De ce que j’entends, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, vous souhaitez tous le développement de l’apprentissage. Je m’en félicite, car c’est là un préalable indispensable.
Nous savons tous que l’apprentissage est une voie qui pourrait permettre à beaucoup plus de jeunes qu’aujourd’hui de s’insérer, de trouver un emploi, de réussir professionnellement. En outre, son développement pourrait permettre aux entreprises de trouver les compétences dont elles ont besoin. À l’heure actuelle, la moitié des TPE et PME affirment qu’elles ne parviennent pas à recruter. Nous devons coconstruire l’offre de compétences avec le secteur économique.
On peut admettre en toute objectivité qu’aujourd’hui le compte n’y est pas. Voilà dix ans que le nombre d’apprentis stagne. S’il s’est maintenu, c’est grâce au développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. En ce qui concerne les CAP et les baccalauréats professionnels, le nombre d’apprentis continue de diminuer régulièrement, tandis que, dans le même temps, de plus en plus de jeunes ne sont ni en emploi, ni en parcours de qualification, ni en formation.
Je rappelle ce chiffre terrible, le plus obsédant pour la ministre que je suis, celui qui m’empêche de dormir : 1, 3 million de jeunes n’arrivent pas à se projeter dans l’avenir. Pour donner un ordre d’idées, c’est l’équivalent de la métropole de Lyon !
Or l’apprentissage ne concerne aujourd’hui que 7 % des jeunes. Dans les pays qui ne connaissent pas de chômage de masse des jeunes, ce taux est de 15 % à 30 %.
Notre première responsabilité commune est de reconnaître que le système actuel n’est pas satisfaisant, puisqu’il ne permet pas aux entreprises de trouver les compétences dont elles ont besoin ni aux jeunes de se projeter dans l’avenir.
Quelles sont les raisons de cette situation ? De nombreuses explications ont été avancées à juste titre, mais, à mon sens, la première raison est que le système en vigueur est structurellement malthusien. Ce n’est la faute d’aucun des acteurs, mais l’organisation actuelle ne permet pas un véritable développement de l’apprentissage.
La France est le seul pays d’Europe à imposer, dans ce domaine, une autorisation administrative. Il est bien entendu nécessaire d’avoir une certification de la qualité, afin que n’importe quel organisme ne puisse pas prétendre intervenir dans le champ de l’apprentissage – on a évoqué un cas de cet ordre en Guadeloupe. Précisément, ce projet de loi renforce beaucoup ce contrôle. Mais il faut d’abord que les acteurs puissent aller plus loin.
Je vous l’assure, toutes les branches, toutes les entreprises affirment qu’elles se sentent non pas actrices, mais spectatrices du système actuel. Or aucun pays n’a réussi à développer l’apprentissage sans confier un rôle plus important aux branches et aux entreprises : c’est indispensable si l’on veut que, demain, les contrats d’apprentissage se multiplient.
Ce système est malthusien du fait même de son mode de financement. Je comprends qu’une région puisse être conduite à refuser l’autorisation administrative pour la création d’un CFA : pour elle, l’accorder entraînerait une dépense supplémentaire ; le budget ayant été voté, il faut préparer un budget rectificatif.
Aujourd’hui, le système est donc difficile à gérer pour les régions, qui sont tenues d’accorder la subvention d’équilibre, mais n’ont pas les moyens de développer l’apprentissage. À l’heure actuelle, même s’il trouve des entreprises, un CFA n’a aucune assurance d’obtenir un financement ; il a plutôt l’assurance de ne pas recevoir davantage d’argent… Cela conduit les centres de formation des apprentis à ne pas être des acteurs du développement de l’apprentissage. Ils sont opérateurs, ils forment les jeunes, en général plutôt bien, mais ils n’ont aucun intérêt à développer leur activité, car cela leur créerait un déficit ou aggraverait celui qu’ils ont déjà…
Avec ce projet de loi, dès qu’un jeune et une entreprise signeront un contrat, on sera sûr de pouvoir financer la section d’apprentissage correspondante. C’est bien là le verrou principal qu’il faut lever.
Par ailleurs, la liberté liée à la décentralisation est pleine et entière : les régions ont toute latitude pour mener, ou non, une politique très active en matière d’apprentissage. Il n’y a pas non plus d’obligation d’affectation des crédits – c’est le principe même de la décentralisation. Les recettes sont fléchées, mais pas les dépenses, et c’est normal.
