobilité régionale et océanique. Il est en effet parfois plus intéressant pour les élèves de La Réunion d'aller en Afrique du Sud qu'en Finlande.
S'agissant de la formation professionnelle et de l'alternance, nous voulons mettre en place un nouveau dispositif pour accompagner et anticiper les mutations dans les entreprises. Aujourd'hui, lorsque les mutations supposent qu'un nombre important de salariés aille vers des qualifications très lourdes, l'entreprise ne peut le supporter seule. Ceci entraîne souvent des plans sociaux. C'est ensuite à Pôle emploi ou aux régions de financer les reconversions. Nous pensons qu'il est préférable d'aider les entreprises à anticiper et mener ces reconversions massives en interne. Le dispositif « Pro A » pour la promotion et la reconversion permettra au salarié de suivre une formation en alternance, tout en conservant son contrat de travail. Je pense notamment au secteur associatif et médico-social, où il existe beaucoup de promotion interne.
Par ailleurs, le compte personnel de formation constitue un point essentiel. Il existe déjà, mais ce droit individuel est aujourd'hui trop formel, peu accessible, sauf pour les demandeurs d'emploi, et n'est pas à la main des actifs. Beaucoup de salariés témoignent du fait qu'ils ont des heures théoriques, qu'ils ne peuvent transformer en action de formation. Il faut en effet que l'organisme paritaire l'accepte. Ce dispositif n'a pas vraiment décollé, bien que nous en approuvions totalement le principe.
Nous voulons le transformer en véritable outil d'émancipation sociale à la main des actifs, avec la protection d'une garantie collective. C'est un dispositif complémentaire du plan de formation. Ils pourront d'ailleurs se combiner : les salariés, individuellement ou collectivement, pourront se mettre d'accord avec le chef d'entreprise pour des formations communes. Si des actifs souhaitent anticiper en se formant de leur propre chef, qui aux langues étrangères, qui à l'informatique, qui à des métiers de base, qui à des métiers plus sophistiqués, nous devons les encourager.
Grâce à une application dédiée, chacun des 26 millions d'actifs pourra, sans intermédiaire, comparer la qualité des formations, trouver la formation appropriée, payer en ligne. Les droits seront augmentés. Concrètement, chaque actif sera crédité sur son compte de 500 euros par an, 800 euros pour les non-diplômés, soit respectivement 5 000 euros et 8 000 euros sur dix ans. Tout ceci est financé par la mutualisation des entreprises. C'est l'esprit de l'accord national interprofessionnel du 22 février dernier.
Nous avons prévu une clause permettant à celles et ceux qui effectuent un temps partiel - qui sont à 80 % des femmes - d'avoir les mêmes droits à la formation que les temps plein. En effet les femmes travaillant à temps partiel, dont les salaires sont bas et dont le niveau de qualification est peu reconnu, n'accèdent jamais à la formation et ne peuvent jamais sortir des trappes à bas salaires.
En ce qui concerne l'apport de l'Assemblée nationale sur ce sujet, il a été prévu une clause de revoyure pour évaluer l'opportunité d'ajuster l'alimentation du compte personnel de formation (CPF). La transparence sur les coûts va certainement faire évoluer les coûts de formation dans le sens d'une meilleure gestion des deniers publics.
La mutualisation permet de financer un conseil en évolution professionnelle gratuit pour tous les salariés qui le souhaiteront, afin de les accompagner dans leur projet professionnel.
En outre, la création du compte personnel de formation de transition permettra de compléter le CPF pour les salariés qui voudront se reconvertir grâce à des formations encore plus longues. Avec 5 000 euros ou 8 000 euros, on peut suivre des formations vraiment très longues. Il s'agit d'une sorte de réinterprétation du congé individuel de formation (CIF), que les partenaires sociaux ont modélisé dans leur accord. Je rappelle que le CIF ne bénéficie aujourd'hui qu'à 40 000 personnes par an. Le CPF, y compris pour des formations qualifiantes et longues, va pouvoir bénéficier aux 26 millions d'actifs. Ce complément est nécessaire. Je pense qu'il s'agit d'un bon équilibre.
