Mes chers collègues, nous sommes en train de peaufiner notre rapport relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux, et il nous faut réagir à l'actualité la plus récente. Ainsi, la fiscalisation totale d'un certain nombre d'indemnités a pu provoquer un malaise chez un certain nombre d'élus dans nos territoires. Nous devrons émettre des propositions à cet égard, notamment l'augmentation de la fraction représentative de frais d'emploi. À cette question s'ajoute celle de la formation initiale dont doivent disposer les élus : le CNFPT et les organismes actuels, dépendant des partis politiques, sont-ils la seule réponse ? Ne faudrait-il pas créer un nouveau dispositif, en nous inspirant des exemples étrangers, pour répondre aux besoins des plus petites communes et intercommunalités ?
Nous nous efforcerons de rester réactifs jusqu'à la remise de notre rapport. Je vous rappelle que nous présenterons les principales lignes de ce travail le 5 juillet prochain, à 8 heures 30, et que la délégation se retrouvera pour un déjeuner de fin de session le mardi 24 juillet, à l'issue des réunions de groupe.
La réduction du nombre de parlementaires va faire basculer un certain nombre de départements du scrutin proportionnel vers le scrutin majoritaire pour les élections sénatoriales : la parité risque de s'en trouver affectée au sein de la Haute Assemblée. En tant que représentants des collectivités territoriales, nous devons anticiper ces évolutions.
Selon mes calculs, la proportion de sénateurs élus au scrutin majoritaire serait portée de 20 % à 43 %.
À ce stade, saisissons-nous de cet enjeu de manière informelle, en liaison avec la délégation sénatoriale aux droits des femmes.
Le président du Sénat a souhaité que notre délégation soit l'interface privilégiée du Sénat avec les principales associations d'élus. Dans ce cadre, nous recevons aujourd'hui deux représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF) : M. Patrick Weiten, vice-président de cette instance, et M. le préfet Pierre Monzani, son directeur général.
Nous sommes aujourd'hui à un moment clef de l'histoire des départements, pour lesquels, depuis quatre ans, plusieurs big bangs se sont succédé.
Le premier est d'ordre territorial.
Tout d'abord, on a modifié le socle électoral sur lequel les départements reposaient depuis la Révolution française, à savoir les cantons. Aujourd'hui, la carte des cantons ne correspond presque plus du tout à celle des intercommunalités, lesquelles voient croître leurs compétences. On aboutit donc à une discordance entre le socle électoral et le socle opérationnel des départements.
À l'origine, j'ai critiqué l'institution du binôme. Toutefois, elle m'apparaît désormais comme une bonne chose : la parité qu'elle garantit a apporté une nouvelle respiration au sein de nos assemblées. Il n'en faut pas moins, à présent, tisser de nouveaux liens entre les territoires et les départements, qui sont des structures d'équilibre entre les métropoles et les campagnes et des garants de la solidarité sociale et territoriale.
Ensuite, il faut tenir compte des fusions d'intercommunalités. Souvent menées à marche forcée, elles ne sont pas encore achevées, qu'il s'agisse des compétences, des budgets ou de la fiscalité ; aussi, bon nombre de projets de territoire se font attendre.
En parallèle, les grandes régions ont du mal à prendre leurs repères. Le Grand Est représente trois anciennes régions et dix départements, lesquels abordent les problématiques de manières différentes. L'harmonisation est très difficile à mettre en oeuvre. La nouvelle région doit l'admettre : pour devenir un acteur de proximité, elle doit impérativement s'appuyer sur les départements. Or la mue n'est pas aisée.
Enfin, 22 métropoles ont été créées, ce qui a provoqué un véritable bouleversement dans la répartition des attributions.
Ces diverses évolutions ont des conséquences non seulement dans les différents domaines de l'action départementale, mais aussi sur les relations entre l'ADF, les départements et les territoires.
Le deuxième big bang est celui des compétences. Certaines d'entre elles échappent peu à peu aux départements. Il en est ainsi de l'économie, même si les conseils départementaux conservent des responsabilités à cet égard. Ils restent en relation avec tout le tissu économique et doivent répondre aux demandes de leurs interlocuteurs, qu'elles portent sur des activités établies ou naissantes.
De nombreux départements, qui avaient posé le socle de leurs compétences économiques après 1945, ont dû renoncer à l'action qu'ils menaient au travers de leurs agences et de leurs financements dédiés. Or les intercommunalités n'ont pas tout à fait pris le relais, et les régions agissent à une autre échelle : en conséquence, nombre d'entreprises sont privées d'un soutien institutionnel.
