Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du 3 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre la fraude — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Nathalie DelattreNathalie Delattre :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord vous remercier de m’avoir confié la tâche de rapporter, au nom de la commission des lois, une partie de ce projet de loi, une première expérience d’autant plus enrichissante qu’elle répond à une attente citoyenne forte.

En effet, s’il y a encore quelques années les fraudeurs fiscaux n’étaient considérés que comme faisant défaut aux intérêts financiers d’un État, aujourd’hui ces manœuvres frauduleuses sont perçues comme portant une atteinte directe à l’effort de probité et de solidarité que tout Français, personne privée ou morale, doit avoir envers ses concitoyens. Il est donc nécessaire que le système actuel évolue.

S’il convient de renforcer la sanction d’un contribuable qui se soustrait sciemment à ses obligations contributives, il y a consensus à ne porter devant la justice que les affaires les plus emblématiques et pour lesquelles l’exemplarité de la sanction pénale, avec la publicité qui s’y attache, présente un intérêt majeur. Pour ce faire, ces règles doivent être transparentes et légalisées, et c’est tout le sens du travail qui a été mené au Sénat.

La commission des finances a délégué au fond à la commission des lois l’examen des articles 1er, 8 et 9, et la commission des lois s’est saisie concomitamment pour avis de l’article 5. Aussi, je vous ferai part des conclusions de l’étude approfondie que la commission des lois a menée sur ces quatre articles.

En ce qui concerne l’article 5 relatif à la publicité des condamnations pour fraude fiscale, plus communément appelée le name and shame, la commission des lois estime le dispositif proposé est satisfaisant, en ce qu’il permet de rétablir une règle de condamnation dissuasive, qui se concilie avec le principe d’individualisation des peines. Elle entérine également en l’état l’article 8, qui traite de l’alourdissement des amendes prévues en cas de fraude fiscale, en les portant au double du produit tiré de l’infraction.

La commission des lois juge pertinent l’article 9, qui vise à étendre à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, plus communément appelée le « plaider-coupable ».

La CRPC, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, déclenchée sur l’initiative du procureur, permet d’éviter un long procès, sans effacer pour autant la culpabilité de l’auteur, puisque la peine est homologuée par le président du tribunal de grande instance en audience publique. La commission des lois veut même aller plus loin, puisqu’elle propose d’introduire deux outils complémentaires à la disposition des juges.

Nous proposons, en premier lieu, d’inscrire la jurisprudence Talmon dans la loi. Depuis 2008, la Cour de cassation considère que le parquet peut engager des poursuites sur le fondement du blanchiment de fraude fiscale, le blanchiment étant considéré comme un délit distinct de la fraude. L’objet de notre amendement est donc de sécuriser les procédures engagées depuis une dizaine d’années sur la base de cette jurisprudence.

En second lieu, dans le même esprit et en lien avec une proposition pertinente de nos collègues députés, Émilie Cariou et Éric Diard, formulée dans leur rapport d’information sur le verrou de Bercy, nous vous proposons d’étendre à la fraude fiscale la possibilité de conclure une convention judiciaire d’intérêt public, la CJIP.

La conclusion d’une telle convention par une personne morale est possible sur la seule proposition du procureur. Elle implique de verser au Trésor public une amende d’intérêt public et de mettre en œuvre un programme de mise en conformité. La convention est obligatoirement homologuée par un juge, qui doit également en faire publicité via un communiqué de presse.

Déjà autorisée pour le blanchiment de fraude fiscale, la CJIP a été utilisée avec succès par le parquet national financier pour traiter certains dossiers. Il est donc cohérent de l’autoriser aussi pour la fraude fiscale.

Enfin, la commission des lois a procédé à la suppression de l’article 1er, qui vise la création, au sein du ministère du budget, d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale.

Sur ce point, monsieur le ministre, nous avons une divergence forte : si le Sénat a montré sa volonté de « déverrouiller Bercy » dans ses travaux menés au cours des dernières semaines – sa position est d’ailleurs constante depuis des années –, ce n’est certainement pas pour entrer dans une logique de création d’une police de Bercy !

Depuis 2010, procureurs et juges d’instruction peuvent s’appuyer sur une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF. Dépendant du ministère de l’intérieur, et coadministrée par Bercy, cette brigade associe des officiers de police judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires. Elle peut ainsi mettre en œuvre les techniques d’investigation de la police judiciaire et bénéficier d’une expertise pointue en matière fiscale. Cette brigade, originale par sa mixité de fonctions, comprend environ quarante personnes, qui peuvent s’appuyer sur l’ensemble du maillage territorial de la police judiciaire, soit environ 5 700 personnes.

Le Conseil d’État précise dans son avis qu’un second service d’enquête judiciaire fiscale hors du ministère de l’intérieur serait concurrent du premier. Il dit même ne pas comprendre pourquoi, dans un souci de bonne administration, n’est pas retenue l’option consistant à renforcer le service existant.

La commission des lois et la commission des finances sont également peu convaincues du bien-fondé de la création d’une nouvelle police, alors que la BNRDF a déjà pour mission de mener des enquêtes fiscales, et uniquement cela. Il nous semble plus sain et plus efficace de doter cette brigade de moyens supplémentaires, plutôt que de créer un nouveau service, qui risque d’alimenter une guerre des polices

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