Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 10 juillet 2018 à 14h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous abordons est, par son titre, particulièrement ambitieux : « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Cette volonté, madame la ministre, nous ne pouvons que la partager, tant elle fait écho à une célèbre citation de Blaise Pascal, « la chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier ».

Mais encore faut-il avoir réellement ce choix ! La France vit une situation paradoxale : elle renoue peu à peu avec la croissance, mais elle reste le seul pays d’Europe où le taux de chômage ne baisse que faiblement.

Actuellement, 1, 3 million de jeunes ne sont ni à l’école, ni à l’université, ni en apprentissage, ni en emploi. Seuls 7 % des jeunes de 16 à 25 ans sont en apprentissage, contre 15 % en moyenne chez nos voisins.

Madame la ministre, si votre texte contient des avancées intéressantes, il contient aussi de nouvelles sources de complexité ou d’imprudence que le Sénat s’est efforcé de corriger.

Je veux saluer ici le travail accompli par nos rapporteurs en commission des affaires sociales qui a permis d’aboutir à un texte plus équilibré et davantage en phase avec les réalités du terrain.

C’est la réforme de l’apprentissage qui a cristallisé le plus d’interrogations de la part de la commission.

L’objectif principal du Sénat a été de renforcer le rôle des régions dans la gouvernance de l’apprentissage. C’était indispensable, car ce sont elles qui connaissent les besoins des entreprises sur le terrain, via notamment leur partenariat avec les branches, les organisations consulaires et les lycées professionnels dans le cadre de contrats d’objectifs coconstruits.

La transversalité des métiers exige une telle approche partenariale, les branches professionnelles n’étant pas toutes organisées territorialement, ce que le Gouvernement ne semble pas vouloir prendre en considération. Les branches professionnelles sont en cours de restructuration. Peu d’entre elles sont aujourd’hui capables d’évaluer leurs besoins et de fixer le coût du contrat d’apprentissage.

Je regrette par ailleurs que le texte, en éloignant les régions de leur mission traditionnelle de financement des CFA, et en adoptant une logique de marché, avec des crédits alloués en fonction du nombre d’apprentis inscrits dans chacun des centres, mette malheureusement en danger les petites structures, notamment les CFA ruraux qu’il faudrait au contraire soutenir.

Le projet de loi devait simplifier, mais on retrouve la même complexité dans les flux de financement, faisant de cette réforme une occasion manquée.

Concernant l’apprentissage, j’évoquerai enfin une disposition introduite à l’Assemblée nationale à l’article 7, que notre commission a heureusement supprimée : il s’agissait de permettre à un médecin de ville d’effectuer la visite d’information et de prévention pour l’apprenti à la place du médecin du travail. La médecine de ville ne semblait ni demandeuse ni disponible pour un tel transfert.

Le médecin de ville n’est pas un expert des risques liés au milieu du travail. Rappelons d’ailleurs que les visites médicales pour la pratique du sport ont été supprimées récemment du fait de l’engorgement de la médecine de ville.

Il faut considérer le besoin du salarié avant tout et non chercher une mauvaise solution parce qu’il y a pénurie de médecins du travail.

Sur les autres sujets, je veux également saluer les importantes avancées issues des travaux en commission.

En matière d’assurance chômage, la commission a supprimé la possibilité offerte au Gouvernement de créer par décret à partir de 2019 un bonus-malus qui aurait modulé la contribution de chaque employeur à l’assurance chômage en fonction du nombre de fins de contrats constaté dans l’entreprise. Ce critère était trop flou et pénalisant pour de très nombreux secteurs d’activités. Pour le rendre opérationnel, il aurait fallu prévoir une longue liste d’exceptions, qui aurait abouti à un dispositif illisible et fort complexe.

En outre, l’instauration d’un bonus-malus n’aurait pas garanti une baisse de la précarité et du recours abusif aux contrats courts. Rappelons que l’expérience menée à la suite de l’accord national interprofessionnel de 2013 sur la sécurisation de l’emploi n’a pas été probante. La lutte contre les contrats courts ne doit pas conduire à dissuader les employeurs d’embaucher.

Il conviendrait de mettre en place plusieurs dispositifs simultanément pour lutter contre l’usage abusif des contrats courts, en privilégiant les mécanismes innovants proposés par les partenaires sociaux dans les branches.

En matière d’assurance chômage, l’opinion publique retiendra certainement, à la suite d’une communication bien rodée, l’ouverture des droits au chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants. Il s’agit pourtant d’une indemnisation sous condition qui restreint considérablement le champ de l’ambitieuse promesse faite par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle.

Pour les démissionnaires, il sera impératif d’avoir un projet de reconversion ou de création d’entreprise et d’avoir travaillé sans interruption pendant cinq ans au minimum. Pour les indépendants, il s’agira non pas de l’indemnisation générale, mais d’une simple allocation forfaitaire de 800 euros par mois pendant six mois, et uniquement à la suite d’un événement tel qu’une liquidation judiciaire. Mais est-ce ce que l’on retiendra ?

La réforme était coûteuse, et l’ambition du Gouvernement a donc été revue à la baisse, et nous ne pouvons que nous en étonner au regard des effets d’annonce…

La commission a adopté de nombreux amendements concernant les travailleurs handicapés, ce sujet ayant été amené trop tardivement à l’Assemblée nationale, et concomitamment aux négociations avec les partenaires sociaux. Je me réjouis particulièrement de l’adoption de l’amendement des rapporteurs visant à délivrer définitivement la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé à tout travailleur dont le handicap est irréversible, afin d’éviter de reproduire les formalités. C’est une vraie simplification.

En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, signalons la suppression du « référent harcèlement » prévu par l’Assemblée nationale au sein des entreprises d’au moins 250 salariés et au sein du comité social et économique, qui aurait été chargé de l’information et de l’accompagnement des personnes victimes de harcèlement et d’agissements sexistes.

Les mesures prises sur ce sujet doivent, dans le cadre posé par la loi, être mises en œuvre selon des modalités propres à chaque entreprise. Il n’est pas nécessaire qu’un nouveau référent vienne s’ajouter à ceux qui sont déjà prévus par la loi.

En matière de harcèlement, la responsabilité de l’employeur, parfois jusqu’au pénal, l’engage à mettre en œuvre les dispositifs nécessaires pour sécuriser chaque employé. Il n’est pas besoin d’une énième obligation.

L’examen en séance permettra d’améliorer encore la version actuelle du texte. De nombreux amendements ont été déposés. Je défendrai en particulier avec ma collègue Sophie Primas un amendement visant à sécuriser le CDD d’usage, ou d’extra, qui peut actuellement faire l’objet d’une requalification en CDI à temps complet, avec des conséquences financières importantes, voire des fermetures, pour les entreprises concernées, qui, la plupart du temps, n’ont pas d’autre option pour faire face aux fluctuations de leur activité. C’est le cas dans la branche hôtels, cafés, restaurants.

Pour conclure, mes chers collègues, nous souhaitons un texte à la hauteur des ambitions que nous portons pour notre pays. Si nous nous montrons exigeants, c’est parce que l’enjeu est important et parce que nous souhaitons que cette réforme puisse conduire dans la bonne voie toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui, attendent un avenir professionnel, en particulier les jeunes.

Ils nous jugeront sur notre engagement et sur nos résultats. Soyons au rendez-vous de leurs attentes !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion