Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les bonnes résolutions sont de saison, comme les réformes. L'urgence semble être un mode cher au Gouvernement et, par voie de conséquence, l'une des obligations du Parlement « nouvelle tendance ».
La réforme du service public de l'emploi, vaste sujet qui mérite toute notre attention et une mobilisation de tous les instants, n'y coupe pas. Ce texte, initialement programmé à l'Assemblée nationale, a été transféré au Sénat dans la hâte. Saura-t-on jamais la raison d'une telle précipitation ?
Certes, il est urgent de résorber le chômage. Depuis le temps qu'on y travaille, on s'étonne que l'urgence n'ait pas été déclarée plus tôt pour cette idée d'une fusion ASSEDIC-ANPE, qui n'est pas une nouveauté, n'en déplaise à notre Président qui n'est pas avare d'idées neuves ! Elle date de 1984 ; elle est ressortie des cartons en 1990, a réapparu en 2007 à l'Assemblée nationale et, enfin, cette année, elle est soumise au Sénat.
Les raisons de cet historique laborieux ne sont pas le sujet. Et, puisque nous y sommes conviés, nous pratiquerons l'ouverture - au moins d'esprit - en nous interrogeant sur la contribution réelle de ce projet à l'amélioration de la situation des demandeurs d'emploi et sur la réalité de l'efficience des transformations en matière de politiques sociale et de l'emploi.
Dès lors, l'urgence ne nous sert pas, mais nous ne sommes pas à une contradiction près !
Malgré la célérité vertigineuse des auditions préalables à l'examen de ce texte, son contenu appelle un certain nombre de remarques dont il nous faudra tenir compte ici, afin de ne pas installer une entité nouvelle qui soit ingérable. Pour ce faire, il nous faut prendre le temps d'opérer quelques rappels.
La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, notamment son article 1er, définit parfaitement le rôle et les missions du service public de l'emploi et sa déclinaison sur le territoire, prévoyant des modalités de coordination des actions respectives des différents intervenants, notamment l'ANPE et les ASSEDIC. De nombreux rapprochements ont déjà eu lieu et les deux organismes ont adopté le dossier unique du demandeur d'emploi. Alors, pourquoi envisager aujourd'hui une fusion dans l'urgence ?
De même, le plan de cohésion sociale a favorisé les créations des maisons de l'emploi, dans l'objectif de rapprocher le service public de l'emploi - ANPE, ASSEDIC - et les multiples partenaires que sont les missions locales, l'AFPA, les chambres consulaires, les organismes de développement économique, les structures d'insertion professionnelle, etc. Or, sans tenir compte de ce qui a été réalisé, vous introduisez de façon prématurée votre projet de loi alors même qu'une évaluation de ces maisons de l'emploi était programmée.
Parallèlement, un certain nombre d'élus qui s'étaient investis s'interrogent sur le devenir de ces maisons. Rappelons-nous que vous venez de geler leur conventionnement, alors que le territoire n'est pas totalement couvert et qu'elles n'ont pas encore été évaluées.
Elles ont pourtant une mission de diagnostic sur les territoires, d'observation, d'anticipation et d'adaptation des différentes mutations économiques. Elles ont développé un partenariat, une complémentarité, une mutualisation des ressources qui contribuent à optimiser leurs actions. Leurs autres missions correspondent bien à la structuration de l'offre d'emploi, au rapprochement et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi jusqu'à leur insertion. Alors, pourquoi casser un outil qui commençait à se développer et à devenir réellement un guichet unique ?
Durant la dernière législature, de nombreuses modifications sont déjà intervenues dans le champ de la gestion des demandeurs d'emploi : création de 220 guichets uniques dans lesquels l'inscription peut être réalisée par un conseiller ANPE ou ASSEDIC ; adoption d'un dossier électronique unique résumant les parcours du demandeur d'emploi, dossier accessible à tous les organismes publics et privés participant à l'accompagnement des demandeurs d'emploi ; mise en place, en 2007, d'un GIE pour intégrer les services informatiques... Toutes ces avancées sont balayées d'un revers de main sans même avoir été évaluées.
Ce rappel préliminaire me permet d'introduire une analyse plus avancée du contenu de ce projet de loi. Les remarques que le texte appelle resteront dans le ton.
Comme vous nous l'avez annoncé le 10 décembre dernier, le projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi que vous présentez a pour ambition de réduire le chômage, d'augmenter la croissance et l'emploi. Afin d'atteindre ces objectifs, vous envisagez la fusion de l'ANPE avec les ASSEDIC.
Si nous approuvons la création d'un guichet unique devant faciliter les démarches des usagers - demandeurs d'emploi et entreprises -, nous ne voyons pas en quoi la création de cette nouvelle institution contribuera à l'augmentation de la croissance.
Nous redoutons également que la vision strictement budgétaire, dans un souci de rationalisation des coûts du chômage en France, ne revienne à une centralisation de la politique de l'emploi autour de Bercy, au détriment des actions locales, qui sont souvent plus adaptées aux réalités des territoires que l'idée que l'on s'en fait à Paris.
