Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 juin 2018 à 16h35
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel — Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre :

J'ai déjà eu la chance de travailler avec le Sénat. C'est notre troisième texte commun. Il est pour moi important d'afficher le plus de transparence possible. Certains points sont d'ordre réglementaire mais cela n'empêche pas d'éclairer nos intentions.

Je vous saurais gré de me faire connaître les sujets sur lesquels vous souhaitez davantage de précisions, ce qui me permettrait de répondre sur ces points en séance, sans noyer tout le monde sous la richesse réglementaire de la France.

S'agissant de l'apprentissage, j'ai bien entendu vos exigences.

Le texte de loi résulte d'un travail commun entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et le ministère du travail. Par ailleurs, ces modalités ont été assez longuement discutées par le ministre de l'éducation nationale avec les représentants de l'Association des régions de France. Il est clair que l'on renforce la responsabilité des régions. Conformément à la loi, c'est aux régions de faire découvrir les métiers avec les lycées et les collèges, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Pour les lycées professionnels et le secteur de l'apprentissage, la transparence des données - diplômes, réussite de l'insertion, premiers salaires - constitue un énorme atout en matière d'orientation. Il faut cependant collecter ces données et les rendre transparentes pour les jeunes et les familles.

La question des services d'orientation de l'éducation nationale est plus complexe. Les régions elles-mêmes n'ont pas toutes la même position. Le texte prévoit que les délégations régionales de l'ONISEP (DRONISEP) puissent être pilotées par les régions, en conservant un ONISEP central constituant en quelque sorte la banque de données de l'éducation nationale, avec une convention d'articulation entre les deux.

En ce qui concerne les conseillers d'information et d'orientation, les régions ont pour l'instant souhaité ne pas les intégrer. La porte est ouverte à titre expérimental, si certains le souhaitent. Il faut évidemment une coopération entre régions et établissements scolaires, qui est importante pour les jeunes, les familles. Je pense que nous pourrons répondre de la façon la plus concrète sur le sujet.

Nous prévoyons aussi que le texte de loi comporte des heures dédiées au temps scolaire. En seconde, 54 heures seront consacrées à la découverte des métiers organisée par les régions, soit deux bonnes semaines. Ceci doit s'étendre de la classe de quatrième à celle de première et complétera les stages.

En ce qui concerne les régions, j'ai bien entendu que vous aurez des propositions à formuler. En ce qui concerne les dotations aux régions, les 180 millions d'euros représentent une fraction dynamique de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Nous ne modifions donc pas les textes en vigueur sur ce point. C'est une ressource dynamique qui évolue positivement chaque année et qui devrait être de l'ordre de 200 millions d'euros en 2018.

La question qui est soulevée est celle des 250 millions que nous avons prévus, en plus du coût au contrat qui doit garantir 90 % des cas de figure. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il peut être plus intéressant de garder une section de huit jeunes à proximité plutôt que de les envoyer dans un internat à 100 kilomètres, où beaucoup refuseront de se rendre. Il faut évidemment une offre d'entreprises dans le bassin d'emploi. Sans jeune ni entreprise, il est difficile de conserver des places : où le jeune va-t-il suivre son apprentissage ? On peut également trouver des jeunes et des entreprises, mais pas en nombre suffisant, d'où l'idée de dotation, qui entre parfaitement dans les compétences des régions.

S'agissant de la méthodologie de l'évaluation du coût, j'ai choisi une approche pragmatique. Les missions flash, qui n'ont pas encore rendu leurs conclusions, interviennent dans quatre régions. J'ai demandé ce matin même à mes services d'aller le plus vite possible. Le chiffre ne figure pas dans la loi, mais il est important de disposer des bons éléments.

Pour ce qui concerne le rôle des régions, les entreprises veulent, comme dans les autres pays européens, avoir leur mot à dire. Ce n'est pas un débat entre la région et l'État. Fait-on confiance aux acteurs de terrain que sont l'entreprise, le jeune et le CFA ? C'est là le vrai sujet. Pour le reste, on a besoin des régions, des branches, et de l'État pour l'orientation. On ne peut réussir l'apprentissage avec une seule de ces trois entités. Tous ceux qui connaissent bien ce domaine savent que la mobilisation de chacun est nécessaire.

