Intervention de Michel Forissier

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 juin 2018 à 16h35
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel — Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Photo de Michel ForissierMichel Forissier, rapporteur :

Madame le ministre, tout d'abord, tous nos remerciements pour votre exposé.

Avant d'aborder le contenu du projet de loi, je voudrais vous faire part de nos observations sur la méthode que vous avez retenue pour élaborer ce texte, qui souffre de trois faiblesses à nos yeux.

Tout d'abord, la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage que vous proposez n'a pas été précédée d'une évaluation globale impartiale et publique du système actuel et des effets de la loi du 5 mars 2014. Ce faisant, nous risquons une fois de plus d'entretenir l'inflation législative que tout le monde s'accorde à dénoncer.

Par ailleurs, au noyau dur du texte sont venus se greffer plusieurs volets disparates de portée inégale et non stabilisée. Je pense à l'emploi des travailleurs handicapés, ce qui justifie la présence de Philippe Mouiller au banc des rapporteurs, puisque c'est lui qui porte les sujets du handicap dans notre commission. Je pense également aux plateformes comme Uber ou encore au sujet de la fonction publique.

Le projet de loi initial ne comportait que des accroches législatives pour le handicap et l'égalité professionnelle, afin de permettre au Gouvernement de terminer les concertations engagées avec les partenaires sociaux et de faire adopter en cours d'examen parlementaire les amendements qui en résultent.

Je regrette profondément cette méthode, qui méconnaît les prérogatives du Parlement, car nous ne disposons ni de l'avis du Conseil d'État sur les dispositions ainsi produites ni d'études d'impact ni du temps suffisant pour organiser les auditions adaptées.

Enfin, troisième observation : des sujets emblématiques de la réforme seront définis par un décret, dont nous ne connaissons pas ou peu les grandes lignes. Comment le Parlement peut-il s'exprimer sans disposer de toute l'information requise ? C'est pour cela que je vous sollicite pour que vous nous communiquiez, dans les prochains jours, une présentation générale de ces décrets. Nous comptons sur votre parole. Nous vous faisons totalement confiance compte tenu du climat que vous avez su tisser avec le Sénat ces derniers mois.

J'en viens à la réforme de l'apprentissage. C'est le sujet principal qui accroche sur ce texte. Malgré certains points de la réforme qui vont dans le bon sens, reprenant des propositions que le Sénat avait portées par ma voix, il est très sérieusement envisagé de rejeter ce projet de loi, à moins d'avoir de votre part des réponses claires et précises en séance publique, le 10 juillet prochain, sur quatre sujets auxquels notre commission est particulièrement attachée.

Premier sujet : nous attendons de la part du Gouvernement une réforme d'envergure de la réorientation élaborée conjointement entre le ministère du travail et le ministère de l'éducation nationale. L'article 10 du texte est anecdotique et ne nous satisfait absolument pas.

Deuxième sujet - que je qualifierais de sujet de discorde : nous comptons renforcer le rôle des régions dans le pilotage de l'apprentissage, sans remettre en cause bien entendu le rôle reconnu aux branches professionnelles, qui est essentiel. Nous ferons des propositions très précises en commission la semaine prochaine.

Troisième sujet : les régions et le Sénat attendent de votre part une revalorisation de l'enveloppe de 180 millions d'euros et de 250 millions d'euros prévus pour aménager le territoire en matière d'apprentissage. La mission flash de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a montré que ces sommes étaient bien inférieures aux besoins des régions pour la responsabilité qui leur est confiée.

Quatrième sujet : nous souhaitons connaître les critères qui seront établis pour le coût au contrat dans les CFA. Les directeurs de centres que nous avons rencontrés et auditionnés sont très inquiets car cette réforme risque de mettre rapidement en faillite certains centres et d'accroître les difficultés dans les zones rurales et périphériques. Il n'y aura évidemment pas de problèmes pour les zones denses, les métropoles et les zones économiquement riches.

Vous l'avez compris, madame la ministre, les rapporteurs de la commission des affaires sociales entendent proposer mercredi des amendements dans un esprit d'ouverture, mais avec vigilance. Si nous n'avons pas, en séance publique, le 10 juillet prochain, des engagements très forts de votre part sur ces quatre sujets, il est quasi certain que le Sénat sera dans l'obligation de rejeter ce texte, et un échec de la CMP - que nous ne souhaitons pas - en découlerait.

Madame la ministre, je conclus simplement en vous disant que la balle est dans votre camp et que nous espérons un retour positif de votre part.

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