Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 9 janvier 2008 à 15h00
Service public de l'emploi — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Nous pensons que non ! La précipitation et la communication font toujours fonction de politique pour le Président de la République.

Madame la ministre, je veux vous redire en séance publique ce que je vous ai indiqué en commission : nous sommes favorables au guichet unique pour recevoir les chômeurs, indemnisés ou non, un lieu où ils peuvent rencontrer des professionnels qui traitent leur dossier administratif et leur indemnisation, qui les accompagnent dans l'accès ou le retour à l'emploi. Cela existe, vous l'avez dit, et dans un nombre plus élevé de territoires, d'ailleurs, que vous ne l'avez indiqué : on constate d'ores et déjà des regroupements entre les ASSEDIC et l'ANPE ; il y a également des maisons de l'emploi.

Je vais plus loin : nous sommes favorables à la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC.

Mais nous ne sommes pas favorables à ce projet de loi, et je vais vous indiquer pourquoi.

D'abord, je l'ai dit, le titre est une tromperie : il annonce une réforme du service public de l'emploi. La réforme semblait être l'objectif effectif après que le Président de la République avait déclaré, le 18 septembre dernier - je ne le cite pas souvent : « Nous sommes, sans doute, le seul pays où le suivi de la recherche effective d'emploi est assuré par trois institutions : l'État, l'assurance chômage et l'ANPE. Autant dire qu'elle n'est suivie par personne »

La réforme du service public de l'emploi suppose la prise en compte de l'ensemble des dimensions de ce service tel que le prévoit l'article L 311-1 du code du travail, soit le placement, l'indemnisation, l'insertion, la formation et l'accompagnement des demandeurs d'emplois.

Or, à la lecture de l'exposé des motifs, nous nous apercevons rapidement que, si le titre se veut évocateur, il n'en demeure pas moins trompeur : il s'agit non pas d'une réforme du service public de l'emploi, mais de la fusion de deux opérateurs de ce service public, l'ANPE et l'UNEDIC. Concrètement, il s'agit de la fusion des réseaux opérationnels de l'ANPE et des ASSEDIC, puisque l'UNEDIC demeure.

Si la réforme du service public de l'emploi avait été une volonté réelle du Gouvernement, la logique et la cohérence, pour ne pas dire le sérieux, auraient commandé qu'avant de réformer le cadre le Gouvernement tire un premier bilan des effets de la signature de la convention tripartite État-ANPE- UNEDIC de mai 2006, qui a permis la création de 190 guichets uniques et de 180 maisons de l'emploi, l'instauration d'un dossier unique de demandeur d'emploi, le rapprochement au sein d'un groupement d'intérêt économique, ou GIE, des services informatiques de tous les opérateurs publics de l'emploi... Cela nécessitait pour le moins une évaluation.

Il aurait également été souhaitable que le Gouvernement laisse se conclure la grande négociation sur le marché du travail, qu'il prenne en considération les travaux effectués en matière de formation professionnelle, laquelle devrait faire l'objet d'une réforme, comme ceux de la conférence tripartite sur l'emploi et le pouvoir d'achat, réunie pour la première fois le 23 octobre dernier, et qu'il s'emploie à oeuvrer pour sécuriser les parcours professionnels

Ainsi, sauf à considérer qu'il convient de modifier les outils avant même de se mettre d'accord sur le contenu d'une réelle politique de l'emploi, en d'autres termes que la lutte contre le chômage dépend uniquement de la fusion de deux opérateurs, ce sont bien toutes les dimensions du service public de l'emploi qu'il aurait été nécessaire de prendre en compte.

Ce faisant, nous aurions pu définir une politique de l'emploi cohérente et dynamique, une politique qui ne se limite pas, comme c'est le cas actuellement, à la seule et dangereuse baisse des cotisations sociales et au « travailler plus pour gagner moins ».

Compte tenu de ces observations, vous comprendrez que nous nous étonnions de la déclaration d'urgence sur ce texte, qui n'a de réforme que le nom.

Plusieurs éléments démontrent qu'il s'agit d'un faux-semblant de réforme et d'une démarche inaboutie. J'insisterai sur six points.

