Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 10 juillet 2018 à 14h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Article 1er

Muriel Pénicaud :

Le Gouvernement est évidemment défavorable à la suppression de l’article 1er.

Je crois utile de rappeler pourquoi la monétisation nous paraît importante.

D’abord, elle existe aujourd’hui : pour payer les organismes de formation, il arrive bien un moment où les heures se transforment en euros. Simplement, c’est dans les OPCA que cela se passe, sans que l’individu ait son mot à dire. En d’autres termes, l’individu doit trouver un financeur, un OPCA, qui accepte de transformer ses heures – un peu théoriques, il faut bien le dire – en vrais droits lui permettant d’accéder à une formation.

Les OPCA ne sont pas outillés pour recueillir les demandes de 19 millions de salariés. Concrètement, donc, dans la vie réelle – c’est, je crois, ce qui nous intéresse –, ils définissent avec les entreprises, notamment avec les grandes, qui ont des moyens de discussion plus importants avec eux, l’usage du CPF. Ainsi, dans la pratique, malgré l’instauration du CPF en heures voilà quelques années, seulement 6 % des ouvriers, 12 % des employés et 25 % des cadres, d’après une enquête récente, disent qu’ils choisissent une formation qui les concerne.

En France, nous avons réalisé un immense progrès en 1971, grâce à la loi de Jacques Delors, avec l’idée de formation tout au long de la vie. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la France était en avance.

Aujourd’hui, notre taux d’accès à la formation est parmi les plus bas de l’OCDE : un tiers seulement de nos salariés accèdent chaque année à la formation, et les salariés des petites et moyennes entreprises, comme les ouvriers et les employés, ont deux fois moins accès la formation que les cadres.

Or tout le monde aura davantage besoin de formation demain, avec l’évolution absolument massive, dont chacun d’entre vous, je crois, est conscient, des emplois, des compétences et des organisations du travail.

Le plan de formation et de développement des compétences est essentiel, et l’employeur restera responsable de l’employabilité et de l’adaptation de ses salariés à court et à moyen terme. Bien évidemment, une logique de coïnvestissement peut exister entre le salarié et l’entreprise, à titre individuel ou dans le cadre d’un accord d’entreprise ou de branche.

Ce socle qui existe, nous le conservons, mais nous lui ajoutons un droit de l’individu. Car voilà des décennies que notre droit permet l’accès à la formation en théorie, mais qu’il est inégalitaire, faute de permettre aux salariés des petites entreprises, aux ouvriers et aux employés d’accéder à la formation.

L’objectif du projet de loi n’est donc pas de supprimer ce qui existe, mais d’y ajouter un véritable droit à la disposition de chacun, ce qui me paraît très important.

Ainsi, la monétisation permettra d’abord que le droit soit réel, ce qu’aujourd’hui il n’est pas.

Elle aura aussi un autre intérêt, en termes d’égalité des chances. En effet, lorsqu’un OPCA finance des heures, figurez-vous que, en moyenne, l’heure de formation d’un ouvrier est bien moindre que l’heure de formation exécutive d’un cadre supérieur de grande entreprise. Autrement dit, le calcul en heures accroît les inégalités dans l’accès à la formation.

Le calcul en euros rétablira une égalité, puisque, en proportion, ce sont les salariés les moins qualifiés qui auront plus d’équivalents formation. D’autant que, pour ceux qui n’ont ni diplôme ni qualification, nous avons prévu un taux majoré, comme le souhaitaient les partenaires sociaux.

Un autre aspect doit, je crois, être pris en compte. Nous sommes en 2018 et, tous, nous parlons à juste titre de la transformation majeure que le numérique va introduire dans l’ensemble des organisations du travail et des métiers, dans toutes les entreprises. Comment pourrait-on croire que le monde de la formation ne sera pas lui aussi transformé ?

Au reste, cette transformation a commencé. Ainsi, une start-up française, dont je ne mentionnerai pas le nom pour ne pas faire de publicité, propose des formations diplômantes en ligne : elle a 3 millions de candidats. Comment pourrait-on dire aux jeunes d’aujourd’hui, et aux moins jeunes : la formation en ligne est interdite dans le CPF ? Or, si la formation est comptabilisée en heures, on ne peut jamais la convertir en euros.

Cette dimension de l’évolution de la formation doit aussi être prise en considération.

J’en viens à la question du coût. Aujourd’hui, une formation moyenne à Pôle emploi coûte neuf euros. Je veux dire : par personne – le formateur n’est pas payé neuf euros –, les formations étant rarement individuelles. Pour l’AFPA, le coût moyen est de douze euros, avec des taux d’accompagnement élevés et des qualifications poussées. En ce qui concerne le compte personnel de formation, pour ceux, peu nombreux, qui en bénéficient aujourd’hui – en trop petit nombre, pas assez et pas assez bien –, la moyenne est de quatorze à quinze euros.

C’est pourquoi nous avons prévu un taux de 14, 28 euros par heure – afin d’arriver au chiffre rond de 500 ou 800 euros.

Avec ce montant, il sera possible de se former à beaucoup de choses. En effet, il faut savoir que, entre 500 et 2 000 euros, on trouve toute une série de formations parmi les plus demandées, en particulier les formations au TOEIC pour l’anglais, au TOSA pour l’informatique, au CléA pour les savoirs de base et au CACES, recherché partout dans les entreprises pour la conduite d’engins de chantier ou d’usine. Les possibilités sont énormes.

Avec un droit beaucoup plus large, l’accès à la formation sera bien supérieur, ce qui permettra de réguler les coûts – ce sera l’un des rôles de France compétences – et certainement d’obtenir demain une qualité meilleure à un moindre coût.

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