Dans le même ordre d'idées, on a incité les départements à se séparer, au profit des intercommunalités, des zones d'aménagement placées sous leur gestion. La situation est complexe et, en la matière, c'est le flou qui règne, comme l'illustre l'exemple de l'aéroport de Vatry. Les intercommunalités ne souhaitent pas nécessairement prendre le relais. Elles n'en ont ni les moyens ni l'ambition, et rien ne leur est imposé à cet égard. De leur côté, les départements ne sont plus en mesure de vendre des terrains sur lesquels les industriels souhaiteraient s'installer.
En matière d'environnement, la gestion des déchets, l'eau et l'assainissement sont autant de compétences qui échappent peu à peu aux départements : d'où des conséquences sur la qualité et le prix du service. Nombre de syndicats départementaux sont en difficulté.
Les transports scolaires et interurbains passent aux régions, mais non le transport des élèves et enfants handicapés. Cette situation nuit gravement à l'insertion sociale de ces derniers : désormais, certains services se divisent en deux cars ou en deux bus, celui des enfants handicapés et celui des enfants valides.
Le troisième big bang est d'ordre financier : comme les autres collectivités, les départements ont vu les dotations de l'État décroître de manière draconienne. Dès 2015-2016, nous avons commencé à réduire nos budgets de fonctionnement ; les investissements dans les territoires ont été gravement amputés. Les contrecoups de ces restrictions sont multiples, que ce soit pour la rénovation des collèges, lesquels datent souvent des années 1960-1970, pour l'entretien des routes ou pour les aides attribuées aux investissements des communes, des intercommunalités, voire des métropoles.
Les conséquences sont lourdes sur le marché du bâtiment et des travaux publics. Nous nous efforçons de préserver ces investissements mais, de leur côté, les intercommunalités réduisent elles aussi la voilure. La Moselle a perdu 135 millions d'euros de dotations : cette somme représente six collèges, ou encore cinq années d'aide aux intercommunalités.
L'endettement des départements était maîtrisé ; il a été réduit depuis plusieurs années mais, vous le constatez, les conséquences sont manifestes.
Dans le même temps, les charges de solidarité augmentent, et nous ne pouvons les maîtriser : en moyenne, elles représentent désormais la moitié du budget des départements.
Je pense à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). La population vieillit, et les places en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) font défaut dans tous les territoires ; la prise en charge des personnes âgées en pâtit, comme la presse s'en est fait l'écho. La situation va encore se dégrader, et les familles, comme les personnels, ne resteront pas sans réagir.
Les coûts liés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) augmentent également, du fait de la dislocation croissante du cercle familial. Il faut réadapter notre politique de l'enfance dans tous les domaines, depuis l'accueil au sein des familles jusqu'au placement dans les maisons d'enfants à caractère social, les MECS.
Les dépenses relatives à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) croît dans de fortes proportions : le nombre de demandeurs augmente sans cesse, notamment du fait de requêtes injustifiées. Le taux d'avis favorables émis par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) n'est plus que de 48 %. Ces structures sont fortement engorgées du fait de mauvaises prescriptions et le traitement d'un dossier exige désormais trois à six mois.
Le budget consacré au revenu de solidarité active (RSA) augmente lui aussi, et il n'est pas maîtrisé. Après un léger repli observé en 2017, nous revenons aujourd'hui au niveau de 2016, à la suite notamment de la réduction du nombre de contrats aidés. Cette évolution a de fortes conséquences financières et budgétaires.
Un dernier big bang est, peut-être, devant nous : le big bang fiscal.
Le transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties vers les communes et des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) vers l'État ne sont pour l'instant que des annonces. Des contreparties ont été avancées, mais l'ADF s'est prononcée contre ces projets : les départements entendent conserver une fiscalité dynamique et continuer à assumer leurs responsabilités financièrement.
Le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) augmente fortement dans presque toute la France, du fait de flux migratoires venant à la fois d'Afrique et d'Europe de l'Est. Or les départements ne sont chargés d'assurer un accueil que pour les mineurs reconnus comme tels. En théorie, l'État doit assumer l'évaluation, mais celle-ci est à la charge des départements dans les faits. La responsabilité n'est pas toujours identifiée. Ce phénomène a, lui aussi, des conséquences financières très importantes.
Des négociations se poursuivent avec l'État, pour que les départements retrouvent leurs capacités d'action. Il faut réagir face à la dégradation de la situation financière. Pour 2016, un fonds d'urgence de 200 millions d'euros a été mis en place au titre du RSA. Pour 2017, une nouvelle dotation de 100 millions d'euros semble presque acquise, mais nous ne disposons d'aucune prévision au-delà. Au demeurant, cette péréquation verticale d'urgence n'est qu'un emplâtre sur une jambe de bois.
Un accord, validé à une très large majorité par l'ADF, permettra d'alléger quelque peu la charge que les MNA imposent aux départements, même si la compensation se révèle insuffisante. Reste que nous n'avons plus les moyens d'accueillir tous ces enfants, lesquels sont souvent en déshérence ; les logements sociaux sont inadaptés et les places d'hôtel difficiles à gérer.
Des négociations sont en cours au sujet des allocations individuelles de solidarité (AIS). Nous étions sur la voie d'un accord : au titre de la péréquation verticale, une dotation de 200 millions d'euros par an était prévue pour le RSA, à laquelle se seraient ajoutés 50 millions d'euros pour le fonds d'appui aux politiques d'insertion (FAPI). Dans le même temps, les départements auraient mis en oeuvre une péréquation horizontale, à hauteur de 350 millions d'euros, tout en ayant la faculté de porter le taux départemental des DMTO de 4,5 % à 4,7 %.
Cet accord avait emporté l'approbation générale, toutes sensibilités politiques confondues. Il était sur le point d'être engagé. Mais le Gouvernement a décidé de lier cette question à la signature du pacte financier imposant une trajectoire de croissance de 1,2 % pour les dépenses des départements. À une majorité de 77 %, l'ADF a décidé, le 20 juin dernier, de ne pas s'engager vers cette contractualisation financière, laissant naturellement toute liberté aux présidents des conseils départementaux de signer ce texte.
Il s'agit là d'une question philosophique : accepter un tel contrat a priori, c'est revenir sur les fondamentaux de la décentralisation. Il s'agit aussi d'une question concrète : les départements ont déjà accompli des efforts considérables, et l'évolution des AIS n'était absolument pas prise en compte dans ce calcul.
Plus précisément, elle était plafonnée à 2 %...
De plus, nous avons demandé des marges de manoeuvre en faveur des préfets pour s'adapter à la situation territoriale de chaque département - ils disposent déjà d'une telle latitude pour ce qui concerne les communes et les intercommunalités -, mais elles n'ont pas été acceptées.
Depuis notre vote du 20 juin, le Gouvernement est revenu sur nombre d'engagements, sur nombre de promesses faites par le Premier ministre. Il est vital de reprendre les négociations mais Dominique Bussereau, président de l'ADF, l'a indiqué avant-hier par la voie d'un communiqué de presse : on ne peut accepter ce qui est inacceptable.
Merci pour cet exposé clair et complet, qui met l'accent sur les points sensibles.
J'attends de consulter le compte rendu de votre intervention, pour pouvoir confronter en détail vos propos à la réalité financière et administrative de l'heure. D'ores et déjà, je tiens à exprimer quelques désaccords sur les faits.
La compensation des AIS n'imposait aucun effort de solidarité aux départements. En vertu de l'accord proposé, l'État s'engageait à apporter aux départements 250 millions de subventions annuellement, pendant trois ans ; les départements les plus avantagés consentaient un effort de contribution de 350 millions d'euros ; et 490 millions de recettes fiscales supplémentaires, au titre des DMTO, auraient assuré une compensation. À mon sens, une telle augmentation fiscale était fort malencontreuse, et pour cause, la France étant déjà le pays d'Europe qui dispose de l'impôt sur la mobilité le plus élevé et le plus injuste. Les départements n'avaient rien trouvé de plus créatif que de demander son augmentation, et le Gouvernement avait eu la faiblesse d'entrer dans cette discussion.
Bref, le degré de contribution des départements aisés se serait révélé nul, et le secours accordé aux 35 à 40 départements subissant de réelles difficultés financières était payé exclusivement par l'État et par le contribuable.
