Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2017, pour la première fois depuis l’éclatement de la crise financière, les comptes des administrations de sécurité sociale, les ASSO, sont revenus à l’équilibre, enregistrant même un excédent de 0, 2 point de PIB. C’est une bonne nouvelle, dont nous pouvons collectivement nous réjouir.
Néanmoins, la satisfaction ne doit pas empêcher la lucidité, et porter notre regard sur l’exercice passé ne doit pas amener à occulter quelques réalités présentes.
En premier lieu, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, a enregistré un excédent de 14, 3 milliards d’euros, qui a servi à amortir la dette dont elle est porteuse. Il est tout à fait normal que l’excédent de la CADES soit pris en compte dans le solde des ASSO, les administrations de sécurité sociale. Pourtant, elle est appelée à disparaître le jour où elle aura achevé sa mission. Or, si l’on s’intéresse aux résultats des autres ASSO – les ASSO pérennes, en quelque sorte –, il apparaît que 2017 reste une année de moindre déficit – moins 7, 5 milliards d’euros, hors Fonds de réserve pour les retraites –, et n’est pas encore une année d’excédent.
Le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, affichent un solde négatif de 5, 1 milliards d’euros ; celui de l’assurance chômage est de 3, 4 milliards d’euros ; celui régime complémentaire de retraite AGIRC-ARRCO de 569 millions d’euros. On le voit, si la tendance est bonne, il est encore un peu tôt pour crier victoire.
En deuxième lieu, monsieur le ministre, l’embellie des comptes des ASSO est largement due à la forte augmentation des recettes des différentes administrations de sécurité sociale. Poussées par la bonne conjoncture économique et par l’augmentation, inattendue par son ampleur, de la masse salariale, elles ont progressé de près de 4 % l’année dernière. S’établissant à 552, 1 milliards d’euros, les prélèvements obligatoires en faveur des ASSO ont représenté 24, 1 % du PIB.
Quant à leurs dépenses, leur progression a été contenue à 2, 4 %. Dans cet ensemble, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, fixé à 2, 2 % en loi de financement de la sécurité sociale, a une nouvelle fois été respecté. Cependant, comme les années précédentes, ce constat ne se vérifie pas au niveau des sous-objectifs, la sous-exécution des établissements de santé compensant, en quelque sorte, la surexécution des soins de ville. Selon l’avis du comité d’alerte sur le respect de l’ONDAM, cette situation aurait encore empiré en 2018.
Au vu de la situation des hôpitaux, une telle trajectoire n’est plus supportable. Nous attendons donc avec impatience les annonces du Gouvernement en matière d’organisation de notre système de santé.
Après ce rapide coup d’œil dans le rétroviseur, qu’en est-il de 2018 et des années suivantes ?
En cohérence avec les prévisions contenues dans la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et avec celles du programme de stabilité 2018-2022, le rapport du Gouvernement préparatoire à notre débat annonce une « amélioration durable de l’équilibre des comptes sociaux ».
Plus précisément, l’excédent des ASSO connaîtrait une nouvelle amélioration dès cette année 2018, pour atteindre 0, 7 point de PIB. De fait, la commission des comptes de la sécurité sociale prévoit un quasi-retour à l’équilibre de l’ensemble régime général-FSV, avec un déficit ramené à 300 millions d’euros seulement. Par la suite, on le sait, un excédent de 0, 8 point de PIB est prévu jusqu’en 2022, avec un plafonnement de ce solde par l’État.
Nous serions donc enfin revenus de façon robuste et durable à l’équilibre des comptes sociaux. Pourtant, monsieur le ministre, j’ai indiqué à la commission des affaires sociales que, à ce stade, cet équilibre demeure instable, en raison notamment des quelques incertitudes d’ordre juridique qui planent sur le solde de 2018. Je pense par exemple à la question de la compensation à la sécurité sociale du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, le CITS. L’enjeu, de l’ordre de 600 millions d’euros, est de nature à empêcher les comptes du régime général et du FSV de tutoyer l’équilibre dès cette année.
