Intervention de Guy Fischer

Réunion du 9 janvier 2008 à 21h45
Service public de l'emploi — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce nouveau projet de loi, à n'en pas douter, fera le bonheur du MEDEF, des libéraux et de celles et de ceux qui, dans vos rangs, attendent, depuis des années, la fin du dernier monopole d'État encore existant, celui de l'indemnisation des demandeurs d'emplois.

En adoptant ce projet de loi, vous rajouterez une pierre à votre vaste édifice de démantèlement du service public de l'emploi. Et si je dis qu'il s'agit là d'une pierre de plus et non du parachèvement de votre projet, c'est que je mesure justement tout le chemin que vous avez accompli et les dernières étapes qu'il vous reste à franchir pour offrir - « enfin ! », dirais-je - tout le service public de l'emploi au privé en général.

Une dernière étape reste à franchir, celle du désengagement total de l'État. Il ne saurait tarder.

Ce projet de loi n'est qu'un stratagème qui vise à jouer la montre et à habituer progressivement, contre leur gré, les agents de feu le service public de l'emploi et les chômeurs à la mainmise du secteur privé.

Voilà quelle est notre analyse, voilà la direction que vous voulez prendre, à la grande satisfaction de Mme Parisot.

Au cours de ces dernières années, votre majorité a organisé la privatisation « rampante » de la mission de placement, pour aboutir aujourd'hui, si votre projet de loi était adopté, à la création d'une structure unique, totalement privée, chargée à la fois de l'accueil, de l'inscription, du placement, de l'indemnisation, du contrôle et de la sanction.

Demain, comme vous l'avez fait en matière de santé, comme vous voulez le faire en matière de dépendance, nous assisterons à la privatisation totale et complète du placement et de l'indemnisation - bien sûr, cela se fera progressivement, en quatre ou cinq ans peut-être. Il appartiendra aux sociétés privée, aux grands majors de l'intérim comme Adecco ou Manpower, d'organiser le placement des demandeurs d'emploi, en prenant bien soin de respecter les attentes du patronat. Les chômeurs eux-mêmes seront invités, bien entendu, à se plier à des contraintes qu'ils ne connaissaient pas auparavant.

Madame la ministre, vous avez évoqué les craintes suscitées par les transferts de compétences, notamment pour le recouvrement des cotisations qui sera assuré par les URSSAF. Sans empiéter sur la discussion des articles, je dirai que ce transfert est la preuve de la fiscalisation des risques sociaux que nous dénonçons.

Pourquoi devrions-nous débattre ici d'un projet de loi qui n'est qu'une manoeuvre visant à dissimuler un projet plus grave encore et à faire croire aux Français, comme vous l'avez fait avec la sécurité sociale en la privant d'une partie de ses ressources, qu'il n'y a pas d'autres choix possibles qu'une anti-réforme de plus ? C'est la raison pour laquelle je vous demanderai, à la fin de mon intervention, d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. Auparavant, il m'apparaît important de vous apporter, dans les faits, la preuve - ou, tout du moins, des éléments de preuve - de ce que j'ai dénoncé plus haut.

Souvenez-vous de l'adoption de la loi appelée, non sans ironie, loi de programmation « pour la cohésion sociale » ; M. Gérard Larcher, qui a défendu ce projet de loi lorsqu'il était ministre, est présent ce soir. Selon nous, ce texte entamait déjà le monopole du service public de l'emploi, en précisant - nous nous y étions d'ailleurs opposés - que les associations, les sociétés d'intérim et les entreprises privées de placement comme Maatwerk - d'ailleurs fermée depuis - contribuaient au service public de l'emploi. Dès cette époque, à notre sens, vous avez tout simplement fait entrer le loup dans la bergerie, quitte à dire aujourd'hui que les opérateurs ou les composantes du service public de l'emploi sont trop diversifiés, voire trop nombreux.

Dans les départements où la droite est au pouvoir, vous avez fait le choix idéologique d'expérimenter et de recourir régulièrement à ces sociétés de placement. Je ne prendrai qu'un exemple, celui des Hauts-de-Seine, où le président de l'exécutif départemental n'était autre que M. Sarkozy. Alors qu'il ne cachait rien de ses ambitions présidentielles, il affirmait lui-même vouloir faire de ce département un laboratoire d'essai. En fait d'essai, le recours aux sociétés privées de placements est plutôt synonyme d'échec ! Ainsi, pour l'année 2007, la majorité UMP-UDF du conseil général des Hauts-de-Seine a versé 6, 8 millions d'euros à une société de placement, Ingeus, pour ne pas la citer. Mais pour quels résultats ? En 2007, à l'issue de la dernière session de formation et de placement, organisée en faveur de vingt jeunes cadres demandeurs d'emplois, seuls quatre d'entre eux ont signé un contrat à durée indéterminée et trois, un contrat à durée déterminée ; les treize autres n'ont rien obtenu. Les contribuables des Hauts-de-Seine auront pourtant déboursé 38 460 euros, pour un résultat, vous en conviendrez, bien mitigé. Tel est le choix idéologique et dogmatique que vous avez fait : privilégier le privé, même inefficace, contre le service public de l'emploi.

