Il y avait eu la crise de 2008...
La réduction du déficit n'a donc pas été suffisante pour amorcer le reflux de la dette publique. La France est ainsi le seul grand pays de la zone euro dont le ratio d'endettement a augmenté l'an dernier (+ 0,2 point), pour atteindre 96,8 % du PIB : c'est pour moi un élément majeur et très inquiétant. Chaque année, nous nous approchons inexorablement des 100 % du PIB. Tous les autres pays ont réduit leur endettement, mais pas la France, d'où un écart croissant avec les autres pays de la zone euro, et notamment l'Allemagne. Cette divergence est malheureusement amenée à se poursuivre, dans la mesure où le déficit public de la France (2,6 % du PIB) reste supérieur à celui du reste de la zone euro (0,4 % du PIB). À part en Espagne, cela fait longtemps que l'on ne parle plus du seuil de 3 % du PIB. Certains pays sont même en excédent primaire.
Alors que les taux d'intérêt restent pour le moment à des niveaux historiquement bas, ce qui est anesthésiant, la divergence des trajectoires d'endettement s'est déjà traduite pour la France par un surcroît de charge d'intérêt de 0,7 point de PIB par rapport à l'Allemagne. Si la France avait suivi la trajectoire de l'Allemagne, elle payerait chaque année à ses créanciers 14 milliards d'euros de moins qu'aujourd'hui : c'est deux fois le budget de la justice !
Venons-en maintenant à l'analyse par sous-secteur, en commençant par la sphère locale, que Matignon accuse de tous les maux.
En 2017, les administrations locales dégagent pour la deuxième année consécutive un excédent, de 0,8 milliard d'euros. Ce dernier s'est toutefois réduit de 2,2 milliards d'euros par rapport à 2016. Cette diminution ne traduit aucunement un relâchement de l'effort de maîtrise de la dépense des collectivités territoriales mais des recettes moins dynamiques, sous l'effet notamment de la baisse de la dotation globale de fonctionnement de 2,4 milliards d'euros. Ainsi, les recettes des administrations publiques locales progressent nettement moins rapidement, à 1,6 %, que celles des autres catégories d'administrations publiques, qui ont augmenté de 4 %. À l'inverse, les dépenses des administrations publiques locales ont évolué au même rythme que celle de l'ensemble des administrations publiques, soit 1,5 %.
La quasi-totalité de la croissance de la dépense locale s'explique par la reprise de l'investissement et la hausse des rémunérations, sous l'effet du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) et de la revalorisation du point d'indice. La reprise de l'investissement de 6 % en valeur doit à cet égard être analysée comme un rattrapage, après d'importantes chutes ces dernières années.
Venons-en maintenant à la sphère sociale. Les administrations de sécurité sociale retrouvent en 2017 un solde positif de 5 milliards d'euros, en amélioration de 7,2 milliards d'euros par rapport à 2016. Comme pour l'État, cette amélioration tient avant tout au dynamisme des recettes. Certaines réformes structurelles ont par ailleurs permis de contenir la hausse des dépenses comme les mesures de redressement prévues par l'accord interprofessionnel de 2015 et les reports d'âge des précédentes réformes des retraites. Il est néanmoins urgent de procéder à des réformes de structures pour infléchir durablement la trajectoire des dépenses sociales. Nous y reviendrons la semaine prochaine à l'occasion du débat d'orientation sur les finances publiques.
Venons-en maintenant à l'État. Premier constat : le déficit de l'État a connu une amélioration en 2017, en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale - permettant à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif. C'est une bonne nouvelle. Mais, l'analyse des chiffres oblige à formuler un deuxième constat nettement moins encourageant : cette amélioration apparente des comptes repose entièrement sur le dynamisme des recettes et sur une diminution des sommes versées par l'État à l'Union européenne et aux collectivités territoriales. Ainsi, le solde d'exécution des lois de finances ressort à -67,7 milliards d'euros en 2017 contre -69,1 milliards d'euros en 2016, soit une amélioration de 1,4 milliard d'euros. Mais la totalité de la réduction du déficit par rapport à l'exécution 2016 relève de facteurs exogènes à la gestion budgétaire du Gouvernement. Les recettes de l'État augmentent de 9 milliards d'euros, ce qui résulte de l'évolution spontanée des impôts, notamment la TVA et l'impôt sur les sociétés. La diminution des prélèvements sur recettes contribue également à améliorer le solde budgétaire de 5,3 milliards d'euros, dont 2,3 milliards au titre du prélèvement au bénéfice de l'Union européenne et 3 milliards pour le prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales.
