Intervention de Emmanuel Capus

Réunion du 3 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre la fraude — Discussion générale

Photo de Emmanuel CapusEmmanuel Capus :

La fraude serait une sorte de fatalité, un mal que nous serions impuissants à éradiquer.

Force est de constater que les chiffres sont inquiétants : selon les estimations, avec toutes les imperfections que le ministre a rappelées, la fraude fiscale « classique » ferait perdre à l’État de 20 milliards à 30 milliards d’euros chaque année. M. le ministre a même évoqué le montant de 80 milliards d’euros !

S’y ajoutent la fraude aux cotisations sociales, que la Cour des comptes estime à 20 milliards d’euros, et la fraude à la TVA, qui représente au moins 14 milliards d’euros par an en France, d’après la Commission européenne.

Pourtant l’impôt est ce qui fonde la citoyenneté, le vivre ensemble, la participation de chacun à la vie de la Nation. Les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappellent cette exigence : « une contribution commune est indispensable » et « tous les citoyens ont le droit […] de la consentir librement ». La fraude sape ces fondements républicains de notre société et affaiblit le consentement à l’impôt.

Face à la fraude, on peut être fataliste, répéter que « la fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme », ou alors, on peut agir. On peut renforcer notre arsenal préventif et répressif pour l’adapter aux évolutions de la société.

C’est ce que fait la France depuis plusieurs années au niveau international et européen, d’une part, en appuyant l’action de l’OCDE et de la Commission européenne et au niveau national, d’autre part, à travers l’adoption de la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et de la loi Sapin II du 9 décembre 2016.

Ce projet de loi, sans être révolutionnaire, pose une pierre supplémentaire à cet édifice de longue haleine. Il apporte des « petites révoltes », comme vous l’avez dit précédemment, des aménagements bienvenus à nos dispositifs de lutte contre la fraude.

Tout abord, ce texte renforce les pouvoirs de contrôle et de sanction des douanes, tout en favorisant les échanges d’information entre les administrations.

Ensuite, et c’est peut-être sa plus grande originalité, il prévoit de nouvelles sanctions à l’égard des fraudeurs et il réforme notre arsenal répressif.

L’article 6 du projet de loi permet à l’administration fiscale, sous certaines conditions, de rendre publiques les sanctions administratives qu’elle prononce à l’encontre des personnes morales, au titre de certains manquements particulièrement graves. Cette introduction du name and shame anglo-saxon dans notre tradition juridique doit s’accompagner de garanties fortes, à la mesure du risque « réputationnel » encouru. Notre commission des finances y a pourvu en prévoyant que seules les sanctions définitives pourront faire l’objet d’une publication.

En outre, la liste française des États et territoires non coopératifs s’enrichit des juridictions figurant sur la liste du Conseil de l’Union européenne. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, les critiques dont fait l’objet ce type de listes, notamment celle de l’Union européenne. On pourrait la muscler encore par l’insertion des juridictions à haut risque identifiées par le Groupe d’action financière, le GAFI. Ce sont des États qui facilitent le blanchiment de la fraude fiscale internationale et le financement du terrorisme. Ils méritent, à ce titre, une vigilance approfondie.

Je ne m’attarderai pas sur les ajouts de notre commission des finances relatifs à la lutte contre la fraude à la TVA sur les plateformes en ligne. Ce sont des recommandations que le Sénat formule depuis longtemps et qui permettraient de nous inspirer des meilleurs exemples étrangers pour récupérer plus de 1 milliard d’euros par an.

En revanche, notre commission a saisi l’opportunité que vous lui aviez offerte à propos du « verrou de Bercy » : elle propose un dispositif équilibré avec trois critères cumulatifs qui entraînent le dépôt obligatoire par l’administration d’une plainte pour fraude fiscale. Nous aurons certainement des débats très nourris – je l’ai compris – sur cette question et sur la place respective du parquet et de l’administration.

Nous devrons notamment mieux articuler les procédures de poursuites pour fait de fraude fiscale et pour fait de blanchiment de fraude fiscale. Le régime actuel fait coexister deux procédures parallèles dont la cohérence n’est pas assurée. Nous en avons eu la preuve il y a quelques jours encore avec l’annulation de la mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale d’un milliardaire russe, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Pour être vraiment efficaces, nous devons, me semble-t-il, harmoniser ces procédures tout en développant les coopérations entre le parquet et l’administration fiscale. Il faudra s’éloigner du prisme de l’idéalisation du parquet, car quoi qu’il arrive l’opportunité des poursuites, contrairement à ce que certains semblent croire, existera toujours, qu’elle soit le fait d’un spécialiste au sein de l’administration fiscale ou le fait d’un magistrat plus généraliste au sein d’un parquet. Il faut donc se décrisper sur l’existence ou non d’une forme d’opportunité des poursuites.

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