Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 juillet 2018 à 9h30
Situation des finances sociales — Examen du rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Comme ces dernières années, la MECSS m'a invité à dresser devant notre commission le tableau de la situation des finances sociales à l'approche du débat d'orientation des finances publiques (DOFP) en séance publique. C'est avec plaisir que je vous en livre les éléments les plus saillants, étant entendu que vous trouverez des informations plus détaillées dans le rapport écrit que vous m'autoriserez peut-être à publier à l'issue de nos échanges.

Comme le veut cet exercice, il convient de distinguer deux périmètres d'examen des comptes sociaux :

- d'une part, en comptabilité générale, le périmètre de la « sécurité sociale », qui correspond au périmètre actuel des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sur lesquelles nous nous prononçons chaque automne ;

- d'autre part, en comptabilité nationale, l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), qui est le périmètre de nos engagements européens, celui à partir duquel sont appréciés le solde des administrations publiques et la dette publique au sens du Traité de Maastricht. En plus de la sécurité sociale, il inclut les retraites complémentaires obligatoires, l'assurance chômage ou encore la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). C'est par ce dernier périmètre que je débuterai mon propos.

Comme vous l'avez entendu ces dernières semaines, en prenant en compte l'ensemble des ASSO, les comptes sociaux sont enfin à l'équilibre en 2017 pour la première fois depuis une décennie : + 5,1 milliards d'euros, soit 0,2 % du produit intérieur brut (PIB).

Il s'agit d'une bonne nouvelle, dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Pour autant, nous ne pouvons éluder les fragilités qui demeurent au-delà de cette bonne performance.

Tout d'abord, ce résultat positif intègre les 14,3 milliards d'euros amortis par la Cades l'année dernière. Cette intégration n'est pas contestable d'un point de vue comptable. Mais en dehors du résultat de cette structure provisoire en grande partie financée par une ressource - la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - destinée à s'éteindre en 2024, les administrations de sécurité sociale ont enregistré, en 2017, un besoin de financement de 9,2 milliards d'euros. La notion d'équilibre retrouvé est donc à relativiser.

En outre, le bon résultat de l'année dernière est très largement le fait du dynamisme des recettes. Poussées par la très bonne conjoncture économique, à laquelle elles sont intimement liées du fait de l'assiette salariale de la majorité d'entre elles, les recettes de l'ensemble des ASSO sont en effet passées de 580,7 milliards d'euros en 2016 à 604 milliards en 2017, soit une hausse de près de 4 % en un an. Les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations, sont prépondérants : avec 553,1 milliards d'euros l'an dernier, ils ont représenté 53,3 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires, et 24,1 % du PIB.

Dans son rapport sur les comptes publics, en prenant un peu de recul, la Cour des comptes souligne que, depuis 10 ans, les administrations de sécurité sociale ont bénéficié d'une hausse de leurs recettes de 2,3 points de PIB, dont :

- 1,2 point d'évolution « spontanée », avec un fort effet de l'année 2009 au cours de laquelle la masse salariale s'est globalement maintenue malgré une nette baisse du PIB ;

- et 0,9 point dû à des mesures de hausse des prélèvements en faveur des ASSO, en distinguant deux périodes contrastées, une période 2010-2014 au cours de laquelle les mesures ont abouti à une hausse de 1,2 point et une période depuis 2014 qui voit ce mouvement quelque peu refluer (- 0,3 point dû aux mesures prises depuis lors).

En allant un peu plus dans le détail, les comptes de l'Unédic ont affiché un déficit de 3,6 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,3 milliards de 2016. Là encore, c'est l'augmentation des recettes qui explique cette amélioration, les dépenses de l'assurance chômage ayant légèrement augmenté, de quelque 300 millions d'euros pour atteindre 39,9 milliards d'euros l'année dernière. On relèvera, à cet égard, que les effets de la nouvelle convention conclue par les partenaires sociaux en 2017 n'ont guère pu se faire sentir sur l'exercice précédent, ce texte étant entré en vigueur au mois de novembre. C'est donc l'année 2018 qui permettra d'en faire un premier bilan. En tout cas, au 31 décembre, la dette de l'Unédic représentait un montant de 33,5 milliards d'euros ; sans anticiper sur la suite, vous vous souvenez sans doute que les responsables de l'organisation que nous avons entendus en commission prévoient un « pic » de dette de l'ordre de 35 milliards d'euros en 2019 avant que la décrue ne s'amorce à compter de 2020.

