Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 3 juillet 2018 à 14h30
Lutte contre la fraude — Article 1er

Gérald Darmanin :

Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteur, vous avez, comme moi, évoqué précédemment l’article 1er, sur lequel certains ont déjà pris position, qu’ils soient pour ou contre cet article tel qu’il a été proposé par le Gouvernement.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de créer un service de police fiscale à Bercy, sous l’autorité d’un magistrat et non, je le précise, du ministre de l’action et des comptes publics – je le dis, car j’ai entendu un intervenant évoquer le ministère des finances. Le ministère du budget aurait la responsabilité de cette police fiscale, qui pourrait être saisie par des magistrats pour enquêter notamment sur les cas très précis de fraude fiscale, avec toute la technicité des agents placés sous l’autorité de ce magistrat.

J’ai entendu dire que cela risquait de conduire à une « guerre des polices ». Ce n’est ni possible ni exact. Pas possible, car ce sont les magistrats qui choisiront à qui confier telle ou telle enquête, et non les polices qui s’autosaisiraient. Pas exact, parce que, devant l’énorme travail à accomplir, des services spécialisés, qui devront mener des enquêtes elles-mêmes de plus en plus spécialisées, sont totalement nécessaires.

Au moment des « Panama papers » – M. Bocquet évoquait précédemment ce scandale –, que s’est-il passé lorsqu’il y a eu des soupçons de fraude fiscale ? Le Parquet national financier, le PNF, a réuni la direction générale des finances publiques et des services ou des personnes chargés des enquêtes dépendant notamment du ministère de l’intérieur : ils se sont mis d’accord pour travailler séparément, les uns dans le cadre d’enquêtes et les autres par des contrôles. Il n’y a pas eu de guerre des services. La direction générale des finances publiques a été sollicitée alors qu’elle avait peu de moyens – en tout cas pas les moyens que nous proposons de mettre en place avec ce projet de loi, pour faire ce travail d’enquêtes fiscales spécialisées. C’est pourtant bien ce qu’on a demandé à la DGFiP de faire, dans un cadre normatif qui n’est pas aujourd’hui très encourageant.

Les services du ministère de l’intérieur n’ont pas le monopole des enquêtes fiscales. M. Perben a créé un service des enquêtes douanières, qui a d’ailleurs démontré sa grande efficacité. Rien que l’année dernière, ce sont quasiment 900 millions d’euros de saisies qui ont été faites par ce service, placé sous l’autorité d’un magistrat – en l’occurrence, une magistrate – à Bercy, relevant du ministère des comptes publics.

Ce service a également prouvé son efficacité pour des dossiers qui lui sont confiés par des magistrats sur des circuits de blanchiment ou de contrefaçon. Cela permet de mieux intervenir dans des dossiers qui sont parfois complexes.

Vous évoquiez précédemment le fait qu’il faille donner plus de moyens sans doute à la BNRDF. Je signale que le ministère de l’intérieur, depuis la création de cette brigade, a tout de même changé quelque peu de priorité. Depuis quelques années, notre pays est tout de même très largement concerné par les questions de sécurité et de terrorisme. Le ministère de l’intérieur souhaite garder ce service : il faut effectivement le conserver, et nous ne proposons d’ailleurs pas de le supprimer, mais de le compléter par un autre service d’enquête.

En effet, la fraude est de plus en plus sophistiquée, cela a été dit et redit ; les moyens dont dispose Bercy pour lutter contre cette fraude ne sont pas à la hauteur de l’ingéniosité des fraudeurs pour échapper à l’impôt, cela a été aussi largement souligné ; le ministère de l’intérieur peut avoir, comme on peut facilement l’imaginer, d’autres priorités que celle de lutter contre la délinquance économique et financière. Nous proposons non pas de diminuer les agents de la BNRDF, mais de créer un nouveau service, qui sera à la disposition des magistrats.

Madame la rapporteur, vous faites un quiproquo : dire que j’ai la cotutelle ou la coadministration de ce service est totalement faux. Ce service ne dépend que du ministère de l’intérieur, et il comprend des agents de la DGFiP qui sont mis à disposition.

Permettez-moi de vous dire qu’il est un peu anormal qu’aucun des agents de la DGFiP ne soit chef de ce service, qui est toujours commandé par un policier, bien que ces agents fassent une partie du travail. On pourrait considérer que, dans le cadre d’enquêtes fiscales – c’est ce que nous proposons avec la police fiscale et ce qui se passe d’ailleurs dans la « police douanière », si vous me passez cette expression un peu malheureuse –, les agents de la DGFiP, parce qu’ils connaissent les montages frauduleux, soient davantage capables de gérer les dossiers qui seraient typiquement des cas de fraude fiscale et rien d’autre.

Pour toutes ces raisons, je propose le rétablissement de l’article 1er.

Je voudrais vous donner quelques exemples de la procédure judiciaire d’enquête fiscale depuis la création en 2009 de la BNRDF. La DGFiP a déposé 500 dossiers, qui représentent environ 5 milliards d’euros d’avoirs. Les recouvrements de la BNRDF s’élèvent à 200 millions d’euros. Je constate avec vous qu’une cinquantaine de dossiers sont traités par an et qu’il y a six ans d’attente à peu près.

Nous avons un service d’enquêtes douanières qui, parce qu’il a l’habitude du fonctionnement de Bercy, pourrait utilement aider cette police fiscale : l’idée n’est pas de les confondre, mais de les mettre l’un à côté de l’autre, en lien. Ce travail montre son efficacité puisque, comme je l’ai évoqué, rien que l’année dernière, le service des enquêtes douanières a effectué à peu près 900 millions d’euros de saisies.

Il ne s’agit pas d’une guerre des polices ou de supprimer un service pour un autre, il s’agit de compléter l’arsenal que les magistrats auraient sous leur responsabilité, avec des enquêteurs qui pourraient faire un travail d’enquêtes approfondies : c’est déjà le cas avec les perquisitions, ce serait le cas avec les mises sur écoute, les gardes à vue, les filatures. Ce travail ne concernerait que la fraude fiscale.

Les mêmes critiques ont été faites quand M. Perben était ministre : pourquoi créer un service d’enquêtes douanières ? On s’aperçoit aujourd’hui, et cela a d’ailleurs été souligné dans plusieurs rapports parlementaires, que ce service est extrêmement efficace, qu’il correspond à des demandes d’enquête proposées par les magistrats.

Aussi, c’est avec force que je milite pour le rétablissement de l’article 1er et la création de cette police fiscale.

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