Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 10 juillet 2018 à 14h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Question préalable

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Notons la constance de l’exécutif à poursuivre et à amplifier les réformes de remise en cause des droits des salariés.

Avec les ordonnances Travail, peaufinant le dynamitage du code du travail, et la loi PACTE, donnant les pleins pouvoirs aux chefs d’entreprise et aux actionnaires, ce nouveau projet de loi, qui affiche l’ambition de sécuriser les parcours des salariés, vise un double objectif : la marchandisation de la formation professionnelle et la remise en cause des principes solidaires et universels de la sécurité sociale.

Cette politique en parfaite adéquation avec le traité de Lisbonne poursuit et amplifie ce qui a, hélas, déjà été mis en place lors du précédent quinquennat. Les discours sont toujours les mêmes : renforcer les droits des salariés, lutter contre le chômage. Dans les faits, alors qu’aucun bilan n’a été tiré, chaque loi a, au contraire, affaibli les protections et garanties collectives, chaque texte détricotant au fur et à mesure notre code du travail, sans relancer l’emploi.

C’est cette logique que nous remettons en cause aujourd’hui comme hier, d’où notre question préalable. Il s’agit non pas de critiques cosmétiques, mais de profondes remises en cause de votre politique de précarité et de flexibilité, qui appréhende les travailleuses et les travailleurs comme une main-d’œuvre corvéable à merci.

Comment comprendre autrement la casse des instances censées les représenter, les défendre ? Fusion des IRP, les instances représentatives du personnel, médecine du travail réduite comme peau de chagrin, inspection du travail n’ayant plus les moyens de remplir ses missions, justice prud’homale mise à mal, tout cela, ne l’oublions pas, dans un contexte nouveau d’inversion de la hiérarchie des normes, avec des garanties qui sont non plus collectives, mais individuelles, et abandonnées au bon vouloir des entreprises. Le champ de ce qui a été détruit est considérable.

Fallait-il pour autant en rester au statu quo ? Certes non. De l’avis de toutes et tous, le système de la formation professionnelle est complexe, opaque, avec de trop nombreux organismes, des dispositifs souvent peu lisibles pour les salariés, et des résultats somme toute limités, alors que 32 milliards d’euros y sont consacrés chaque année. Et on le sait, puisque les chiffres de la dernière enquête INSEE le montrent, la formation professionnelle renforce les inégalités sociales et culturelles. La question qui nous est donc posée est de savoir si ce projet de loi va permettre de rééquilibrer l’accès à la formation professionnelle au profit des salariés les moins qualifiés, des chômeuses et des chômeurs.

Sincèrement, au groupe CRCE, nous ne le croyons pas, bien au contraire. En effet, ce que vous avez présenté devant la commission des affaires sociales du Sénat, madame la ministre, comme une véritable révolution, c’est en réalité permettre au privé de prendre encore plus sa place, sa part de marché, tout en supprimant les intermédiaires que sont les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés.

À ce sujet, je dois vous dire, madame la ministre, que l’article 16 créant la future agence dénommée France compétences, nous inquiète particulièrement, tant sur la forme que sur le fond. Nous sentons poindre, permettez-moi l’expression, une nouvelle usine à gaz, avec remise en cause du rôle des partenaires sociaux.

Les débats et modifications apportées à l’Assemblée nationale sur la nature juridique de cette nouvelle instance nous donnent d’ailleurs raison. La sémantique est à cet égard révélatrice de votre projet, puisque vous ne parlez pas de connaissance et de qualifications, mais de compétences.

Dois-je d’ailleurs rappeler que le titre Ier de ce projet de loi s’intitule « Vers une nouvelle société de compétences » ? C’est là toute la différence entre votre approche et la nôtre : nous prônons une élévation du niveau des qualifications, la promotion d’esprits cultivés et critiques, la formation d’individus, de citoyennes et de citoyens qui s’épanouissent dans leur travail et qui ne sont pas là juste pour répondre aux besoins économiques de leur entreprise.

Vous avez une vision court-termiste et adéquationniste entre les formations proposées et les besoins locaux des entreprises, et ce afin de développer l’employabilité et la flexibilité.

L’une des mesures les plus emblématiques et significatives de votre conception est la monétisation du compte personnel de formation, qui, je le rappelle, a fait l’unanimité contre elle lors des négociations que vous avez menées.

On entre bien là dans une marchandisation à outrance des droits, mais c’est aussi significatif d’un recul en termes de droit à la formation. Cela nous interroge tout particulièrement, dans un monde où les choses évoluent vite, où de nouveaux métiers sont en train d’émerger. En quoi la mobilité professionnelle va-t-elle être encouragée avec moins de droits ? Et je ne parle même pas de la disparition du congé individuel de formation.

Peut-être pourrions-nous croire que vous misez tout sur la formation initiale, mais, là aussi, nous avons quelques doutes et critiques quant au contenu de votre projet de loi sur l’autre volet important, à savoir l’apprentissage.

Je tiens à dire d’emblée que, contrairement à certains poncifs, les parlementaires et élus communistes ne sont pas opposés à l’apprentissage, qui, nous le savons très bien, peut être une voie incontournable pour de nombreux élèves.

Ce que nous rejetons, c’est la mise sous tutelle de l’apprentissage par le patronat, c’est la formation des jeunes, là encore, non pas pour les émanciper, mais, le plus souvent, pour répondre aux seuls besoins des entreprises. La vision que nous défendons de l’apprentissage, c’est, d’une part, une complémentarité des modes et voies de formation, et non pas une mise en concurrence, et, d’autre part, la garantie d’enseignements de qualité et de droits sur le lieu de travail.

Or votre projet de loi, notamment avec son article 8, qui modifie les règles encadrant le statut de l’apprenti, est là aussi particulièrement inquiétant : allonger la durée hebdomadaire de travail effectif des jeunes travailleurs de 35 heures à 40 heures n’est pas ce que l’on peut appeler un progrès social.

De plus, votre proposition d’aligner les financements sur le nombre d’apprentis nous paraît particulièrement pernicieuse. C’est une prime aux CFA de grande dimension et un malus pour les petites structures, dont nombre risquent de fermer. Encore une fois, les inégalités territoriales et les inégalités d’accès à la formation vont augmenter.

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