Aujourd'hui, en France, les branches et les entreprises, contrairement aux autres pays européens, sont sur un strapontin et se sentent peu concernées. Demain les entreprises vont pouvoir créer des centres de formation d'apprentis. Beaucoup cherchent des compétences et nous ont déjà dit qu'elles allaient le faire pour développer une offre de formation plus importante sur un territoire donné.

On parle de libéralisation mais il faut aussi permettre à l'ensemble des acteurs de s'impliquer. Les régions ont demandé - et le Premier ministre en est convenu - que les schémas régionaux se concertent avec les branches. Ceci ne figure pas encore dans le texte et nous devons donc trouver ensemble la bonne formulation qui n'empêche pas d'autres acteurs de se développer.

En France, cela fait vingt ans que cette compétence est décentralisée mais on ne parvient pas à passer le cap des 450 000 apprentis. Nous voulons donc responsabiliser les entreprises et les branches. Nous avons également absolument besoin des régions, en matière d'orientation : c'est dans ces conditions que nous pourrons réussir collectivement.

Quant aux CFA, ceux à qui nous expliquons les choses se sentent rassurés. La loi n'est pas encore votée. Peu d'informations circulent à son sujet et la dramatisation politique a beaucoup inquiété les CFA. Le comité directeur de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) soutient la réforme et considère qu'elle va permettre à ces secteurs de se développer. Dès que les éléments concrets seront stabilisés, on pourra rassurer les CFA. Notre but est évidemment de développer l'offre de formation partout sur le territoire. C'est ainsi qu'est conçu le projet de loi.

Par ailleurs, la monétisation du CPF constitue un point important. Aujourd'hui, 6 millions de comptes ont été ouverts pour 26 millions d'actifs. 1,5 million seulement en a bénéficié. Il s'agit pour moitié de demandeurs d'emploi, pour moitié de salariés. La législation prévoit un maximum de 150 heures. Il est très difficile de trouver une formation qualifiante de cette durée. Avec une somme comprise entre 500 euros et 5 000 euros - 8 000 euros pour les non-qualifiés - on peut très clairement aller beaucoup plus loin et bénéficier de nombreuses formations comme : Test of English for International Communication (TOEIC), Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES), Test on Software Applications (TOSA), certificat de connaissances et de compétences professionnelles CLéA.

Les salariés ont compris que les métiers allaient connaître une importante mutation, mais toutes les entreprises n'ont peut-être pas besoin de former leur personnel à la langue anglaise s'ils n'en ont pas l'utilité. Je trouve cependant sain et encourageant que beaucoup de nos concitoyens décident de se former eux-mêmes.

Ceci va d'autre part permettre le développement des formations en ligne. Une start-up française, créée il y a quelques années et qui forme aujourd'hui à des diplômes de l'enseignement supérieur, compte déjà 3 millions de demandes d'actifs en France pour se former à des diplômes à distance. Il faut intégrer cette révolution des mentalités. On ne peut pas tout faire à distance mais la demande sociale est forte sur le sujet et le CPF permettra d'y répondre.

C'est aussi une mesure plus juste. Les salariés des TPE, les ouvriers et les employés ont aujourd'hui peu accès à la formation - de l'ordre d'un salarié sur trois. En France, on se forme moins qu'en Allemagne - 50 % -, et beaucoup moins que dans les pays nordiques - près de 70 %.

Une loi formidable a été votée en 1971. Entre les années 1970 et 1990, la France était un modèle en matière de formation continue tout au long de la vie. Aujourd'hui, nous sommes en retard par rapport aux autres pays de l'OCDE, alors qu'on sait que la bataille des compétences va être un élément clé de la compétitivité. Il faut permettre aux TPE-PME de se développer davantage et à chaque actif de se former. C'est un sujet d'émancipation sociale. Si notre ascenseur social est en panne, c'est parce qu'on empêche les qualifications de plus haut niveau.

Pour établir le taux de conversion, on a déterminé le coût moyen de ceux qui ont suivi une formation par le biais du CPF. Celui-ci est de 12 euros en moyenne. Nous avons retenu 12,24 euros pour parvenir à un chiffre rond de 500 euros.

Les formations de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ont un coût d'environ 12 euros, les formations financées par Pôle emploi et les régions plutôt autour de 9 euros. Il existe certes des formations à 35 euros, mais aucune entreprise ne les achète. Il est également nécessaire de réguler un marché qui ne l'est actuellement ni par la qualité ni par les coûts. Tous les organismes qui interviendront sur financement public ou mutualisé auront besoin de cette certification. Seules les formations diplômantes et certifiées seront accessibles dans le cadre du CPF.

