Comme en 2012, la tâche qui nous est dévolue est atypique. Il nous faut, en effet, examiner un projet de loi de règlement portant à la fois sur la gestion de la précédente majorité et sur celle du Gouvernement actuel. L'exercice apparaît d'autant plus inhabituel que le contexte macroéconomique a fortement évolué en cours d'année, facilitant la tâche de la nouvelle majorité.
Après quatre années décevantes, l'activité économique a fortement accéléré en 2017. Le taux de croissance du PIB a ainsi atteint 2,2 % et même 2,3 % une fois corrigé des effets calendaires, soit un niveau inédit depuis 2007. Une telle accélération de l'activité n'avait pas été anticipée : cela provient du redémarrage de l'économie en Europe et dans le monde, ainsi que du « rattrapage » des effets de la crise.
Cette croissance est due à l'investissement des entreprises de 4,4 % mais aussi à la consommation des ménages, qui a progressé de 5,6 %, dans un contexte marqué par un fort rebond de la construction et des transactions immobilières.
Le commerce extérieur, qui avait fortement pesé sur la croissance française entre 2014 et 2016, contribue positivement à cette dernière en 2017, sous l'effet de la demande mondiale et de l'extinction de facteurs exceptionnels, comme les attentats qui avaient pesé sur le tourisme ou les mauvaises récoltes, lesquelles avaient grevé les exportations françaises en 2016.
L'économie française se situe ainsi dans une phase de « rattrapage », lui permettant de croître temporairement à un rythme supérieur à sa croissance potentielle, estimée à 1,3 %.
Une loi de règlement, c'est l'équivalent d'un garde-barrière qui regarde passer les trains sans pouvoir intervenir. La question qui nous intéresse est de savoir si ce rattrapage s'achève ou non. La Commission européenne et le Gouvernement estiment que le « potentiel de rebond » de l'économie française est pratiquement épuisé. Le FMI est en revanche plus optimiste. Comme je le dis régulièrement, les économistes ont été inventés pour que les météorologistes se sentent moins seuls.
La difficulté qui se pose actuellement tient aux résultats contradictoires donnés par les indicateurs macroéconomiques et les enquêtes de conjoncture.
Par définition, l'écart de production représente la différence entre le PIB effectif et le niveau d'activité « soutenable » sur longue période sans provoquer de tensions inflationnistes. Alors que l'économie est supposée avoir épuisé son « potentiel de rebond », les indicateurs macroéconomiques traditionnels de « surchauffe » (inflation, dynamique des salaires) demeurent pourtant atones. En France, l'indice d'inflation sous-jacente est ainsi loin de sa moyenne historique et ne s'est pas du tout redressé au cours de l'exercice 2017.
Pour cette raison, différents observateurs, de la Banque centrale européenne (BCE) à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ont récemment suggéré qu'il pourrait exister une « capacité de rebond » supplémentaire. À l'aide d'une méthode alternative permettant de réconcilier les estimations de l'écart de production avec les évolutions de l'inflation sous-jacente observées depuis la crise, l'OFCE suggère même que l'écart de production pourrait être inférieur d'environ 3 points de PIB à l'estimation gouvernementale.
Si les indicateurs macroéconomiques constituent un motif d'optimisme, les enquêtes de conjoncture suggèrent à l'inverse que l'économie française pourrait avoir déjà épuisé sa « capacité de rebond » à l'issue de l'exercice 2017. En effet, les enquêtes auprès des entreprises suggèrent une hausse significative des tensions sur l'appareil productif en France. L'économie française serait ainsi confrontée à des contraintes d'offre. Une récente étude de la direction générale du Trésor visant à estimer la position de l'économie française dans le cycle suggère que l'écart de production s'élèverait à environ un point de PIB potentiel, contre -0,6 point de PIB potentiel dans le scénario gouvernemental. Autrement dit, l'économie française serait déjà pratiquement en surchauffe.
Ces incertitudes sont préjudiciables dans la mesure où elles ont des conséquences potentiellement majeures sur les perspectives de croissance et d'emploi ainsi que sur le niveau du solde structurel.
Dans le scénario de l'OFCE, l'économie française pourrait continuer à croître à un rythme de 2 % tout au long du quinquennat, le chômage descendrait en-dessous du seuil de 8 % et le déficit structurel serait déjà pratiquement nul. À l'inverse, si l'on retient le scénario de la direction générale du Trésor, la croissance française reviendrait rapidement à un rythme proche de son potentiel, soit 1,3 % environ, tandis que le chômage aurait déjà atteint son point bas.
Si le débat sur la « vitesse d'atterrissage » de l'économie française n'est pas tranché, l'embellie conjoncturelle observée l'an passé aura en tout état de cause grandement facilité le redressement des comptes publics. Le déficit public nominal s'est ainsi établi à 2,6 % du PIB à l'issue de l'exercice 2017, soit une amélioration de 0,8 point de PIB par rapport à 2016. De ce fait, la France est enfin parvenue à sortir de la procédure pour déficit excessif. Si l'on ne peut que s'en féliciter, force est de constater que l'amélioration du solde nominal tient à l'embellie conjoncturelle, et non à un effort de maîtrise de la dépense.
L'embellie conjoncturelle sur les prélèvements obligatoires, qui tient non seulement au surcroît de croissance mais également à une élasticité de 1,4, soit 20 %, est ainsi estimée à 13,7 milliards par la Cour des comptes, soit 0,6 point de PIB.
Autrement dit, en l'absence de « bonnes nouvelles » en recettes, le déficit nominal n'aurait pas été ramené en-deçà du seuil de 3 % du PIB par la majorité actuelle. Paradoxalement, la réduction du déficit structurel de 0,3 point de PIB potentiel enregistrée l'an dernier est également liée à l'embellie conjoncturelle. En effet, le mode de calcul du solde structurel ne permet pas d'exclure l'incidence de l'évolution de l'élasticité des prélèvements obligatoires.
La totalité de la réduction du déficit structurel intervenue l'an dernier s'explique par cette « composante non discrétionnaire ». Si les prélèvements obligatoires n'étaient pas si bien rentrés, le déficit structurel se serait ainsi creusé de 0,1 point.
Cette contre-performance tient au relâchement de l'effort de maîtrise de la dépense. Même corrigé des mesures exceptionnelles - en particulier le remboursement de la taxe sur les dividendes de 3 % -, le taux d'évolution de la dépense publique est supérieur à la croissance potentielle de l'économie française. Concrètement, cela signifie que l'effort de maîtrise de la dépense effectué en 2017 est insuffisant pour freiner la progression de la part de la dépense publique dans le PIB à moyen terme. Une première depuis 2012 !
Les comparaisons avec les précédents exercices confirment ce diagnostic : la croissance de la dépense publique en volume est ainsi près de deux fois plus rapide en 2017 que sur la période 2010-2016. En année électorale, on ouvre les vannes de la dépense publique, notamment en faveur des salaires.