De plus, à propos de la conduite des négociations, vous avez omis un épisode. Lors de la Conférence nationale des territoires qui s'est tenue à Cahors, devant cent témoins, dont je faisais partie, M. Bussereau a annoncé, au nom de l'ADF, que les départements conditionneraient la signature des accords de contractualisation à l'issue de la négociation relative, d'une part, aux MNA, de l'autre, à la compensation des AIS. Puis, l'ADF a décidé qu'elle ne signerait pas : le Premier ministre est donc dans son rôle en répondant que la négociation d'ensemble n'a plus d'objet.
Au total, j'ai répertorié une trentaine d'inexactitudes dans votre propos. Je ne m'interdirai donc pas de formuler quelques commentaires à la suite de cette audition.
Puisque Alain Richard, qui a beaucoup travaillé sur ces questions, vient d'interpeller fortement notre invité et compte tenu de l'extrême sensibilité du sujet, car il va bien falloir trouver les moyens de sortir de l'impasse actuelle, je laisse dès à présent la parole à Patrick Weiten.
La péréquation verticale qui nous a été proposée par l'État, à hauteur de 200 millions d'euros, auxquels s'ajouteraient 50 millions d'euros au titre du FAPI, ne représente, comme l'État l'a dit lui-même, qu'une péréquation d'urgence. Ce montant est à mettre en regard des 9 milliards d'euros que représente la dette de la nation envers les départements, lesquels assument sans compensation, depuis longtemps déjà, l'augmentation des AIS.
L'augmentation des AIS n'a pas été compensée par l'État, mis à part une année de compensation d'urgence.
Monsieur Richard, vous avez cité certains propos tenus par Dominique Bussereau lors de la Conférence nationale des territoires organisée à Cahors. Je me permettrai à mon tour de citer le Premier ministre, qui, à Matignon, au moment des négociations sur la péréquation, nous a affirmé qu'il ne lierait pas la signature du pacte financier à la dotation de péréquation verticale et à la capacité de prélever 0,2 % de DMTO supplémentaires. C'étaient les deux points en discussion, les départements étant appelés à assumer la mise en place d'une péréquation de solidarité horizontale.
Force est de constater que cet engagement n'est pas respecté et que les négociations conduites sont sans effet, le dispositif de péréquation horizontale étant suspendu à la suite de la décision de renoncer à l'augmentation des DMTO.
Les départements assument la responsabilité de la solidarité nationale en faveur des personnes âgées, des personnes en situation de grande précarité. Ils se voient aujourd'hui enjoints d'assumer une solidarité interdépartementale. D'un point de vue philosophique, dirais-je, à voir l'écart considérable entre les 9 milliards d'euros et les 200 millions d'euros qui nous sont accordés, cela me gêne énormément. Ces 200 millions d'euros étaient censés constituer un fonds d'urgence ; ils ont été, c'est vrai, pérennisés sur trois ans. À cet égard, Monsieur Richard, je reprends à mon compte le terme de « subventions » que vous avez employé, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et non pas d'une contribution de la Nation à une oeuvre collective de solidarité nationale. C'est une subvention précaire, non pérenne, liée à la situation sociale actuelle.
Si les dépenses relatives au RSA ont diminué, il est selon moi indispensable que les départements, à l'instar des autres collectivités territoriales, puissent bénéficier d'une solidarité nationale, d'autant que, en ce qui concerne la situation des personnes âgées et des mineurs isolés, les difficultés sont devant nous, sans compter les sommes versées aux allocataires du RSA. Je le redis, nous assumons seuls toutes ces évolutions, sans compensation de l'État.
Le département du Nord a longtemps souffert de la non-compensation de l'État des montants versés aux bénéficiaires du RSA, ce qui l'a contraint à diminuer les crédits budgétaires alloués à d'autres dépenses. Certains collèges, par exemple, n'ont plus d'agents d'entretien ou ne peuvent plus organiser autant de sorties qu'ils le voudraient, et la remise en cause des contrats aidés n'a pas arrangé la situation.
Il serait intéressant de savoir exactement sur quels postes ont été faites les économies réalisées par les départements. Je pense notamment au transfert de la compétence « transports scolaires ». Existe-t-il une étude d'impact à ce sujet ?
La grande différence de situation entre les départements et les autres collectivités soumises à la même contrainte budgétaire de la part de l'État, contrainte supérieure à celle qu'il se fixe à lui-même, c'est l'effet de ciseau aujourd'hui observé entre la baisse des dotations et l'augmentation des dépenses sociales obligatoires.
