Intervention de Patrick Weiten

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 28 juin 2018 : 1ère réunion
Audition de M. Patrick Weiten vice-président de l'assemblée des départements de france adf et président du conseil départemental de la moselle dans le cadre du cycle d'Auditions des associations d'élus locaux sur l'actualité des collectivités territoriales

Patrick Weiten, vice-président de l'ADF :

Nous sommes aujourd'hui à un moment clef de l'histoire des départements, pour lesquels, depuis quatre ans, plusieurs big bangs se sont succédé.

Le premier est d'ordre territorial.

Tout d'abord, on a modifié le socle électoral sur lequel les départements reposaient depuis la Révolution française, à savoir les cantons. Aujourd'hui, la carte des cantons ne correspond presque plus du tout à celle des intercommunalités, lesquelles voient croître leurs compétences. On aboutit donc à une discordance entre le socle électoral et le socle opérationnel des départements.

À l'origine, j'ai critiqué l'institution du binôme. Toutefois, elle m'apparaît désormais comme une bonne chose : la parité qu'elle garantit a apporté une nouvelle respiration au sein de nos assemblées. Il n'en faut pas moins, à présent, tisser de nouveaux liens entre les territoires et les départements, qui sont des structures d'équilibre entre les métropoles et les campagnes et des garants de la solidarité sociale et territoriale.

Ensuite, il faut tenir compte des fusions d'intercommunalités. Souvent menées à marche forcée, elles ne sont pas encore achevées, qu'il s'agisse des compétences, des budgets ou de la fiscalité ; aussi, bon nombre de projets de territoire se font attendre.

En parallèle, les grandes régions ont du mal à prendre leurs repères. Le Grand Est représente trois anciennes régions et dix départements, lesquels abordent les problématiques de manières différentes. L'harmonisation est très difficile à mettre en oeuvre. La nouvelle région doit l'admettre : pour devenir un acteur de proximité, elle doit impérativement s'appuyer sur les départements. Or la mue n'est pas aisée.

Enfin, 22 métropoles ont été créées, ce qui a provoqué un véritable bouleversement dans la répartition des attributions.

Ces diverses évolutions ont des conséquences non seulement dans les différents domaines de l'action départementale, mais aussi sur les relations entre l'ADF, les départements et les territoires.

Le deuxième big bang est celui des compétences. Certaines d'entre elles échappent peu à peu aux départements. Il en est ainsi de l'économie, même si les conseils départementaux conservent des responsabilités à cet égard. Ils restent en relation avec tout le tissu économique et doivent répondre aux demandes de leurs interlocuteurs, qu'elles portent sur des activités établies ou naissantes.

De nombreux départements, qui avaient posé le socle de leurs compétences économiques après 1945, ont dû renoncer à l'action qu'ils menaient au travers de leurs agences et de leurs financements dédiés. Or les intercommunalités n'ont pas tout à fait pris le relais, et les régions agissent à une autre échelle : en conséquence, nombre d'entreprises sont privées d'un soutien institutionnel.

Dans le même ordre d'idées, on a incité les départements à se séparer, au profit des intercommunalités, des zones d'aménagement placées sous leur gestion. La situation est complexe et, en la matière, c'est le flou qui règne, comme l'illustre l'exemple de l'aéroport de Vatry. Les intercommunalités ne souhaitent pas nécessairement prendre le relais. Elles n'en ont ni les moyens ni l'ambition, et rien ne leur est imposé à cet égard. De leur côté, les départements ne sont plus en mesure de vendre des terrains sur lesquels les industriels souhaiteraient s'installer.

En matière d'environnement, la gestion des déchets, l'eau et l'assainissement sont autant de compétences qui échappent peu à peu aux départements : d'où des conséquences sur la qualité et le prix du service. Nombre de syndicats départementaux sont en difficulté.

Les transports scolaires et interurbains passent aux régions, mais non le transport des élèves et enfants handicapés. Cette situation nuit gravement à l'insertion sociale de ces derniers : désormais, certains services se divisent en deux cars ou en deux bus, celui des enfants handicapés et celui des enfants valides.

Le troisième big bang est d'ordre financier : comme les autres collectivités, les départements ont vu les dotations de l'État décroître de manière draconienne. Dès 2015-2016, nous avons commencé à réduire nos budgets de fonctionnement ; les investissements dans les territoires ont été gravement amputés. Les contrecoups de ces restrictions sont multiples, que ce soit pour la rénovation des collèges, lesquels datent souvent des années 1960-1970, pour l'entretien des routes ou pour les aides attribuées aux investissements des communes, des intercommunalités, voire des métropoles.