Par ailleurs, la très louable rationalisation des dépenses sociales ne doit pas faire dépendre la politique sociale de choix économiques dont les chômeurs, pas plus que les travailleurs, ne sont responsables.
À ce titre, nous nous inquiétons aussi du fait que la reprise en main par l'État du financement et de l'attribution des allocations de chômage ainsi que du contrôle et du placement des demandeurs d'emploi via la fusion des deux instances n'ait pas fait l'objet d'une ligne budgétaire spécifique dans le projet de loi de finances pour 2008.
En effet, le budget de 2008 ne prévoit rien, si ce n'est 89, 2 millions d'euros pour financer le fonctionnement des maisons de l'emploi et 8, 8 millions d'euros pour investir dans trente-six maisons de l'emploi en cours de conventionnement.
Certes, la fusion ANPE-ASSEDIC devrait permettre de réaliser une économie telle que la subvention de l'État passerait de 1, 36 milliard d'euros à 1, 31 milliard d'euros. Mais le coût total de l'opération a été évalué par le rapport Marimbert à 300 millions d'euros. L'économie ne suffira donc pas. Qui donc y pourvoira ? Comptez-vous sur les réserves de l'UNEDIC ?
À moins que votre objectif ne soit l'économie pour elle-même, non pas comme un moyen mais comme une fin en soi. Ce serait dramatique pour la politique de l'emploi, mais se situerait néanmoins dans la droite ligne des réductions de crédits pour 2008 concernant notamment les contrats aidés, l'insertion par l'activité, l'insertion professionnelle des jeunes et, plus généralement, de la diminution du budget dans tous les secteurs, à l'exception des exonérations de cotisations sociales patronales, notamment dans la branche dite HCR, à savoir les hôtels, les cafés et les restaurants !
Le statut juridique de cette nouvelle entité n'est, en outre, pas clairement défini ni explicité. Vous évoquez une « institution nationale nouvelle ». Est-ce un établissement privé assurant des missions de service public, avec des salariés soumis au code du travail et à une gestion comptable et financière conforme aux règles applicables aux entreprises industrielles et commerciales, ou est-ce un établissement public à caractère industriel et commercial, de type EPIC ?
La question de la gouvernance est également posée dans le texte qui nous est soumis. Et ce n'est pas anodin !
J'ai évoqué une « reprise en main par l'État ». Or, la rationalisation des dépenses justifie-t-elle une centralisation et si oui, en quels termes ? Qui dirigera l'institution née de la fusion ?
Ce texte contient de grandes similitudes entre le mode de gouvernance proposé pour la future entité et ce qui a été réalisé pour l'assurance maladie : un directeur général nommé par le Gouvernement et disposant de tous les pouvoirs ainsi qu'un conseil d'administration paritaire réduit à la portion congrue. On notera en passant que le paritarisme est organisé ici de telle sorte que les représentants de l'État, des personnalités qualifiées et du patronat constituent toujours une majorité. En somme, pour les orientations et la gestion de la politique de l'emploi en France, le paritarisme n'est plus de mise !
Par ailleurs, si nous sommes renseignés sur la gouvernance à l'échelle nationale, il n'en est pas de même pour les instances régionales, qui n'associent pas les collectivités territoriales pourtant compétentes sur certains segments de la politique de l'emploi. Je pense notamment aux conseils régionaux pour la formation, aux conseils généraux pour le RMA et l'insertion, et aux collectivités locales pour la gestion des maisons de l'emploi.
Le fait de laisser les collectivités territoriales de côté, alors même qu'on leur demande de façon prévisionnelle de financer certaines prestations qui pourront être rendues par la nouvelle institution, laisse présager qu'elles devront gérer les populations les plus éloignées de l'emploi, via le RSA notamment, tandis que la gestion de la main-d'oeuvre qualifiée sera recentrée.
En conséquence, on s'interroge autant sur la couverture territoriale que sur les incidences pour les personnels. La gestion du personnel de chaque entité locale, avec deux cultures professionnelles différentes et un responsable issu de l'une ou de l'autre institution, ne sera réalisable que si elle est préparée dans un temps nécessaire et suffisant à la formation et à l'adaptation de ces personnels.
De quelle gestion des doublons prévisibles, notamment dans les effectifs des cadres, s'accompagnera le redéploiement des personnels ? Le suivi renforcé des demandeurs d'emploi nécessiterait au minimum 4 500 agents pour passer de la gestion de 60 à 30 demandeurs d'emploi par agent. Actuellement, nous sommes plus proches des 120 à 150 personnes par agent. La formation de ces agents n'a pas été prévue dans le budget pour 2008.
Quant au statut de droit public ou privé - 28 000 agents publics ANPE et 14 000 salariés de droit privé ASSEDIC -, le projet de loi prévoit le maintien de l'existant pour les salariés actuels et une nouvelle convention collective pour les nouveaux entrants. Outre la disparition d'une nouvelle catégorie d'agents publics, le renouvellement des CDD de nombreux salariés de l'ANPE est gelé. Même si la future convention collective devra être conforme aux prescriptions de l'OIT en matière de garanties déontologiques, les personnels de droit privé seront, de fait, plus vulnérables. Il s'agit bien là d'une nouvelle réduction d'effectifs de la fonction publique, sous couvert de fusion !