S'agissant des régimes complémentaires obligatoires de retraite, l'Agirc-Arrco a enregistré un déficit technique de 2,9 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,2 milliards de 2016 mais surtout en « avance » d'environ 2 milliards d'euros par rapport à la prévision d'un déficit de 5 milliards en 2017 qui figurait dans l'accord du 30 octobre 2015. Après prise en compte des résultats financiers, ce déficit est ramené à 569 millions d'euros, prélevés sur les réserves puisque les régimes complémentaires ne peuvent avoir recours à l'endettement. La réserve de financement de l'Agirc-Arcco s'établissait à 62,5 milliards d'euros à fin 2017.

J'en arrive à présent au périmètre de la LFSS. Le résultat 2017, quoique poursuivant son amélioration de ces dernières années, reste déficitaire de 5,1 milliards d'euros :

- 2,2 milliards d'euros pour le régime général ;

- et 2,9 milliards d'euros pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Il est permis de relever que ce chiffre est moins bon que la prévision que nous avons votée dans le cadre du PLFSS 2017, c'est-à-dire un déficit de 4,2 milliards d'euros. Il est en revanche, en ligne avec la prévision rectifiée du PLFSS 2018.

En allant au niveau des branches, la branche maladie affiche un déficit de 4,9 milliards d'euros, quasiment stable par rapport à 2016. Les recettes comme les dépenses ont augmenté de 3,5 %. Cela correspond pour l'essentiel à l'augmentation des cotisations en ce qui concerne les recettes. Quant à la hausse des dépenses, elle correspond, d'une part, à l'Ondam, tenu comme prévu à 2,2 %, et d'autre part à des changements de périmètre, notamment le transfert (compensé) de l'État à l'assurance maladie du financement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

De manière un peu moins marquée que lors des exercices précédents, mais de manière réelle, on relèvera (sans surprise) que la tenue de l'Ondam ne signifie pas que chacun de ses sous-objectifs a respecté son enveloppe prévisionnelle. Comme l'indique le comité d'alerte, par rapport aux objectifs initiaux, les dépenses de soins de ville sont supérieures de 0,6 milliard d'euros, tandis que les versements de l'assurance maladie aux établissements, notamment hospitaliers, sont en retrait du même montant par rapport à la prévision.

La ministre semble consciente du fait qu'avec la fragilisation financière croissante des hôpitaux, nous avons sans doute atteint les limites de ce type de régulation. Il est en tout cas indispensable que l'effort de tenue de l'Ondam soit mieux partagé à l'avenir et inclue donc une meilleure maîtrise des dépenses de ville, notamment des indemnités journalières et des frais de transport médicalisé.

L'excédent de la branche AT-MP a fortement augmenté en 2017 pour s'établir à 1,1 milliard d'euros. Les recettes ont presque connu le même dynamisme que dans les autres branches (+ 2,4 %) malgré une baisse du taux de cotisation, tandis que les dépenses de la branche ont diminué de 0,6 %.

La branche retraites est également restée excédentaire en 2017, à + 1,1 milliard d'euros. Là encore, du côté des recettes, les cotisations ont été relativement dynamiques (+ 2,5 %). En revanche, la branche a subi les effets du transfert de la fraction de la taxe sur les salaires dont elle bénéficiait en contrepartie de l'affectation intégrale de la CSSS, qui n'a pas compensé cette perte. Du côté des charges, les prestations servies ont connu une progression maîtrisée (+ 1,9 % contre 2,2 % en 2016) ; comme le souligne la commission des comptes de la sécurité sociale, les effets modérateurs des mesures de report d'âge ont été forts en 2017.

La branche famille a considérablement réduit son déficit l'année dernière, celui-ci étant passé de 1 milliard d'euros à 200 millions d'euros. On relèvera une croissance très modérée des charges (+ 0,7 %) avec, pour la troisième année consécutive, une baisse des prestations légales (- 0,2 %), en particulier des dépenses liées à la petite enfance (- 3,8 %). Dans le même temps, comme pour l'ensemble des branches, la croissance économique a stimulé les recettes (+ 2,4 %).