L'Assemblée nationale a souhaité ajouter la création au niveau régional de commissions paritaires interprofessionnelles dédiées à l'accompagnement des salariés, sur recommandation des partenaires sociaux, notamment pour les TPE-PME. Ces commissions seront agréées par l'État. Ce seront les mêmes qui apprécieront le caractère réel et sérieux du projet professionnel des salariés démissionnaires.
En ce qui concerne les nouveaux droits à l'assurance chômage il s'agit, conformément au projet présidentiel, d'apporter une sécurité financière supplémentaire en prenant en compte le fait qu'on change non seulement de métier ou d'entreprise au cours de sa vie professionnelle, mais aussi que de plus en plus d'actifs changent de statut. Un salarié peut devenir autoentrepreneur, puis chef d'entreprise, avant de redevenir salarié. Tous nos systèmes de protection, qui ont plusieurs décennies, sont basés sur le statut. La meilleure protection des personnes consistera peut-être demain en filets de sécurité tout au long de la vie professionnelle, quels que soient leur statut.
Nous préconisons donc deux mesures. La première est une mesure de protection des indépendants, agriculteurs, commerçants, artisans qui se retrouvent en liquidation judiciaire et n'ont rien pour se retourner. Il ne s'agit pas d'un régime d'assurance chômage complet, puisqu'ils ne cotisent pas, mais d'un filet de sécurité de six mois.
Le second point réside dans la possibilité pour les salariés de démissionner et de bénéficier du filet de sécurité de l'assurance chômage s'ils ont un projet professionnel. Il ne s'agit évidemment pas d'encourager la démission généralisée mais de développer l'esprit entrepreneurial.
Pour créer ces droits, qu'ils soient effectifs et garantis collectivement, il faut lever toute une série de barrières. L'accès du plus grand nombre à l'apprentissage repose d'abord sur un prérequis. Il faut libéraliser l'offre de formation, l'élargir et permettre à des collectivités territoriales, à des entreprises, à des associations qui souhaitent créer un CFA ou le développer, de pouvoir le faire sans frein, tout en garantissant la qualité des formations grâce à une certification.
Ceci passe par la suppression de l'autorisation administrative délivrée par la région pour créer ou développer un CFA, et sur la mise en place d'une garantie de financement. Personne n'en est responsable, mais notre système de subventions d'équilibre constitue une protection en même temps qu'un frein. Une fois la subvention votée, le CFA ne peut plus percevoir de nouveau financement.
En outre, il n'existe pas de péréquation générale, et une région sur deux n'utilise pas tout le produit de la taxe d'apprentissage pour développer l'apprentissage. Elles en ont parfaitement le droit mais cela représente des places en moins dans le système. Par ailleurs, les prises en charge sont très différentes d'un territoire à l'autre en matière d'apprentissage.
Le principe est simple : la péréquation générale interprofessionnelle va bénéficier à des secteurs comme l'artisanat, qui développent le plus l'apprentissage. À chaque fois qu'un jeune ou une entreprise signera un contrat, le financement de la place en CFA sera garanti sur la base d'un référentiel de coût. Cela permettra de financer et de rationaliser davantage de contrats à coût constant. Il existe de très nombreuses formations pour lesquelles les écarts de coût sont injustifiables et ne s'expliquent pas par des spécificités territoriales. J'ai des dizaines d'exemples qui démontrent que certains CFA sont en survie, et d'autres pour lesquels on peut se demander si le prix des formations est justifié.
Plusieurs dispositions pragmatiques incitent les entreprises à recruter dans le secteur de l'apprentissage, comme la suppression de la procédure d'enregistrement du contrat, ou l'adaptation de la réglementation du travail en matière de rupture du contrat d'apprentissage. Cette dernière est aujourd'hui hors du droit commun, et il faut demander l'accord préalable des prud'hommes pour pouvoir licencier, le droit à la démission n'existant pas pour l'apprenti.
On doit également améliorer la situation de certains métiers : il est utile que l'apprenti boulanger puisse travailler à l'heure où on fait le pain. Aujourd'hui, un système de dérogation complexe est nécessaire.