Au-delà des mécanismes de compensation ou de solidarité financière, y aurait-il des marges de manoeuvre envisageables pour aller vers une plus grande autonomie des départements dans la mise en oeuvre de leurs compétences ? Les départements sont tenus d'appliquer de façon mécanique les règles régissant la solidarité nationale. Ils ont souvent contesté le fait de ne disposer d'aucune liberté en la matière, et la jurisprudence « Haut-Rhin » est venue démentir la position de l'État. Dès lors, les départements pourront-ils acquérir une autonomie accrue et privilégier des modes d'action sociale aussi efficaces, voire davantage, et éventuellement plus économes ? Où seront-ils contraints de rester dans ce carcan qui détermine mécaniquement leurs dépenses, sans qu'ils aient la possibilité de les maîtriser ?
Nul ne peut nier que les collectivités ont été soumises à tous ces big bangs successifs. Je salue le travail réalisé par l'ADF sur la dernière période, qui s'est révélée très compliquée pour les départements, compte tenu de leurs spécificités, de leur statut de collectivité de proximité chargée d'un certain nombre de solidarités. Ma collègue a évoqué les difficultés rencontrées par les collèges. Rien ne sert de promouvoir, à l'échelon national, des politiques en faveur de l'éducation si, localement, les moyens font défaut, car il restera toujours de grandes disparités entre les territoires.
L'état des lieux que vous décrivez, Monsieur Weiten, est, par certains aspects, plutôt inquiétant. Vous avez rappelé la position exprimée par la grande majorité des adhérents de l'ADF. Je ne me lancerai pas dans une querelle de chiffres, même si - Alain Richard a raison - il importe de savoir de quoi on parle et d'où l'on vient.
La politique de contractualisation a ceci de gênant qu'elle met toutes les collectivités sur le même plan, sous la même toise, si je puis dire, sans tenir compte des efforts faits par les unes ou par les autres. Élu du département de l'Aisne, je ne peux m'empêcher de penser à Jean de La Fontaine et à sa fable La cigale et la fourmi.
J'imagine que le sujet a été abordé, mais ne serait-il pas possible de prendre en compte, parce que les faits et les chiffres sont là, les réels efforts consentis par certaines collectivités en matière, par exemple, de ressources humaines et de désendettement ? Ces efforts sont-ils audibles par le Gouvernement ?
La contractualisation, c'est une chose. La prise en compte de ces efforts, c'en est une autre, et elle a ma préférence.
Pour avoir siégé à l'ADF en qualité de président de département, je sais qu'un tel débat est engagé en son sein depuis pas mal de temps déjà. Ce qui m'ennuie, c'est la connotation qui lui est donnée, les départements se plaçant de facto sur la défensive. Je souhaiterais que l'ADF présente ces sujets de façon plus positive et insiste sur la plus-value qu'apportent les départements dans l'exercice de leurs compétences. Certes, ces dernières sont fortement encadrées et nous n'avons quasiment pas de marges pour tenir compte d'un certain nombre de spécificités locales, par bassins d'emplois notamment s'agissant de la mise en oeuvre du RSA.
Je rejoins ce qu'a dit notre collègue, car il faudrait à tout le moins pousser le curseur de l'expérimentation, donner un peu plus de flexibilité aux départements au niveau de chaque bassin d'emplois pour agir autrement et de manière différenciée.
Le discours des départements est donc trop défensif et ne met pas suffisamment en exergue la plus-value et la pertinence de l'échelon départemental, étant entendu que chaque département a ses spécificités. Prenons l'exemple du vieillissement de la population et des dépenses relatives à l'APA : en termes politiques, l'approche de la Seine-Saint-Denis ne peut être la même que celle du Lot ou de la Creuse, tant les situations n'ont rien à voir. De la même manière, l'approche pourrait être différenciée sur la prestation de compensation du handicap (PCH) ou le RSA.
À un moment donné, les départements devront clairement exposer leur position en la matière. Certains départements se sont fortement exprimés pour réclamer la recentralisation des AIS. Je me suis inscrit en faux contre ces déclarations. On ne peut pas vouloir recentraliser une compétence du département au motif qu'elle lui coûte un peu plus cher à exercer, car, à force, on va finir par le demander pour les services de secours ou les routes et, partant, vider de sa substance ce qui fait la raison d'être du département.