La réforme permettra de réguler la qualité et le coût des formations dispensées par les 70 000 organismes que compte notre pays.

La somme de 500 euros représente beaucoup plus qu'auparavant pour les salariés, notamment les ouvriers, mais aussi les employées et les cadres.

Par ailleurs, l'Unédic finance en effet Pôle l'emploi. C'est la raison pour laquelle les représentants de l'Unédic sont majoritaires au conseil d'administration de Pôle emploi. Le financement s'élève à 3,3 milliards d'euros par an. Sans Pôle emploi, l'Unédic, devrait recruter des personnes pour indemniser les chômeurs. Il s'agit donc d'une sorte de prestation de services, où Pôle emploi réalise à la fois l'accompagnement des demandeurs d'emploi, le recensement et l'aide à la relation avec les entreprises, et l'indemnisation des chômeurs. Il est donc logique que ce financement fasse partie de la convention tripartite entre l'État, les régions et les partenaires sociaux.

Ce n'est pas l'État qui est responsable de la dette - l'État, la garantit -, mais ce sont les partenaires sociaux qui définissent les règles, ce qui constitue une spécificité à peu près unique en Europe. Dans tous les autres pays européens, l'État se mêle des règles. Ce n'est pas ce que nous avons décidé pour le moment. Tout en encadrant le système, nous avons voulu laisser aux partenaires sociaux le soin de définir les règles. En période de crise, il est bon d'avoir un système très protecteur. Il faut qu'il le reste quelle que soit l'époque, mais il faut aussi tenir compte de la croissance : si la croissance repart, il est normal que l'État indique à l'Unédic que la trajectoire doit tenir compte de la dette annuelle - l'État garantissant chaque année 3 milliards d'euros -, mais aussi de la dette globale, qui s'élève à 33 milliards d'euros. Ceci vous rappelle des débats récents.

Si le chômage baisse vraiment, les cotisations augmentent et les dépenses diminuent. C'est l'intérêt de l'Unédic. L'espoir de pouvoir réduire la dette existe donc, mais il faut le faire en période de croissance.

Le projet de loi définit clairement les responsabilités de chacun : à l'État le cadrage et l'orientation, aux partenaires sociaux la charge de définir les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi.

En ce qui concerne l'accès des travailleurs handicapés à l'emploi, l'obligation va s'élargir, vous l'avez souligné.

J'ai omis de mentionner que des droits majorés seront créés pour ces personnes dans le CPF. Aujourd'hui ces demandeurs d'emploi sont en moyenne moins qualifiés et deux fois plus au chômage que les autres demandeurs d'emploi. On recense 500 000 demandeurs d'emploi handicapés chez Pôle emploi. C'est énorme. Cela signifie que nous n'évoluons pas dans une société inclusive. Trente après, nous sommes encore à 3,4 % de travailleurs handicapés dans les entreprises, alors que l'obligation légale est de 6 %. Certains pays qui n'ont pas d'obligation légale font mieux ! On doit donc pouvoir s'améliorer.

Avec les partenaires sociaux, nous avons prévu de procéder en deux temps. Le premier temps sera consacré aux droits et à l'accès à la formation à l'emploi des personnes en situation de handicap. Dans un second temps, nous ouvrirons la concertation en matière d'offres de formation. On a réalisé certains progrès depuis un an en fusionnant Cap emploi avec le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), afin que l'accès à l'emploi et son maintien reposent sur la même équipe. Nous prévoyons également une collaboration plus forte avec Pôle emploi.

Les entreprises adaptées sont un élément important du dispositif. Nous avons travaillé avec elles ces derniers mois. Il n'y a pas d'enjeux législatifs, mais nous étudions comment elles peuvent développer une offre plus importante. Pour un travailleur handicapé employé dans une entreprise adaptée, il est très difficile d'être embauché dans une entreprise non subventionnée. Il faut donc que ce soit plutôt un sas pour ceux qui le peuvent, les autres pouvant continuer à travailler dans des entreprises adaptées ou dans des établissements et services d'aide par le travail (ESAT). Ces discussions sont en passe d'aboutir. Elles ne nécessitent pas de modifications législatives, mais sont cependant importantes.

J'espère avoir répondu à vos questions.

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