Enfin, la création du compte de commerce « Soutien financier au commerce extérieur » à compter du 1er janvier 2017, dans le cadre du transfert des opérations de garanties publiques de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) vers l'État, s'est accompagnée du reversement par la Coface du solde du compte de gestion des procédures d'aide au commerce extérieur pour un montant total de 3,9 milliards d'euros. Il s'agit d'un mouvement purement comptable qui ne traduit pas des mesures d'économies.
Aucun de ces éléments ne relève donc de mesures d'économies en dépenses. Au contraire, les crédits des ministères augmentent de 9 milliards d'euros, hors recapitalisation du secteur énergétique. C'est donc essentiellement le dynamisme des recettes de l'État qui a permis la réduction du déficit. Cette hausse provient des recettes fiscales, qui représentent la majeure part des recettes de l'État et qui ont augmenté de 11,5 milliards d'euros par rapport à l'exercice précédent. La croissance des recettes fiscales est avant tout liée à leur évolution spontanée, qui représente 14,2 milliards d'euros. En revanche, certaines mesures nouvelles ont contribué à faire baisser les recettes, avec notamment la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et diverses mesures de transfert et de périmètre.
Avant tout, la croissance du PIB a été importante ainsi que l'élasticité des recettes fiscales qui a atteint 1,8. En outre, il y a eu une erreur de comptabilisation de droits de mutation, qui minore les recettes fiscales de 1,5 milliard d'euros en 2017 dont le Gouvernement nous a informés le 15 mai 2018. Les départements bénéficieront par conséquent en 2018 de droits d'enregistrement supplémentaires qui ne leur ont pas été versés en 2017. Le tableau de ventilation des estimations de ces sommes par département sera publié en annexe à mon rapport.
Du côté des dépenses, au contraire, le dérapage est généralisé : la quasi-totalité des missions du budget général ont vu leurs crédits augmenter en 2017. Seules quatre missions connaissent une baisse de crédits par rapport à l'exercice précédent. À périmètre courant, les dépenses de personnel du budget général augmentent de 3,7 % tandis que les contributions au CAS « Pensions » progressent de 3,6 %. Du fait de l'élection, les vannes ont été ouvertes, sans compter l'effet base de 1,3 milliard d'euros, lié aux décisions prises lors des exercices précédents. Des mesures catégorielles ont été décidées, ainsi qu'une revalorisation générale du point d'indice.
Trois politiques publiques connaissent une hausse particulièrement marquée, supérieure à un milliard d'euros : « Enseignement scolaire », « Solidarité » et « Agriculture ». La hausse des crédits de ces missions porte sur des dépenses de personnel, notamment pour l'Éducation nationale, et des crédits d'intervention, en particulier des dépenses de guichet comme la prime d'activité ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Au total, le constat est sans appel : les dépenses ne sont pas maîtrisées et l'amélioration du déficit de l'État repose entièrement sur le dynamisme des recettes et des mesures ponctuelles.
L'examen du projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget n'est pas seulement l'occasion de faire le point sur la situation des finances publiques, en particulier de celle de l'État, mais doit aussi et surtout permettre au Parlement de vérifier que la loi de finances initiale a été respectée par l'exécutif et, le cas échéant, déterminer l'ampleur et le motif d'éventuels écarts entre les plafonds de dépenses votés et la réalité de l'exécution budgétaire.
Le déficit budgétaire de l'État s'établit à 67,7 milliards d'euros en 2017, soit une diminution de 1,6 milliard d'euros. Si cet écart peut paraître relativement modéré, il recouvre en réalité des variations de grande ampleur, en recettes comme en dépenses. Les dépenses de l'État ont largement dérapé : 4,2 milliards d'euros de dépassements en crédits de paiement. Cette hausse résulte de sous budgétisations manifestes, identifiées par notre commission des finances dès l'automne 2016 et confirmées par la Cour des comptes à l'été 2017. Ainsi, la recapitalisation d'Areva a nécessité l'ouverture de 1,5 milliard d'euros dans le décret d'avance de juillet, des apurements communautaires ont été refusés pour 721 millions d'euros, des dispositifs sociaux et de gestion de crise sanitaire ont été mis en place par le ministère de l'agriculture pour 250 millions d'euros. Nous avons aussi assisté à des dérapages sur les dépenses de guichet : prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés pour 840 millions d'euros. Les surcoûts liés aux opérations extérieures et intérieurs des armées françaises ont dépassé 1,1 milliard d'euros.