Je suis fermement attaché à l'échelon départemental, considérant qu'il a toute sa place dans l'organisation institutionnelle, notamment dans la mise en oeuvre des politiques de solidarité. Que les départements cessent de marteler que le Gouvernement est « le grand méchant loup », car ils passent en permanence pour des pleurnichards, faute de quoi ils finiront par être soulagés de nombreuses compétences et accusés de ne plus servir à rien. Mettons les choses en perspective, sinon c'est la mort annoncée des départements.
Nous avons encore un peu de temps pour réagir. Les EPCI sont en train de bâtir des projets de territoire, mais nous sommes encore loin d'en voir la fin, à en croire la tournure prise par les récentes commissions départementales de coopération intercommunale. De surcroît, les EPCI ne sont pas demandeurs pour exercer de nouvelles compétences. De la même manière, les grandes régions n'ont pas encore « digéré » le nouveau périmètre qui est le leur, d'un point de vue tant géographique qu'institutionnel. De grâce, profitons de cette respiration qui nous est accordée, dont j'ai quelques difficultés à identifier la durée, pour conforter les savoir-faire qui sont les nôtres. En tant qu'ancien président de département, je peux dire combien j'ai pu apprécier de pouvoir m'appuyer sur une expertise de qualité, notamment en matière de retour à l'emploi. Mon successeur à la tête de l'exécutif, Jean-Claude Leroy, ancien sénateur, a signé lundi dernier le cinq millième contrat de retour à l'emploi. Voilà la preuve que les politiques mises en oeuvre dans ce domaine fonctionnent.
Cessons donc cette complainte permanente - qui nous dessert - sur les millions d'euros perdus, ce qui ne nous empêche pas d'interpeller le Gouvernement avec fermeté. Avec mon homologue Jean-René Lecerf, j'avais été porteur d'une proposition réaffirmant, en préambule, la volonté des départements de continuer à accompagner l'État dans la mise en oeuvre des AIS, malgré l'importance des moyens consentis. Dans le même mouvement, nous avions alerté le gouvernement de l'époque sur les situations, ô combien délicates, vécues par treize départements en grande difficulté. Mes chers collègues, je me dois de le dire, lorsque j'ai plaidé cette cause au sein de l'ADF, la majorité de mes collègues présidents de départements non confrontés à un reste à charge en matière de RSA regardaient ailleurs.
La proposition que Jean-René Lecerf et moi portions avait ceci d'original qu'elle évoquait non pas seulement le RSA, mais l'ensemble des allocations individuelles de solidarité : RSA, APA et PCH. Ce faisant, davantage de départements pouvaient se sentir concernés et nous prêter une oreille plus attentive. Il s'agissait, après une étude détaillée du niveau du reste à charge pour ces trois allocations, et après négociation, de déterminer chaque année un reste à charge moyen. Cela aurait eu pour conséquence de renforcer le rôle du département.
J'en suis convaincu, les départements n'assureront leur pérennité que s'ils se revendiquent aux côtés du Gouvernement, en cette période où la France est confrontée à d'énormes problèmes en matière d'insertion et de RSA, pour prendre toute leur part dans cet effort et montrer qu'ils sont les mieux placés pour agir. S'ils ne tiennent pas ce discours, je ne sais pas ce qu'il adviendra.
Merci de ce plaidoyer. Michel Dagbert vient, en quelque sorte, avec la tonalité qui est la sienne, d'introduire la question que je souhaitais poser. À l'époque où je présidais l'Association des maires des grandes villes de France, la tendance générale était à l'effacement des départements au profit du couple communautés-régions. Il y a eu ensuite ce pas de deux du précédent gouvernement, qui a finalement préservé l'échelon départemental.
Selon vous, Monsieur Weiten, allons-nous voir perdurer cet échelon intermédiaire, avec des compétences importantes, ou vivons-nous les dernières années du département « à la française » ? Je pose la question en ne prenant pas parti. Je me suis moi-même longuement interrogé et je ne me cacherai pas derrière mon petit doigt : j'ai le sentiment que le département est encore là pour longtemps.
Je reviendrai d'abord sur la question de ces dépenses, que je qualifierai d'aléatoires dans le sens où elles ne représentent pas des compétences affirmées mais illustrent la réalité du bien vivre ensemble et alors même que seule la moitié du budget peut leur être consacrée. Sachant que les départements ont la responsabilité de l'entretien des infrastructures routières, de l'immobilier des collèges - qui représente un million de mètres carrés en Moselle - et du patrimoine, la marge de manoeuvre est très limitée. Lorsque des économies nous sont imposées, nous sommes contraints de les faire porter sur ces dépenses aléatoires.