Le premier point concerne l'absence de dénomination de la nouvelle institution : celle-ci est simplement mentionnée dans la rédaction proposée par l'article 1er pour l'article L. 311-1 du code du travail. Certes, ce point n'est pas le plus important, mais il est symbolique du manque de précision qui caractérise ce texte.

J'ai bien entendu Mme le ministre et Mme le rapporteur ; néanmoins, je ne suis pas certaine que les administrateurs et les personnels de cette nouvelle institution tiennent à lui donner un nom ; ils auront d'autres priorités.

Même en la limitant au strict cadre de la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, la démarche engagée par le Gouvernement reste inaboutie.

Le deuxième point est relatif au devenir et à la place des autres opérateurs. Chacun sait qu'au-delà de l'ANPE et de l'UNEDIC d'autres opérateurs interviennent : l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, les services déconcentrés de l'État, les missions locales, les maisons de l'emploi, et bien d'autres encore ; nous connaissons tous, dans nos territoires, de nombreuses associations qui oeuvrent pour des publics spécifiques. Or le projet de loi n'apporte aucune précision sur la place et le rôle de la future institution, pas plus que sur la nature de ses missions ou sur les modalités d'intervention des uns et des autres. Seul l'exposé des motifs dresse rapidement une liste incomplète de réseaux avec lesquels il faudra « resserrer les liens ».

Ce manque de précision suscite de nombreuses interrogations au sein des structures qui ont signé des conventions avec l'ANPE et/ou les ASSEDIC.

Seul l'article 2 dispose qu'une convention conclue annuellement par le préfet de région et le directeur régional de la nouvelle institution précisera les conditions de collaboration entre celle-ci et les autres réseaux et intervenants du service public de l'emploi. Aucune précision n'est apportée sur l'articulation entre le champ d'action de la nouvelle institution et la dimension territoriale dans laquelle agissent ces différents réseaux.

Et lorsqu'on vous entend, madame la ministre, annoncer le gel de ces conventions au motif qu'on « n'aurait plus besoin d'elles une fois la fusion intervenue », on ne peut que s'inquiéter et, surtout, penser que vous avez mis la charrue avant les boeufs. En effet, on traite de l'outil sans répondre à la question fondamentale de ce que doit être une politique de l'emploi, tant au niveau national qu'au niveau territorial ; j'y reviendrai

De même, on peut s'interroger sur les suites qui seront données aux expérimentations réalisées par des services privés de placement, permises par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Ne va-t-on pas assister à une accentuation de la concurrence entre les organismes de placement, à une segmentation encore plus grande des demandeurs d'emploi, répartis selon leur degré d'éloignement du marché du travail, le secteur public s'occupant, avec moins de moyens, des personnes les plus en difficulté ?

Un tel flou est dommageable, voire inquiétant, et interroge sur la volonté réelle du Gouvernement. La vilaine petite musique sur les sanctions et les radiations de chômeurs en cas de deux refus successifs d'une « offre valable d'emploi » ne nous rassure pas du tout.

Le troisième point a trait à la territorialisation du nouveau dispositif.

Chacun s'accorde à dire que les problèmes de l'emploi trouvent une solution très majoritairement à l'échelon territorial. Aussi, on ne peut que s'interroger sur la place des collectivités territoriales, dont les compétences ont été fixées par le législateur : la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi pour les régions, l'insertion sociale et professionnelle des allocataires du revenu minimum d'insertion pour les départements.

Les régions ont fait part de leur position sur cette réforme, tout comme les départements. Elles s'interrogent sur l'organisation et le pilotage des multiples structures qui existent à l'échelon territorial et qui interviennent dans l'accueil, l'accompagnement et l'orientation des demandeurs d'emploi.

La création des maisons de l'emploi et de la formation, en 2005, a permis le rapprochement des équipes sur le terrain, au bénéfice du demandeur d'emploi. Parce qu'elles jouent un rôle dans la formation et dans le retour à l'emploi, les régions doivent être parties prenantes : présentes au conseil d'administration de l'ANPE, elles doivent l'être au conseil d'administration de la nouvelle institution ; nous avons d'ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens.