Le Gouvernement issu des élections de juin 2017 a été obligé de procéder à une véritable « rebudgétisation » et il a préféré un décret d'avance à un projet de loi de finances rectificative. Des redéploiements importants ont été effectués à hauteur de 7,9 milliards d'euros, contre une moyenne annuelle de 4,6 milliards d'euros. Les décrets d'avance pris en 2017 ont ainsi été d'une ampleur inédite.
En revanche, les mesures d'économies sont restées limitées : le Gouvernement a choisi de ne pas remettre en cause la forte progression des crédits prévue en loi de finances initiale pour 2017. Un décret d'annulation a été pris en juillet mais d'un montant assez faible.
Le Gouvernement indique également avoir procédé à des mesures de ralentissement de la dépense, pour un montant total de 1,2 milliard d'euros. Il avait pourtant refusé de transmettre au Parlement une évolution tendancielle des dépenses de l'État lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. La loi de règlement 2017 est donc l'occasion d'un discret revirement de jurisprudence du Gouvernement sur ce point, sans quoi il ne pourrait pas afficher plusieurs milliards d'économies mais seulement 300 millions d'euros.
Pour conclure, le budget exécuté en 2017 a différé très significativement de la loi de finances initiale pour 2017, confirmant l'analyse de la commission des finances à l'automne 2016 selon laquelle le texte présentait des éléments d'insincérité et des biais de construction très importants. Le Gouvernement issu des élections de juin 2017 n'a pas voulu remettre en cause l'essentiel des choix budgétaires du précédent Gouvernement et il a profité de la bonne conjoncture pour faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB. Les reports de crédits ont été fortement réduits. La dette de l'État envers Pôle emploi a enfin été remboursée. Les charges à payer ont également diminué de 646 millions d'euros.
Si les restes à payer ont continué de croître, la hausse est cependant concentrée sur un petit nombre de missions, au premier rang desquelles la mission « Défense », en raison du lancement de deux grands programmes d'armement dans le milieu naval et terrestre. Au total, les reports de charges apparaissent donc contenus par rapport aux exercices précédents.
La loi de règlement est une photographie, certes sincère, mais d'un exercice budgétaire bancal, résultat de l'action de deux gouvernements successifs. Les craintes d'insincérité formulées à l'encontre du projet de loi de finances initiale et les critiques sur l'absence de maîtrise des dépenses se sont notamment concrétisées au cours de l'année 2017.
Le nouveau Gouvernement a certes pris des mesures à l'été mais il a surtout bénéficié d'un contexte économique favorable, lui permettant d'enregistrer de très bonnes nouvelles en recettes et ainsi d'obtenir des résultats plus satisfaisants que par le passé, sans réaliser de véritables réformes de structure.
Avec la révision constitutionnelle, certains disent que le Parlement devrait passer moins de temps à examiner la loi de finances et plus de temps sur l'évaluation et le contrôle. Un contrôle approfondi permettrait d'examiner plus d'éléments qu'une simple loi de règlement qui est un exercice particulier, puisqu'il n'est pas vraiment possible de l'amender. Nous en discuterons en séance. Je constate la photographie, ce qui ne signifie pas que nous approuvions la politique menée, notamment en matière d'économies attendues. Le plan « Action publique 2022 » est encore une fois reporté. Notre collègue Christine Lavarde a récemment posé une question d'actualité au Gouvernement qui montre sa déception d'avoir participé à un exercice qui ne débouche pas. Les arbitrages, s'ils ont eu lieu, n'ont pas été rendus publics. Alors que l'économie mondiale ralentit, les mesures d'économies ne pourront être une nouvelle fois repoussées. Je ne suis pas certain que 2019 connaisse la même embellie que 2017. Les chiffres décevants de la croissance en ce début d'année démontrent que nous avons peut-être déjà mangé notre pain blanc.
J'approuverai donc cette loi de règlement, même s'il s'agit d'un exercice un peu frustrant dans la mesure où nous ne pouvons pas totalement jouer notre rôle de parlementaires.