Ces dépenses aléatoires, quelles sont-elles ? C'est le soutien à des projets pédagogiques dans les collèges, dont nous n'avons pas la responsabilité mais que nous finançons quand nous en avons les moyens, dans cette optique, j'y insiste, du bien vivre ensemble, à l'instar de ce que font les communes dans les écoles primaires. C'est le soutien au sport, à la vie associative, au dynamisme culturel. Voilà autant de politiques sur lesquelles nous agissons parce que nous y avons été sollicités. Je n'oublierai pas nos actions dans le domaine de la politique de la ville, aux côtés des métropoles et des grandes intercommunalités.
Je mentionnerai également la question des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité, tant le contexte est tendu. La contribution des communes ayant été bloquée, toutes les évolutions budgétaires sont à charge des départements. Comment ne pas évoquer cette décision de la Cour de justice de l'Union européenne, qui menace le statut des sapeurs-pompiers volontaires ? Puisque économies il doit y avoir, nous sommes contraints, de guerre lasse, de les faire aussi dans ce domaine.
Nous assumons autant que possible ces dépenses qui ne relèvent pas de nos compétences avec responsabilité, car elles représentent cette solidarité territoriale à laquelle nous sommes attachés, celle qui permet de soutenir un collège rural, de financer les transports, de participer à la vie culturelle, de subventionner l'acquisition d'un équipement sportif.
Plus globalement, une question, quasi philosophique, émerge : quelle France des territoires se dessine ? Après avoir subi de tels big bangs, chacun doit pouvoir trouver sa place. Comment se positionne la commune au sein de l'intercommunalité, cette dernière n'ayant cessé d'évoluer, connaissant deux modifications successives ? Et je ne parle pas des régions.
Aujourd'hui, le bouleversement est tel que personne n'a véritablement sa place. La situation va certainement se rationaliser après les prochaines échéances municipales et départementales. Les intercommunalités vont mieux se positionner et trouver leurs compétences.
La question fondamentale, au-delà même des compétences, c'est donc la place de chacun. N'oublions que, voilà quatre ou cinq ans, certains, à la tribune de l'Assemblée nationale, prônaient la disparition des départements.
Pour notre part, nous n'avons jamais affiché un renoncement de nos compétences. À un moment de la discussion sur le RSA, le Gouvernement nous a amenés à réfléchir pour savoir s'il fallait centraliser le financement ou la compétence. La question a fait débat. Dans une démarche largement majoritaire, nous nous sommes exprimés pour conserver la compétence RSA et demander la solidarité nationale. C'est alors que nous avons obtenu cette dotation d'urgence de 200 millions d'euros.
Notre angle d'attaque est simple : nous voulons continuer à assumer l'ensemble de nos compétences, voire davantage, et j'entends par là le droit à l'expérimentation, essentiel à nos yeux et d'ailleurs d'ores et déjà partiellement mis en oeuvre. C'est ainsi que nos collègues Mathieu Klein, en Meurthe-et-Moselle, et Frédéric Bierry, dans le Bas-Rhin, ont engagé des démarches dynamiques sur la question de l'insertion par l'économie et de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA. Si nous avons lancé une réflexion sur les bonnes pratiques dans les départements, sous l'autorité de notre directeur général, c'est justement pour que l'expérimentation, quand elle se révèle positive, puisse être appliquée partout.
Il est regrettable que, depuis deux ou trois ans, nous n'ayons été amenés à ne parler que de finances, de dotations, de subventions, car nous devons prendre le temps de mener cette réflexion, stratégique, sur la France des territoires et la place des départements. C'est par cette question fondamentale, de laquelle découlera peut-être celle du financement, qu'il faut commencer.
L'État sait nous trouver et nous solliciter pour contribuer au financement d'un tronçon d'autoroute, autrement dit d'une infrastructure qui n'est pas de notre responsabilité, et je pourrais citer les départements concernés. Lorsque nous investissons sur nos routes départementales, nous sommes seuls, nous ne recevons que quelques miettes tirées des contrats de plan État-région.
Vos propos sont fort intéressants. Vous l'avez dit, il n'est question que de préoccupations budgétaires depuis deux ou trois ans. Si j'ai toujours eu le souci de me montrer bon gestionnaire, je me suis toujours refusé à n'être que comptable. L'exemple que vous avez pris illustre bien ce que c'est que de faire de la politique et d'arrêter des choix.