Mes interrogations sont plus fondamentales et de plusieurs ordres.
Elles concernent, tout d’abord, la croissance. Madame la secrétaire d’État, vous avez parlé des prévisions macroéconomiques. Plus encore que ceux de l’État, les comptes des ASSO sont sensibles à la conjoncture : en recettes, à cause d’une forte corrélation de leur évolution avec celle de la masse salariale, et parfois en dépenses, notamment dans le cas emblématique de l’assurance chômage.
Pour 2018, nous l’avons vu, les prévisions actualisées anticipent un ralentissement de la croissance à 1, 7 %, selon l’INSEE, après les 2, 3 % de 2017, un chiffre donc assez éloigné des 2 % qui figurent dans le rapport du Gouvernement.
Surtout, pour la suite, le Gouvernement prévoit un taux de croissance de 1, 9 % en 2019, puis de 1, 7 % entre 2020 et 2022. Comme le relève la Cour des comptes, ce scénario fait le pari d’une croissance réelle supérieure à la croissance potentielle pendant six années consécutives, ce qui ne s’est jamais produit au cours des quarante dernières années. On peut donc a minima, monsieur le ministre, qualifier cette trajectoire d’optimiste.
Mes interrogations concernent ensuite les dépenses. Le taux de croissance en volume des dépenses des ASSO figurant dans la loi de programmation des finances publiques est compris, selon les années, entre 0, 1 % et 0, 9 %. Or les quelques éléments connus sont au-dessus de ces taux ambitieux : l’ONDAM doit être, selon le rapport préparatoire au présent débat, « contenu en deçà de 2, 3 % » ; les dépenses liées aux retraites devraient également monter en puissance, selon le Conseil d’orientation des retraites. Il faudra donner au coup de frein sérieux aux autres dépenses pour que la trajectoire soit tenue, mais les économies envisagées ne sont pas documentées pour le moment…
Au contraire, les annonces faites jusqu’à présent par le Gouvernement vont plutôt dans le sens d’une croissance des dépenses des ASSO, qu’il s’agisse de l’ambition affichée en matière de prise en charge de la dépendance ou encore des mesures relatives à l’indemnisation du chômage des démissionnaires et des indépendants. J’ajouterai même qu’il sera difficile de réaliser une grande réforme des retraites, avec un objectif de justice sociale, à coûts constants. Monsieur le ministre, nous sommes donc évidemment à l’écoute de vos propositions en matière de dépenses.
Enfin, et peut-être surtout, la loi de programmation des finances publiques prévoyait également la remise, avant le 31 mars, d’un rapport au Parlement sur la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale. Nous l’attendons évidemment avec impatience…
On le voit, il y a de quoi remettre en cause la trajectoire financière apparemment favorable des ASSO pour les années qui viennent. La commission des affaires sociales est donc, vous l’imaginez, monsieur le ministre, impatiente de connaître le contenu de ce rapport et les principes susceptibles de guider l’évolution des relations entre l’État et la sécurité sociale.
Si, en soi, le retour à l’équilibre des comptes sociaux en 2017 est une bonne nouvelle, de réels facteurs d’instabilité pèsent encore sur la trajectoire financière des ASSO.
Certes, il n’est pas illégitime de repenser les relations financières entre l’État et la sécurité sociale, cette dernière n’ayant pas vocation à accumuler des excédents tandis que l’État continuerait d’accumuler des déficits. Pour autant, cette révision doit se faire dans le respect de principes simples, que je souhaite rappeler.
Tout d’abord, tant que subsistera une dette de la sécurité sociale, qu’elle soit portée par l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ou par la CADES, la priorité doit être de la rembourser. Ce n’est pas parce que, depuis quelques décennies, les Français se sont habitués à l’existence d’un « trou » de la sécurité sociale qu’il faut continuer à le creuser !
Nous devons faire en sorte de conserver des comptes structurellement à l’équilibre sur le moyen terme, sauf à creuser un trou pour en boucher un autre, tels les Shadoks…