En outre, comme le demandent les régions, pourquoi la loi n'autoriserait-elle pas celles qui le souhaitent à élaborer, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, après concertation avec l'État, les collectivités locales et leurs groupements, les organismes du service public de l'emploi et les partenaires sociaux, un schéma régional de l'emploi opposable aux différents partenaires ?

Cette proposition de redéfinition de la gouvernance territoriale s'inscrit dans une logique d'amélioration de la cohérence et de la coordination des outils dévolus à l'emploi.

Le quatrième point concerne la question du financement.

S'agissant de la dimension financière de la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC, le préalable consiste à garantir que les fonds destinés à l'indemnisation des chômeurs et collectés auprès des entreprises et des salariés seront « fléchés » vers les demandeurs d'emploi.

Le fait que l'assurance chômage ait enregistré en 2007 un excédent de 3, 5 milliards d'euros, lequel devrait atteindre 5 milliards d'euros cette année, ne doit pas être l'occasion pour l'État, qui ne cesse de creuser les déficits, de se servir de ces fonds afin de se désendetter un peu. Car la tentation est sans doute grande de se servir de cette manne, d'autant que le budget pour 2008 a été bâti sur des hypothèses de croissance particulièrement déraisonnables et que la protection sociale s'inscrit dans une « dynamique » déficitaire qui devrait la conduire à un déficit cumulé de plusieurs dizaines de milliards d'euros à l'horizon 2012.

Au-delà de la volonté affichée de mettre ce texte au service des demandeurs d'emploi, la question relative au traitement comptable de ce dossier mérite d'être posée. En effet, l'article 3 dispose qu'au moins 10 % des cotisations d'assurance chômage sont « fléchées » pour financer la nouvelle structure. Or le surplus que représente cette masse budgétaire n'est pas pris en charge par le budget de l'État. Dans les faits, cela signifie donc un désengagement de l'État à l'endroit du service public de l'emploi.

Si le nouvel article L. 311-7-5 prévoit que le budget de l'institution comporte trois sections non fongibles - « assurance chômage », « solidarité » et « fonctionnement, intervention et investissement » -, la part de l'État n'est pas précisée.

Partant, des interrogations se posent quant aux dispositifs d'indemnisation et à leur non-fongibilité. En outre, si, comme le souhaite la présidente de l'UNEDIC, les cotisations restent acquises uniquement aux demandeurs d'emploi indemnisés, ce ne sont que 50 % des chômeurs qui sont concernés. Quid du devenir de la solidarité nationale envers les autres ?

Cette question revêt une dimension capitale quand on sait que les 426 100 décisions de radiation prises au cours de l'année 2006 ont été deux fois plus nombreuses qu'en 2002 et cinq fois plus qu'en 1996.

S'y ajoute la question de la traduction de la mobilité géographique des demandeurs d'emploi, telle qu'elle est mentionnée au 2° du nouvel article L. 311-7. Deviendra-t-elle un motif supplémentaire de radiation en cas de non-respect ? Les récentes déclarations du Président de la République peuvent nous inciter à le penser. Ne risque-t-on pas de voir les publics les plus en difficulté orientés vers les collectivités locales, en particulier les conseils généraux, notamment au travers de la montée en charge du revenu de solidarité active, le RSA ?

Enfin, comment ne pas prendre en considération la volonté du MEDEF de gérer la politique de l'emploi dès lors que sa position au sein de la nouvelle instance est renforcée par la mise en place d'une majorité de gestion, consacrée par l'alliance entre l'État et les employeurs ?

Le cinquième point est relatif au devenir des personnels.

Le projet de loi précise qu'à l'horizon 2012 l'URSSAF assurera le recouvrement des cotisations d'assurance chômage. La disparition annoncée de ce service des ASSEDIC concerne 1 800 salariés, dont l'activité devra connaître une nécessaire évolution vers les demandeurs d'emploi ou vers les entreprises.

La grève du 27 novembre dernier a mobilisé près de 70 % du personnel, lequel recourt très rarement à ce genre d'action. Les mots d'ordre centrés sur le recouvrement et les garanties concernant la convention collective démontrent combien les personnels sont inquiets face aux risques de dégradation de leurs conditions de travail, mais aussi de remise en cause de leurs acquis sociaux.