Le solde du FSV a été de - 2,9 milliards d'euros en 2017, après un déficit de 3,7 milliards en 2016. Cette amélioration s'explique essentiellement par l'évolution des dépenses, en assez nette diminution du fait de la réforme du financement du minimum contributif décidée dans le cadre de la LFSS 2017.

Pour conclure ce regard sur l'année 2017, observons qu'en raison de conditions d'emprunt atypiques, l'Acoss a paradoxalement affiché un résultat positif de 125 millions d'euros de gestion de trésorerie malgré une situation de trésorerie défavorable : - 23,4 milliards d'euros au 31 décembre, soit une dégradation de 6,1 milliards d'euros par rapport à l'année précédente. Le point bas de l'année s'est établi à - 32,7 milliards d'euros en septembre, soit un niveau proche de l'autorisation de découvert de 33 milliards d'euros que le Parlement avait octroyé à l'agence en LFSS 2017.

En résumé, l'exercice 2017 s'est donc traduit par une amélioration du solde de l'ensemble des régimes, hors assurance maladie, pour aboutir à une situation d'équilibre, du fait de l'inclusion (certes logique) de la Cades dans le périmètre des ASSO. Pour le reste, l'Agirc-Arrco, l'assurance chômage, le régime général et le FSV ont en fait connu une situation de moindre déficit par rapport à 2016 sans avoir encore équilibré leurs comptes (à l'exception des branches retraites et AT-MP).

Mais, vous le savez, notre exercice ne consiste pas seulement à regarder dans le rétroviseur mais aussi à tracer des perspectives d'avenir, pour l'exercice 2018 en cours et à plus long terme.

Pour 2018, vous avez sans doute lu la presse, l'optimisme semble de mise. La contribution des ASSO au solde des administrations publiques bondirait à + 0,7 % de PIB. Par la suite, nous y reviendrons, il atteindrait un plafond de 0,8 point de PIB.

Les évolutions les plus significatives de 2018 seraient les suivantes :

- l'Unédic prévoit un net repli de son déficit pour l'année en cours ; celui-ci passerait de 3,5 milliards à 1,3 milliard, avec, toujours, un dynamisme des recettes et, en parallèle, une diminution des dépenses allocataires ;

- et, de façon encore plus spectaculaire pour l'opinion publique, les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale font état d'un quasi équilibre de l'ensemble régime général + FSV, avec un déficit ramené à quelque 300 millions d'euros, toujours sous l'effet d'une forte croissance de la masse salariale. Le régime général stricto sensu serait même en excédent de 2,5 milliards d'euros. Comme l'ont titré certains journaux, le « trou » de la sécurité sociale serait-il donc en passe d'être comblé ?

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je dois vous livrer quelques éléments qui tempèrent quelque peu cet enthousiasme. Si équilibre des comptes sociaux il y a, disons qu'il s'agit d'un équilibre instable...

En premier lieu, sans remettre en cause tous les équilibres, la prévision pour 2018 de la commission des comptes inclut une compensation de l'État aux organismes de sécurité sociale de 600 millions d'euros au titre du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) dont il y a tout lieu de penser qu'elle sera supprimée dans le cadre de la LFSS 2019. Un déficit de 900 millions d'euros pour le régime général et le FSV est donc sans doute plus réaliste que les 300 millions affichés.

Ensuite, la prévision de 2018 repose sur une croissance une nouvelle fois très forte de la masse salariale, de l'ordre de 4 %. Cet objectif n'est pas inatteignable. Il est néanmoins ambitieux, d'autant que la croissance du PIB a nettement marqué le pas au premier trimestre de l'année selon l'Insee.

Ce relatif optimisme du Gouvernement sur la croissance à venir est encore plus net pour les années suivantes puisque le scénario retenu est celui d'une croissance de 1,9 % du PIB en 2019 puis 1,7 % chaque année de 2020 à 2022. Comme le relève la Cour des comptes, ce scénario repose sur l'hypothèse d'un écart entre croissance effective et croissance potentielle qui resterait durablement positif pendant six années consécutives, ce qui ne s'est jamais produit au cours des 40 dernières années.