Dans le bâtiment, les jeunes ne pouvant travailler plus de 35 heures par semaine, ils doivent être présents le vendredi après-midi sans être payés car ils ne peuvent rentrer chez eux par leurs propres moyens. Il vaut mieux qu'ils soient payés en heures supplémentaires et apprennent quelque chose.
Par ailleurs, il existe aujourd'hui un crédit d'impôt, trois aides, trois guichets, deux financeurs en matière d'apprentissage. Résultat : de très nombreuses PME croient que l'apprenti est beaucoup plus cher qu'il ne l'est, seul leur expert-comptable en connaissant vraiment le coût réel.
D'une façon générale, on passera de 57 collecteurs à un seul, à savoir l'URSSAF. Il n'existera qu'une seule aide de 6 000 euros la première année et 3 000 euros la deuxième année par apprenti CAP et bac pro pour les entreprises de moins de 250 salariés. L'entreprise n'aura plus à avancer les frais. Ceux-ci seront déduits des charges chaque mois. C'est donc un système beaucoup plus simple.
Il faut savoir que c'est l'État qui définit aujourd'hui le contenu professionnel et qui consulte les partenaires sociaux et les branches. Nous considérons, comme dans les autres pays européens, qu'il serait normal que ce soient les branches qui définissent le contenu professionnel des métiers. Nous travaillerons avec elles sur la base de leur analyse des besoins et des métiers.
La certification des organismes de formation et des CFA sera assurée au plan national par un système d'accréditation que gérera France Compétences, agence de régulation où se retrouveront État, régions et partenaires sociaux.
En ce qui concerne la formation professionnelle, la nouvelle définition de l'action de formation sera beaucoup plus simple. On simplifie la réglementation du plan de formation, qui devient un plan de développement des compétences. Les opérateurs de compétences remplaceront les opérateurs paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui seront centrés sur le conseil des PME-TPE et la gestion prévisionnelle des emplois et des cadres (GPEC).
Concernant l'assurance chômage, nous voulons expérimenter une idée de Pôle emploi qui est le journal de bord. Celui-ci permet d'accompagner les demandeurs d'emploi de façon beaucoup plus précoce. On sait que c'est ce qui est le plus efficace. Il faut également redéfinir l'offre raisonnable d'emploi pour tenir compte des situations réelles, mettre en place une politique de contrôle plus juste et plus efficace, avec un barème de sanctions équitables et plus claires.
Le rôle de l'État sera précisé dans la détermination des règles d'indemnisation du chômage afin de faciliter l'adaptation du régime d'assurance chômage aux évolutions du marché du travail, en préservant le rôle central des partenaires sociaux et en tenant compte du fait qu'une partie des cotisations d'assurance chômage du salarié sont prises en charge par l'État. 33 milliards de dettes étant garantis par l'État, on ne peut pas dire que l'État est complètement indifférent à ce sujet.
Dernier point : la création de nouveaux droits doit être au service de l'égalité des chances. L'apprentissage constitue un véritable sujet. Aujourd'hui, seulement 1 % des apprentis sont des jeunes en situation de handicap, alors qu'ils sont 7 % dans la population. Il y aura donc des référents handicap dans chaque CFA pour accompagner les jeunes et les entreprises.
Deuxièmement, une attention particulière sera apportée aux zones rurales et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Une enveloppe dédiée à l'aménagement du territoire, à la main des régions, complétera ce coût au contrat, notamment dans les zones rurales et les quartiers prioritaires de la ville, selon les priorités définies par les régions.
Enfin, tous les lycées professionnels pourront ouvrir des sections d'apprentissage, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville.
La région reste l'investisseur principal en matière d'apprentissage. La région a une compétence d'investissement tant dans les lycées professionnels que dans l'apprentissage. Il nous paraît très important que ce soient les régions et la même autorité publique qui aient la responsabilité des deux. C'est ce qui permet de mutualiser les moyens, de faire des plateaux techniques communs. C'est aussi un élément structurant de l'aménagement du territoire que de décider de faire une filière du bâtiment ici, d'automobile là, ou d'aéronautique ailleurs. Cela influence beaucoup les régions qui signeront avec les branches les contrats d'objectifs et de moyens prévus par la loi.