De même, de quelle gestion « immobilière » s'accompagnera la réforme ? Si je me réfère à ce qu'ont dit les précédents orateurs, j'ai vraiment l'impression de me répéter ... En fait, cela pose autant la question de la desserte territoriale que de l'accessibilité des services pour les demandeurs d'emploi résidant en zone rurale.
Pour ces questions très pragmatiques, il n'y pas trace de la moindre anticipation. Comme l'écrit Mme Annie Thomas, présidente de l'UNEDIC, dans Le Monde d'aujourd'hui : « on a construit l'outil avant de définir ses missions » !
J'en viens précisément aux missions.
Les récentes déclarations du Président de la République en matière de sanctions à l'égard des chômeurs récidivistes du rejet d'offres d'emploi « acceptables » apportent un éclairage nouveau sur les missions de la nouvelle entité. Elles confirment également les intentions déjà très claires du patronat dans ce dossier et son implication dans la négociation sur le contrat de travail et l'indemnisation des chômeurs.
Surveiller et punir, mais de façon unilatérale, bien sûr ! Une sorte de tri sélectif est une formule plus élégante, mais qui, prise au pied de la lettre, n'en est pas moins effrayante.
Je ne doute pas que mes collègues de l'opposition seront soutenus par les membres les plus éclairés de la majorité pour relever le caractère inique et détestable de cet état d'esprit lors des débats qui suivront. J'ose espérer qu'il apparaîtra à tous que cet état d'esprit n'est pas tourné vers les chômeurs, qu'il n'a pas l'intention de les soulager, ni de mieux les accompagner, malgré ce qui est dit.
La traque aux prétendus profiteurs - combien sont-ils au fait, le sait-on vraiment ou s'agit-il encore d'un chiffon rouge que l'on agite ? - est un volet très restrictif d'une politique de civilisation. Je laisse le soin à mes collègues de ne pas laisser passer les articles qui instaureraient insidieusement cette conception suspicieuse de la politique sociale. La mission de l'entité qui pourrait naître devrait être exclusivement de former, de qualifier, d'accompagner et d'insérer ceux que l'économie n'a pas favorisés ou laisse de côté. Cependant, le projet de loi reste évasif à ce sujet, de même que sur les articulations avec les autres partenaires de l'emploi et de la formation.
La planification de la mise en oeuvre des différentes actions n'est pas indiquée, excepté pour le recouvrement des contributions d'assurance chômage qu'il est prévu de confier aux URSSAF en 2012. C'est le second volet de la réforme. L'URSSAF, l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, sera également conduite à recouvrer les cotisations chômage ...
Le présent projet de loi participe donc d'un mécanisme double.
D'une part, il vise à trier les demandeurs d'emploi en fonction de leur employabilité et donc du « risque » financier qu'ils représentent dans le sens d'une gestion rationalisée de l'assurance chômage. Celle-ci redevient, au sens strict, une assurance avec une mutualisation des risques calculés au plus juste. À moyen terme, n'est pas exclue la présence de sociétés d'assurances privées contre cet accident de la vie qu'est le chômage.
D'autre part, il tend à constituer un système global de protection sociale minimale - panier de soins réduit de l'assurance maladie, retraites de base et complémentaires non revalorisées - dans lequel entrera la protection contre le chômage pour les moins bien insérés professionnellement, le financement de cette protection de base, par définition non rentable, étant abandonné à la solidarité nationale.
La faiblesse et la division des représentants du monde salarié, la détermination du MEDEF et le besoin d'argent de l'État se conjuguent, dans la période actuelle, pour composer un angle de tir dont le Gouvernement entend profiter afin de mener à bien ce dossier, en prenant de vitesse de possibles mouvements sociaux.
Ce projet de loi ne semble pas destiné à aider les demandeurs d'emploi à trouver un emploi stable et de qualité. Il s'agit à nouveau d'un traitement statistique du chômage, à moindre coût, qui risque fort d'aboutir dans le contexte actuel à remplacer, pour les personnes concernées, le chômage par la précarité, à accepter n'importe quel emploi, dans n'importe quelles conditions et à n'importe quel salaire.
En conclusion, nous avancerons donc qu'une politique de l'emploi ne peut pas être circonstancielle. Elle doit s'inscrire dans le temps et dans une raison d'être qui conjugue efficacité économique, justice sociale et dignité humaine.
Nous terminerons par une citation de Lamartine extraite de l'article « la société industrielle », inséré au Bien Public de 1844 : « ...société en commandite, où les travailleurs ne sont que des rouages à user et à dépenser au plus bas prix possible, où tout se résout par perte ou gain au bas d'une colonne de chiffres, sans considérer que ces quantités sont des hommes, que ces rouages sont des intelligences, que ces chiffres sont la vie, la moralité, la sueur, le corps (...) de millions d'êtres (...) ».