Les hypothèses économiques sur lesquelles se fonde le redressement des comptes sociaux méritent donc d'être vérifiées, dès cette année et plus encore à moyen terme.

S'agissant des dépenses, nous avons déjà évoqué l'Ondam, pour lequel l'enjeu des années à venir est davantage celui du rééquilibrage entre sous-objectifs que sa tenue globale.

Mais des évolutions notables sont susceptibles de survenir dès 2019, année durant laquelle le traitement du financement de la dépendance et la réforme des retraites peuvent remettre en cause les équilibres connus aujourd'hui. Nous devrons alors, mes chers collègues, nous montrer très attentifs à ce que les décisions que nous prendrons ne recréent pas une situation de déficit structurel des comptes sociaux.

Enfin, vous le savez, le principal facteur de déséquilibre à moyen terme réside peut-être dans la révision annoncée des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 27 de la dernière loi de programmation des finances publiques, « Avant la fin du premier trimestre 2018, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Ce rapport détaille l'ensemble des compensations par type de mesure, en précisant s'il s'agit de compensation totale ou partielle. » Nous sommes à présent le 4 juillet, nous abordons le débat d'orientation des finances publiques et le Parlement ne dispose toujours pas de ce fameux rapport. Je considère cela comme difficilement acceptable et je ne manquerai de le faire savoir aux ministres lors de la séance publique.

Réviser périodiquement les relations financières entre l'État et la sécurité sociale n'est évidemment pas malsain. Nous le savons, celles-ci sont pour le moins complexes, pour ne pas dire illisibles.

De plus, d'un point de vue financier, reconnaissons qu'il serait étrange que, dans un scénario « rose », les organismes de sécurité sociale, ou de protection sociale au sens large, accumulent les excédents tandis que l'État continuerait, lui, d'accumuler des déficits tout en transférant des ressources financières importantes aux organismes sociaux.

Néanmoins, il nous revient, me semble-t-il, de rappeler quelques principes qui semblent ne plus être tout à fait des évidences aux yeux de tous :

- d'une part, le financement des différents régimes de protection sociale ne saurait s'aborder à des considérations uniquement budgétaires puisqu'ils correspondent chacun à des logiques différentes (assurantielles et solidaires, pour faire bref) qui devraient correspondre à des modes de financement différents (cotisations ou impôts). Les débats actuels sur le financement de l'assurance chômage illustrent d'ailleurs la confusion qui règne parfois de ce point de vue ;

- d'autre part, tant que subsiste une dette de la sécurité sociale, qu'elle soit portée par l'Acoss ou par la Cades, mais cela vaut aussi pour la dette de l'Unédic, la priorité doit être de la rembourser. Ce n'est pas parce que, depuis quelques décennies, les Français se sont habitués à ce que puisse exister un « trou » de la sécurité sociale que cette situation n'est pas profondément anormale. Au vu de la nature de ces dépenses, toute dette sociale correspond, par définition, à un transfert de nos charges aux générations à venir, ce qui ne serait pas responsable. La révision des relations financières entre l'État et la sécurité sociale ne saurait donc être acceptée que si elle permet le remboursement intégral et à l'échéance de la dette sociale, sauf à conduire la « politique des Shadoks », où on comble un trou en en creusant un autre ;

- enfin, pour les mêmes raisons, cette révision ne doit pas conduire à ce que les comptes sociaux soient tout juste à l'équilibre les années économiques fastes et en déficit les mauvaises années, ce qui conduirait inéluctablement à recreuser un « trou de la sécu » avant même d'avoir comblé le précédent. Une situation de déficit structurel de moyen terme serait tout aussi peu satisfaisante qu'une situation d'excédent structurel.

Ce n'est qu'à ces conditions, mes chers collègues, que les comptes sociaux, enfin revenus à l'équilibre, pourront passer d'un équilibre instable à l'équilibre stable que nous souhaitons tous. Il nous reviendra d'y veiller ensemble lors des débats à venir.

Je vous remercie de votre attention.

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