En ce qui concerne la formation professionnelle, l'égalité des chances sera assurée grâce à la mutualisation des systèmes de formation, notamment par le biais d'une cotisation mutualisée pour développer la formation dans les TPE-PME. C'est aujourd'hui le problème majeur de développement de ces PME.
En ce qui concerne la société inclusive, notre but, avec Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, est de mobiliser tous les dispositifs de droit commun pour que l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés joue le rôle d'un véritable levier pour l'emploi direct.
Beaucoup de travail reste à faire à ce sujet. De nombreux métiers n'entrent toujours pas dans l'obligation d'emploi : ainsi, les vendeurs polyvalents en magasin ne sont pas pris en compte dans le calcul des postes qui pourraient accueillir des handicapés. C'est un peu un mystère qui a dû avoir son explication un jour.
De façon générale, l'évolution des traitements et des technologies permettent quasiment à toutes les personnes handicapées de pouvoir être accueillies dans quasiment tous les types d'emploi et d'apporter leur valeur ajoutée. Sur ce point, nous pensons qu'on peut aller plus loin.
En matière d'égalité professionnelle des femmes et des hommes, une concertation a été menée conjointement avec Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de ce sujet. Elle a donné lieu à beaucoup de propositions des partenaires sociaux.
L'égalité salariale est un cas à part car la loi n'est toujours pas respectée après 45 ans. Nous voulons passer d'une obligation de moyens, ce qui est le cas aujourd'hui, à une obligation de résultat. Concrètement, nous souhaitons mettre en place un outil pour mesurer de façon objective les écarts dans les entreprises, rendre obligatoire la création d'enveloppes de rattrapage et multiplier les contrôles et renforcer les sanctions après un délai de trois ans.
Régler le problème est impossible en une année. Toutes les entreprises qui ont résolu ce problème et qui témoignent de la performance que cela leur a apportée ont mis deux ou trois ans pour y parvenir.
En matière de prévention du harcèlement sexiste et sexuel au travail, beaucoup d'actions ont été menées dans le domaine de la formation, de la sensibilisation et de la responsabilisation des acteurs. Je pense que ces derniers mois ont prouvé la méconnaissance collective que nous avions de l'ampleur du phénomène dans les secteurs public et privé. La sensibilisation de tous - partenaires sociaux, médecins du travail, chefs d'entreprise, responsables des ressources humaines - est essentielle.
Enfin, la lutte contre la précarité excessive, qui va au-delà de la flexibilité nécessaire aux entreprises, est parfois devenue un système de gestion pour une minorité d'entreprises. Avec le bonus-malus, l'idée est de tenir compte, par secteur d'activité, des entreprises qui ont un recours excessif aux contrats courts et remettent ensuite les gens au chômage, à la différence d'entreprises du même secteur concurrentes qui ont une pratique qui encourage davantage le CDI. On a vu des usines avec 50 % d'intérimaires : je ne sais pas comment on peut faire de la qualité et assurer la sécurité au travail sur des cycles longs dans ces conditions.
L'ensemble de ces éléments et l'activité réduite représentent 9 milliards d'euros de dépenses pour l'assurance chômage, dont je rappelle qu'elle connaît un déficit structurel de 3 milliards d'euros. C'est donc aussi un sujet de bonne gestion.
Concernant l'imputation des missions d'intérim aux entreprises utilisatrices, un amendement d'initiative parlementaire a été adopté à l'Assemblée nationale sur le lien entre la précarité excessive par l'activité réduite - le fait qu'on puisse demeurer indéfiniment dans une activité combinant chômage et salariat - et le bonus-malus.
Pour nous, les transformations systémiques profondes que porte ce projet de loi, qui vise à créer davantage de liberté professionnelle pour l'ensemble des actifs, sont le complément de la loi d'habilitation pour le renforcement du dialogue social. Il s'agit d'un moment essentiel puisque, aujourd'hui, que ce soit en France, en Europe, ou dans l'OCDE, l'enjeu des compétences est au coeur de la compétitivité et de l'ascenseur social. C'est le pari que nous faisons, et c'est précisément ce que le projet de loi que j'ai l'honneur de porter vous propose.