Je me rappelle avoir accepté que le département s'engage à financer une infrastructure routière à hauteur de 30 %, en assurant la maîtrise d'ouvrage déléguée par l'État, tout simplement parce que cela se justifiait, aux yeux des citoyens, donc des contribuables, au regard de l'investissement consenti par le département en vue de la mise à deux fois deux voies d'un autre tronçon. Voilà, me semble-t-il, de la bonne politique.
Il serait temps de dire que les recettes des départements augmentent facilement de 3 % par an et que le produit des DMTO perçus par les départements a crû de plus de 50 % au cours des cinq dernières années ! C'est loin d'être un non-sujet !
Nous serait-il reproché d'avoir des recettes dynamiques ?
Je ne vous autorise pas à mettre en cause mon honnêteté !
Au bout de plus d'une heure d'audition, il fallait bien mettre fin à de telles inexactitudes !
Tant que vous ne mettez pas en cause mon honnêteté, je suis prêt à entendre vos remarques. Mais il y a des limites à ne pas franchir.
Oui, nous avons des recettes dynamiques, que nous utilisons - est-ce honteux ? -pour engager de nouvelles politiques, pour assumer de nouveaux investissements. Oui, les DMTO ont augmenté, mais pas partout.
Nous ne la refusons pas, nous y sommes même très favorables. Vous faites une erreur en disant cela. Je vous rappelle que l'ADF a pris sa décision après un vote largement majoritaire. Nous avons revendiqué notre objectif de mettre en place la péréquation horizontale, mais une fois que la solidarité nationale envers les départements serait activée.
Nous nous efforçons d'être dans une démarche dynamique et positive, et ce n'est pas simple dans le contexte actuel. Il est dans la nature même de l'ADF de faire en permanence des propositions. Si nous sommes arrivés à un tel niveau de négociation, c'est bien parce que nous avons fait des propositions. La mesure sur les DMTO, que d'aucuns peuvent critiquer, provient d'une proposition des départements, avec tout ce que cela peut représenter. Pourquoi nous renvoyer à la seule signature d'un pacte financier pour mettre en place une véritable solidarité nationale et interdépartementale ? L'État nous a dit, en substance : « Refusez de signer et il n'y aura pas de solidarité, donc pas de moyens, donc pas de possibilités d'expérimenter. » Or, ce droit à l'expérimentation, nous le revendiquons dans énormément de domaines. Ainsi, les départements sont engagés, pour ne citer que cet exemple, sur l'apprentissage de la langue du pays voisin dans les territoires transfrontaliers.
Il est vrai qu'il faut réfléchir aux modalités de l'action sociale sous toutes ses formes. Peut-être faudrait-il être plus dynamiques et redéfinir la place des départements aux côtés des agences régionales de santé sur la question de la prise en charge des personnes âgées, aux côtés de Pôle emploi et des différents acteurs de l'insertion pour ce qui est, notamment, de l'enfance en difficulté ? Il y a des pistes d'évolution et nombreux sont les départements engagés dans cette voie.
Aujourd'hui, la crispation est telle qu'il faut malheureusement d'abord essayer de résoudre nos difficultés financières, loin d'être passagères. Certains départements, dans une situation épouvantable, n'ont pas payé le douzième mois du RSA - sur les conseils, d'ailleurs, des préfets. Nous souhaitons donc reprendre la discussion avec le Gouvernement.
Merci beaucoup, Monsieur Weiten. Si nos échanges ont pu parfois atteindre un degré quasi paroxystique, ils ont au moins eu la vertu de crever l'abcès. Chacun est dans sa logique, sans que son honnêteté intellectuelle puisse être remise en cause. Les crispations sont telles qu'il est bien difficile, à un moment ou à un autre, de ne pas s'emporter. C'est un bras de fer qui est engagé, mais des pistes existent pour sortir de cette situation. Ni Dominique Bussereau, que je connais bien, ni le Premier ministre ne sont des jusqu'au-boutistes. Le bon sens devrait l'emporter. Alain Richard s'est beaucoup impliqué avec Dominique Bur sur toutes ces questions : il a ouvert un certain nombre de perspectives, d'où la passion avec laquelle il s'est exprimé. De la passion, il en faut aussi pour faire bouger les lignes.
J'ai beaucoup apprécié nos échanges de ce matin, preuve du dynamisme de notre délégation. Merci encore à Patrick Weiten et à vous tous, mes chers collègues.