Seulement, quand la moitié des régions décident de ne pas faire de l’apprentissage une priorité, au point que tout le produit de la taxe d’apprentissage ne sert pas à financer l’apprentissage, c’est injuste pour les jeunes de ces régions, qui aujourd’hui ont beaucoup moins de chances que d’autres d’accéder à cette voie.
Nous avons étudié les coûts au contrat supportés par les régions. Pour un CAP cuisine, dans une région, les centres de formation d’apprentis reçoivent 2 050 euros : je ne sais pas comment, avec cette somme, on peut former un jeune avec de la matière d’œuvre de qualité. La survie de ces CFA est en permanence menacée. Dans une autre région, pour la même formation, le financement est de 14 390 euros… Pour le CAP restaurant, le constat est identique : le financement varie de 1 942 à 13 738 euros.
Je vous fais grâce de bien d’autres exemples du même ordre, mais on voit que quand certains CFA ont les moyens d’assurer une formation de qualité, d’autres tentent seulement de survivre. Si nous voulons développer fortement l’apprentissage, il faut que le coût au contrat soit discuté par les branches au plan national, en tenant compte des spécificités du métier. Qui d’autre que la fédération du bâtiment sait combien coûte la formation d’un jeune à ses métiers ?
Le statu quo, donc, n’est pas satisfaisant. Pour autant, cela ne signifie pas que nous n’avons pas besoin des régions. Le projet de loi leur donne au contraire un rôle important, puisqu’elles conserveront quatre missions : l’orientation, leur rôle en la matière étant même renforcé ; l’investissement, le projet de loi ne modifiant en rien la fraction affectée de la TICPE, qui est une dotation dynamique – 180 millions d’euros l’année dernière, près de 200 millions d’euros cette année ; l’aménagement du territoire, avec 250 millions d’euros pour accompagner les politiques des régions si le coût au contrat ne suffit pas, notamment dans les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; enfin, la signature de contrats d’objectifs et de moyens avec les branches.
Certains disent que toutes les branches ne sont pas en mesure de développer l’apprentissage, mais celles qui le font déjà ou en sont capables représentent près de 90 % des effectifs de l’apprentissage. Par ailleurs, je vous invite à écouter les professionnels : ils sont très nombreux à s’être déjà engagés à développer l’apprentissage, convaincus qu’ils sont que cette réforme le permettra.
Ainsi, l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat a officiellement annoncé que, grâce à cette réforme, le nombre de places en apprentissage pourrait être augmenté de 40 %, ce qui permettra à 60 000 jeunes de plus de trouver un avenir. Le secteur de l’industrie a également annoncé une augmentation de 40 % des effectifs d’apprentis, soit 25 000 places de plus. Quant aux Compagnons du devoir, ils ont dit qu’ils pourraient doubler le nombre de places d’apprenti. Le secteur des travaux publics s’est lui aussi engagé. J’arrête là l’énumération, mais faisons confiance aux professions et aux branches ! Les chiffres que je viens d’indiquer ne proviennent pas de l’État, mais des professionnels eux-mêmes.
L’État ne récupère aucune compétence dans ce domaine. Le procès en recentralisation est donc sans fondement.
Permettez-moi de citer, pour conclure, les propos tenus par un président de conseil régional voilà quinze jours, dans le cadre des premiers états généraux de l’apprentissage de sa région : « Ce sont les premiers états généraux que j’organise dans la région, il y a de grandes chances que ce soient aussi les derniers. Pourquoi ? Simplement parce que d’autres se tiendront, avec la région comme organisateur. Vous le savez tous et toutes : une loi va arriver, qui confiera le pilotage non plus aux régions, mais aux entreprises et aux branches professionnelles. […] D’habitude, un élu, quand on lui enlève ses compétences, est le premier à râler… Pourquoi je ne râle pas ? Parce que je pense que le nouveau système peut être plus efficace. Je pense que le nouveau système, en partant du besoin des entreprises et en confiant la responsabilité aux entreprises, peut nous permettre d’avoir plus de jeunes en apprentissage, donc moins de jeunes au chômage, et des entreprises ayant plus d’emplois. Je ne veux pas prendre en otage cette réforme et l’avenir des jeunes. Voilà pourquoi la région Hauts-de-France s’engage totalement. »
Xavier Bertrand, président de région parmi les plus engagés pour l’apprentissage, ancien ministre du travail, a examiné cette réforme dans le détail et la soutient !