Pour la réussite de l'opération, il est indispensable que le personnel soit associé, et non pas contraint.

En outre, rien n'est précisé quant à la prise en compte de l'impact budgétaire du nouveau statut.

Ainsi, dans la mesure où c'est la nature juridique de l'employeur qui détermine l'affiliation aux régimes complémentaires, les agents de l'ANPE pourraient, en raison de leur transfert vers une institution nationale, qui, selon l'article 2, « est soumise en matière de gestion financière et comptable aux règles applicables aux entreprises industrielles et commerciales », être affiliés à l'ARRCO et à l'AGIRC.

D'ailleurs, les représentants de l'IRCANTEC, que nous avons reçus sur l'initiative de Mme la rapporteur, nous ont fait part de l'inquiétude des agents de l'ANPE quant à la perspective d'être affiliés à l'ARRCO et à l'AGIRC. De fait, il y aura des conséquences directes non seulement sur le taux de cotisation, mais aussi sur le niveau des pensions. Dans un contexte de dégradation constante du pouvoir d'achat et de remise en cause des périodes de cotisations retraite, cette inquiétude est légitime.

En tout état de cause, les incertitudes qui pèsent sur le statut des personnels ne sont pas de nature à permettre aux professionnels de vivre cette fusion dans la sérénité. Ces derniers jours, j'ai ressenti une crispation de la part des personnels de l'ANPE et des ASSEDIC.

Le sixième point a trait à la question immobilière.

L'article 2 prévoit, par l'insertion d'un article L. 311-7-11 dans le code du travail, que les biens immobiliers détenus par l'UNEDIC et par les ASSEDIC, lesquelles sont régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, relèvent du domaine privé. L'article 7 dispose que ces biens sont mis à disposition de la nouvelle institution dès sa création.

Lorsque les ASSEDIC vont se dissoudre pour intégrer le nouvel opérateur, le transfert ne pourra s'effectuer que vers une association ayant le même objet, soit l'UNEDIC. Dans ce cadre, il est essentiel que les procédures mais aussi les intérêts patrimoniaux concernés soient scrupuleusement respectés. Tel est le sens de la délibération adoptée par le conseil d'administration de l'UNEDIC le 29 novembre dernier. Or la rédaction proposée dans le projet de loi ne le garantit pas.

Cette question est d'autant plus importante que, si l'on en croit la presse, le nombre d'antennes passerait de 1 600 à 1 200 et la carte des nouvelles implantations serait d'ores et déjà en cours d'élaboration, voire finalisée. Madame la ministre, j'espère que vous nous rassurerez sur ce point.

En conclusion, nous pensons que ce texte ne constitue en rien une réforme et qu'il ne peut constituer une solution de rechange à une politique de l'emploi dynamique et rénovée qui prendrait en considération l'ensemble des éléments permettant de lutter contre le chômage. Une telle politique fait défaut à notre pays. Je pense particulièrement aux jeunes, notamment à ceux qui sont victimes de discriminations dans l'accès à l'emploi ; je pense aussi aux travailleurs séniors qui, comme me l'ont rapporté des associations, se trouvent écartés des entreprises dès 45 ans ; et je pense à bien d'autres encore.

Ce texte se singularise par des manques, des incohérences, voire des contradictions, sources d'inquiétudes légitimes pour les acteurs de l'emploi et les personnels concernés par la fusion.

Ce projet de loi hâtif, voulu par le Président de la République, réforme pour parler et communiquer, n'apporte pas de vraie réponse en matière de politique de l'emploi.

Alors qu'un nouveau rapport de l'Inspection générale des affaires sociales devrait paraître à la fin de janvier, qu'un nouveau contrat de travail est en discussion, qu'une réforme du marché du travail est en négociation, que la sécurisation des parcours professionnels fait l'objet d'un débat, que doit être réformée la formation professionnelle et qu'un rapport est attendu sur les maisons de l'emploi, décidément, rien ne justifiait une telle précipitation dans la présentation et le vote de ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion