En complément au questionnaire qui vous a été envoyé pour servir de trame à nos échanges, je souhaiterais connaître votre position sur la définition des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) utilisée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans la gestion des ruptures de stock et d'approvisionnement et sur la nécessité qu'il pourrait y avoir à l'élargir. J'aimerais également connaître votre appréciation des mesures de substitution prises dans certaines situations de pénurie, notamment sur les garanties de sécurité et d'efficacité qu'elles présentent pour les patients concernés. En matière de vaccination, enfin, estimez-vous que la récente extension de l'obligation vaccinale puisse avoir un effet positif sur les pénuries et que préconisez-vous en cas de rupture de stock ?
Pr Dominique Le Guludec, présidente de la HAS. - Je précise à titre liminaire que la HAS ne dispose, à rebours de l'ANSM, d'aucune compétence dans la gestion des pénuries de vaccins ou de médicaments. Nous ne disposons, en conséquence, pas d'une visibilité qualitative ou quantitative sur ces phénomènes. Nous sommes, en revanche, amenés à ajuster ou à modifier la stratégie vaccinale pour répondre à des situations de pénurie.
Pr Norbert Ifrah, président de l'INCa. - L'INCa n'intervient que lorsque l'ANSM ou le ministre de la santé demande son concours à l'occasion d'une pénurie, mais ne dispose d'aucune mission en la matière.
Pr Dominique Le Guludec. - Je n'ai aucune remarque à formuler sur la définition des MITM.
Pr Norbert Ifrah. - La définition des MITM possède naturellement une dimension évolutive car les produits comme les indications sont amenés à changer au gré des innovations : un produit plus efficace ou mieux toléré peut remplacer le précédent. Il apparaît donc nécessaire de réinterroger régulièrement la définition des MITM, comme le fait d'ailleurs l'ANSM.
Pr Dominique Le Guludec. - Lorsque nous sommes saisis d'une situation de pénurie de vaccins, nous proposons des ajustements ou des modifications de la stratégie vaccinale, voire une priorisation des populations, selon le produit en cause. Les adaptations mises en oeuvre se sont toujours révélées efficaces mais il est probable que, dans le contexte de l'extension de l'obligation vaccinale, il existe un risque supplémentaire non pas de rupture de stock mais de détérioration d'image, dans une période où il est important de regagner la confiance des Français dans les vaccins et donc d'assurer la cohérence de la stratégie vaccinale.
Il existe différentes sortes de pénuries : celles conjoncturelles, pour certains vaccins vivants, liées à un problème survenu dans un processus de fabrication complexe et ne résultant donc ni d'une stratégie des laboratoires ni de l'extension de l'obligation de vaccination ; celles qui découlent d'un désintérêt des industriels pour des vaccins anciens ou peu rémunérateurs, bien qu'ayant toujours leur place dans la stratégie vaccinale et dont les indications peuvent demeurer importantes ; celles, enfin, qui ressortent des choix commerciaux des laboratoires ou de la répartition des stocks entre pays et peuvent évoluer au gré des obligations vaccinales. Au-delà de cette typologie, je ne puis en revanche vous livrer des éléments quantitatifs sur chaque situation, même si, à mon sens, les pénuries liées à la fabrication de produit doivent être plus fréquentes.
Pr Norbert Ifrah. - Les malades en protocole de soin pour un cancer sont directement concernés par la politique vaccinale. Dans une moindre mesure, les conséquences existent également en matière de prévention. De fait, les traitements anticancéreux entrainent fréquemment une sévère immunodépression. Or, 400 000 cancers se déclarent chaque année, tandis que trois millions de Français souffrent ou ont souffert de cette maladie qui a fragilisé, parfois définitivement, leur système immunitaire. La responsabilité sociétale de l'entourage des malades ou des anciens malades, comme des personnes greffées, est donc considérable : l'obligation de vaccination relève de la morale collective. Le sujet est d'importance pour l'INCa qui défend vigoureusement la vaccination et l'absence de rupture dans la stratégie vaccinale. Je crains le jour où des malades du cancer décèderont du fait d'une épidémie de rougeole contre laquelle existe pourtant un vaccin...
Pr Dominique Le Guludec. - Je vous propose d'illustrer ma topologie des pénuries par trois exemples : la pénurie de Rouvax®, vaccin contre la rougeole administré aux nourrissons, est due à la décision du fabricant, compte tenu de l'étroitesse du marché, d'en cesser la production ; celle, conjoncturelle, des vaccins contre les infections à pneumocoque résulte d'une fabrication complexe ; celle, enfin, du vaccin contre l'hépatite B administré aux adultes ressort d'une extension des indications et, partant, d'un déséquilibre temporaire entre l'offre et la demande de produit.