Les conséquences sont lourdes sur le marché du bâtiment et des travaux publics. Nous nous efforçons de préserver ces investissements mais, de leur côté, les intercommunalités réduisent elles aussi la voilure. La Moselle a perdu 135 millions d'euros de dotations : cette somme représente six collèges, ou encore cinq années d'aide aux intercommunalités.

L'endettement des départements était maîtrisé ; il a été réduit depuis plusieurs années mais, vous le constatez, les conséquences sont manifestes.

Dans le même temps, les charges de solidarité augmentent, et nous ne pouvons les maîtriser : en moyenne, elles représentent désormais la moitié du budget des départements.

Je pense à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). La population vieillit, et les places en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) font défaut dans tous les territoires ; la prise en charge des personnes âgées en pâtit, comme la presse s'en est fait l'écho. La situation va encore se dégrader, et les familles, comme les personnels, ne resteront pas sans réagir.

Les coûts liés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) augmentent également, du fait de la dislocation croissante du cercle familial. Il faut réadapter notre politique de l'enfance dans tous les domaines, depuis l'accueil au sein des familles jusqu'au placement dans les maisons d'enfants à caractère social, les MECS.

Les dépenses relatives à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) croît dans de fortes proportions : le nombre de demandeurs augmente sans cesse, notamment du fait de requêtes injustifiées. Le taux d'avis favorables émis par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) n'est plus que de 48 %. Ces structures sont fortement engorgées du fait de mauvaises prescriptions et le traitement d'un dossier exige désormais trois à six mois.

Le budget consacré au revenu de solidarité active (RSA) augmente lui aussi, et il n'est pas maîtrisé. Après un léger repli observé en 2017, nous revenons aujourd'hui au niveau de 2016, à la suite notamment de la réduction du nombre de contrats aidés. Cette évolution a de fortes conséquences financières et budgétaires.

Un dernier big bang est, peut-être, devant nous : le big bang fiscal.

Le transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties vers les communes et des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) vers l'État ne sont pour l'instant que des annonces. Des contreparties ont été avancées, mais l'ADF s'est prononcée contre ces projets : les départements entendent conserver une fiscalité dynamique et continuer à assumer leurs responsabilités financièrement.

Le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) augmente fortement dans presque toute la France, du fait de flux migratoires venant à la fois d'Afrique et d'Europe de l'Est. Or les départements ne sont chargés d'assurer un accueil que pour les mineurs reconnus comme tels. En théorie, l'État doit assumer l'évaluation, mais celle-ci est à la charge des départements dans les faits. La responsabilité n'est pas toujours identifiée. Ce phénomène a, lui aussi, des conséquences financières très importantes.

Des négociations se poursuivent avec l'État, pour que les départements retrouvent leurs capacités d'action. Il faut réagir face à la dégradation de la situation financière. Pour 2016, un fonds d'urgence de 200 millions d'euros a été mis en place au titre du RSA. Pour 2017, une nouvelle dotation de 100 millions d'euros semble presque acquise, mais nous ne disposons d'aucune prévision au-delà. Au demeurant, cette péréquation verticale d'urgence n'est qu'un emplâtre sur une jambe de bois.

Un accord, validé à une très large majorité par l'ADF, permettra d'alléger quelque peu la charge que les MNA imposent aux départements, même si la compensation se révèle insuffisante. Reste que nous n'avons plus les moyens d'accueillir tous ces enfants, lesquels sont souvent en déshérence ; les logements sociaux sont inadaptés et les places d'hôtel difficiles à gérer.

Des négociations sont en cours au sujet des allocations individuelles de solidarité (AIS). Nous étions sur la voie d'un accord : au titre de la péréquation verticale, une dotation de 200 millions d'euros par an était prévue pour le RSA, à laquelle se seraient ajoutés 50 millions d'euros pour le fonds d'appui aux politiques d'insertion (FAPI). Dans le même temps, les départements auraient mis en oeuvre une péréquation horizontale, à hauteur de 350 millions d'euros, tout en ayant la faculté de porter le taux départemental des DMTO de 4,5 % à 4,7 %.

Cet accord avait emporté l'approbation générale, toutes sensibilités politiques confondues. Il était sur le point d'être engagé. Mais le Gouvernement a décidé de lier cette question à la signature du pacte financier imposant une trajectoire de croissance de 1,2 % pour les dépenses des départements. À une majorité de 77 %, l'ADF a décidé, le 20 juin dernier, de ne pas s'engager vers cette contractualisation financière, laissant naturellement toute liberté aux présidents des conseils départementaux de signer ce texte.

Il s'agit là d'une question philosophique : accepter un tel contrat a priori, c'est revenir sur les fondamentaux de la décentralisation. Il s'agit aussi d'une question concrète : les départements ont déjà accompli des efforts considérables, et l'évolution des AIS n'était absolument pas prise en compte dans ce calcul.

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