Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 12 juillet 2018 à 14h45
Liberté de choisir son avenir professionnel — Article 16

Muriel Pénicaud :

Comme c’est la première fois que l’on parle de France compétences, je voudrais expliquer de nouveau ce qui justifie sa création.

Cela fait des décennies que nous disons tous et partout que le système de formation professionnelle est extrêmement compliqué, qu’il compte beaucoup d’acteurs et qu’il ne fait l’objet d’aucune régulation globale partagée.

France compétences sera constitué par le regroupement de quatre organismes paritaires ou quadripartites – le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle, ou CNEFOP, le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, ou COPANEF, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, ou FPSPP, et la CNCP – qui, bien qu’ils soient acteurs de la formation, s’ignorent ou se chevauchent en permanence.

J’attire votre attention sur un sujet que nous avons sans cesse évoqué depuis le début de nos travaux, celui de la gestion des compétences. Nous partageons tous le sentiment que le traitement de cette question est une urgence stratégique.

Notre pays n’est pas le plus en avance en matière de gestion prévisionnelle des emplois et les compétences, tant s’en faut. Les plus petits pays ou les plus grands y arrivent mieux, parce que les acteurs ne sont pas dispersés. D’autres pays assurent une meilleure régulation, parce que les acteurs ne sont pas dispersés.

Certains proposent le statu quo. Nous devrions continuer avec nos quatre organismes nationaux – ce n’est pas d’une recentralisation qu’il s’agit –, pour assurer une meilleure gouvernance publique et une meilleure régulation entre l’État, les régions et les partenaires sociaux – syndicats et patronat –, qui ont une responsabilité dans le champ de la formation soit des demandeurs d’emploi, soit des salariés, soit des jeunes, soit de l’ensemble des publics.

Quelles sont les conséquences de l’absence de toute régulation commune, à ce jour ? Eh bien, quarante-sept ans après la loi sur la formation permanente, aucun contrôle n’est exercé sur la qualité des formations dispensées dans notre pays ! De fait, on rencontre régulièrement des problèmes, et même dans le cas de financements par des fonds mutualisés ou des fonds publics, les organismes de formation ne sont pas certifiés et il n’y a pas de régulation.

Voulez-vous que l’État assume seul cette responsabilité, sachant qu’elle ne peut revenir aux seules régions, aux seuls partenaires sociaux ? La solution, c’est une gouvernance partagée entre tous ces acteurs.

J’en viens aux missions de France compétences. Parmi celles-ci, bien évidemment, la répartition de la collecte. Au travers de l’URSSAF, on est passé de 57 collectes possibles à une seule, mais cette dernière n’a pas un rôle de répartiteur, elle est juste un collecteur, tout comme Pôle emploi : elle rétrocède le produit de la collecte à l’organisme répartiteur. France compétences assurera ce rôle de répartiteur, dans le respect de la loi, c’est-à-dire en respectant les règles de la répartition quadripartite, notamment entre les demandeurs d’emploi, l’alternance et les salariés des TPE-PME.

France compétences aura également un rôle d’observation des coûts et des règles de prise en charge en matière de formation professionnelle. Demain, grâce à cette instance, il sera possible d’avoir une vue d’ensemble sur l’utilisation qui est faite des fonds mutualisés et des fonds publics, qui financent une large part du marché de la formation. Avoir connaissance du coût de ces contrats permettra aux branches professionnelles, de façon paritaire, de proposer à France compétences de réguler les éventuelles incohérences.

Cette vue d’ensemble permettra de faire de la régulation, de formuler des recommandations, d’éclairer les débats et les travaux du Parlement – le dépôt d’un rapport annuel au Parlement est prévu. Certes, le ministère conduit des études, mais celles-ci ne sont pas exclusives du travail préalable que conduiront les quatre parties pour éclairer les propositions.

S’agissant de la qualité des actions de formation, nous mettons pour la première fois en place une certification obligatoire de tous les organismes de formation en France qui travaillent sur fonds mutualisés et fonds publics, que ceux-ci émanent de l’État, des régions, des départements et des autres collectivités locales.

C’est très important, parce que l’on compte aujourd’hui 80 000 organismes de formation ; pour 8 000 d’entre eux, la formation est l’activité principale. Les uns et les autres, nous n’avons aucun moyen d’exercer un contrôle systématique de ces organismes travaillant grâce à des fonds publics ou des fonds mutualisés. Or la certification sera une garantie de qualité et permettra de beaucoup mieux cibler les contrôles.

Aujourd’hui, le répertoire national des qualifications, en gros, est établi par l’État après consultation des partenaires sociaux – c’est ce qui se passe dans les commissions professionnelles consultatives. Désormais, pour établir le RNCP, nous aurons une vue d’ensemble.

Les régions, qui n’ont pas leur mot à dire aujourd’hui, gagnent en visibilité puisqu’elles seront autour de la table. Cela permettra aussi une gestion dynamique du répertoire national des qualifications : à ce jour, on compte quelque 12 000 qualifications ; comment peut-on envisager qu’elles soient toutes à jour et utiles, avec les diplômes et titres correspondants ? Bien évidemment qu’elles ne sont pas à jour ! C’est impossible à une telle échelle, sauf à ce que l’État devienne le seul régulateur. Or, pour ma part, je suis pour la régulation partagée.

En moyenne, deux à quatre ans sont nécessaires pour se rendre compte qu’un diplôme est plus ou moins obsolète, cinq ans en moyenne pour le rénover et ensuite deux ou trois ans avant qu’une cohorte de jeunes ne sortent de formation…

Par conséquent, les premiers diplômés le sont dix ans après que la conception de leur diplôme. Compte tenu de la vitesse à laquelle se produisent les mutations technologiques, comment voulez-vous que ces formations soient adaptées ? C’est un sujet dont devra s’occuper France compétences. Comme on le voit, il y a beaucoup à faire dans le cadre du quadripartisme.

La commission a supprimé une mission importante de France compétences, à savoir l’animation des travaux des observatoires prospectifs – ceux de France Stratégie, les travaux analytiques de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques de mon ministère, ceux des observatoires de branche.

Nous trouvons qu’il est important d’avoir une vue d’ensemble des travaux de tous ces acteurs, de manière à assurer une synergie et, surtout, à permettre cette gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui n’existe pas à ce jour et dont nous avons tant besoin. Personne n’a cette vue d’ensemble, sauf certains experts du ministère, ce qui empêche toute régulation au sens strict.

La création de France compétences nous permettra de faire un bond en avant sur la régulation, la qualité, l’offre, la prévisibilité et le pilotage des formations. Il n’y a pas une seule compétence régionale qui irait à cette instance, ce qui infirme le procès permanent en recentralisation. Ce qui est certain, c’est que l’État est aujourd’hui, sur une partie de ces sujets, plutôt seul à bord, tandis que, demain, leur gestion sera quadripartite, ce qui me paraît le gage d’une gouvernance moderne.

En ce qui concerne à présent la péréquation territoriale, qui a fait l’objet d’une question, je précise qu’il n’est pas prévu dans le projet de loi de critères de répartition. D’abord, il paraît normal que la péréquation entre régions se fasse selon des critères dont elles discuteront entre elles, notamment au sein de l’Association des régions de France, l’ARF.

Est concernée la dotation de fonctionnement pour le complément du coût au contrat, notamment en zone rurale et dans les quartiers prioritaires de la ville. En ce qui concerne la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, ressource dynamique, nous n’avons pas prévu de modifier sa règle de répartition.

S’agissant des montants, le projet de loi n’en fixe aucun : comme ceux-ci sont évolutifs dans le temps, ils seront fixés par décret. Pour le moment, nous prévoyons une enveloppe de 250 millions d’euros pour soutenir les CFA.

Dans le cadre des discussions que nous avons avec les régions, j’ai proposé à cinq d’entre elles que mon ministère mène une mission flash pour évaluer les besoins supplémentaires en fonction des coûts au contrat. Je me suis engagée à ce que ces évaluations se fassent en toute sincérité de part et d’autre. Le seul but, c’est que cela fonctionne, donc il n’y aurait aucun intérêt à minorer ou majorer ces montants de la part de l’État.

Les estimations de l’ARF ont changé au fil du temps. Nous avons eu un débat sur les deux méthodes possibles d’évaluation.

Une région a ouvert ses comptes, ce qui nous a permis d’aboutir. Pour les quatre autres régions, nous avons jusqu’à mars 2019, même si j’espère aboutir très rapidement, à la rentrée prochaine – cet exercice nécessite de la sérénité, et j’aurais voulu aller plus vite, mais cela implique de partager les comptes. Aussi, la région des Hauts-de-France estime, selon la méthode de calcul retenue, entre 12 millions d’euros et 18 millions d’euros les fonds nécessaires pour couvrir l’ensemble des déficits et lui permettre de cibler ses interventions sur les CFA des zones rurales et des quartiers prioritaires de la ville, en complément du coût au contrat.

À partir de là, nous avons fait une extrapolation, pour aboutir à un montant compris entre 180 millions d’euros et 260 millions d’euros. Il s’agit d’un ordre de grandeur. Je ne doute pas que nous nous accorderons sur un juste montant ; l’important est que l’on aboutisse en toute sincérité, notre but commun, je le répète, étant que le dispositif fonctionne.

Cette première tentative menée jusqu’à son terme dans cette région montre que nous avions retenu le bon ordre de grandeur dans nos hypothèses de départ. Des ajustements à la marge se feront si cela est nécessaire.

Évidemment, je suis défavorable au maintien de la CNCP, sans tutelle de France compétences sur ses décisions d’enregistrement. Nous avons besoin, au sein de cette instance, de cette commission indépendante compétente sur les titres et diplômes et en matière de certification.

Par ailleurs, j’indique que France compétences sera un établissement public administratif, régi selon les règles qui leur sont applicables, donc qu’elle disposera d’une comptabilité privée. Elle pourra employer des personnels détachés de l’administration, tandis que d’autres pourront être embauchés sous statut de droit privé, ce qui est assez classique dans ce type d’organisme – Pôle emploi et d’autres établissements publics administratifs. De même, elle pourra signer un accord collectif.

Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.

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