Vous qui nous parlez souvent, dans cet hémicycle et dans les médias, de mesures de « bon sens » ou bien de mesures « utiles », vous ne pouvez plus le faire aujourd'hui car, ne vous en déplaise, ce n'est pas le recours à des sociétés de placement qui résoudra le problème du chômage, ni même votre fusion de l'ANPE et des ASSEDIC.

Seule une tout autre politique de l'emploi permettra de diminuer le nombre de demandeurs d'emploi, avec une loi qui reviendrait sur le PARE, sur la privatisation de l'ANPE, sur les trappes à bas salaires, sur les contrats précaires, dont il faudrait que nous discutions. Mais vous ne voulez pas d'une telle loi ! En effet, elle supposerait de revenir sur les exonérations de cotisations sociales octroyées au patronat et d'en finir avec les contrats précaires en renforçant le contrat à durée indéterminée. Mais surtout, elle mettrait un terme à vos politiques libérales, qui ont eu pour seul effet de culpabiliser les sans-emploi, de créer la suspicion, d'exclure un certain nombre d'entre eux des mécanismes de solidarité ou d'aviver l'angoisse des salariés qui comprennent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de plier, sous peine d'être licenciés à leur tour.

Vos politiques instaurent une ambiance délétère pour conditionner les salariés de notre pays, leur apprendre à être toujours plus dociles. Si certains se réjouissent de ce contexte, soyez sûrs que vous les trouverez du côté du patronat ! La réalité d'aujourd'hui, c'est l'explosion de la précarité : il serait intéressant, comme M. le président Mercier le disait tout à l'heure, de voir ce que deviennent réellement les RMIstes qui acceptent un contrat. Pour ma part, je défends l'idée que ces RMIstes en difficulté sont en train de constituer le volant de travailleurs pauvres qui devient une spécificité de notre pays. Le phénomène était connu dans les pays anglo-saxons, mais nous le voyons apparaître en France : nous devrons en discuter, notamment dans le cadre de notre réflexion sur l'évolution de l'exclusion en France.

Votre fusion aggravera ces phénomènes, elle permettra au patronat, déjà très présent dans la gestion de l'UNEDIC, de participer à la gestion de la future institution que vous voulez créer, l'associant cette fois-ci à la gestion du placement. Avec la participation de deux ou de trois de vos ministres - on a même entendu parler du ministre de l'immigration - et celle du MEDEF, la présence des partenaires sociaux sera amoindrie.

Cette situation aura de lourdes conséquences sur les politiques de l'emploi et je ne doute pas que, demain, une fois votre projet adopté, le secteur privé ne manquera pas de faire connaître ses exigences sur le placement, notamment en usant de la notion d'offre valable d'emploi ou OVE. Là encore, madame la ministre, le Gouvernement et le Président de la République satisfont ces exigences à l'avance, lorsqu'ils précisent qu'un salarié ne pourra, sans risque de sanction, refuser plus de deux propositions.

Votre fusion aura-t-elle des effets sur le chômage ? Oui, à n'en pas douter, puisque demain, plus que vous ne le faites déjà aujourd'hui, vous allez radier arbitrairement des demandeurs d'emplois ou les contraindre à accepter n'importe quel travail.

Sans doute le taux de chômage diminuera-t-il sous le double effet des évolutions démographiques et des radiations abusives qui se sont multipliées sous votre majorité. Les récentes déclarations du Président de la République sur le sujet ne manquent pas de sel : il annonce vouloir sanctionner les demandeurs d'emplois qui refuseraient deux offres valables, alors qu'une négociation devrait bientôt s'ouvrir pour permettre aux partenaires sociaux d'établir une définition claire de cette notion !

Mais cette définition existe déjà partiellement, elle est contenue dans une convention de l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, et je vous prierai de bien vouloir répondre à ma question, si les éléments déjà contenus dans la convention de l'OIT serviront de point d'ancrage à la négociation. Je souhaiterais également que vous nous garantissiez qu'on n'enregistrera pas de recul sur aucun des éléments de la définition actuelle.

Qu'adviendrait--il de la définition de l'OVE si, demain, les partenaires sociaux ne s'entendaient pas ? On sait que le Gouvernement interviendra, on sait aussi qu'il le fera, comme c'est toujours le cas avec votre majorité, sur les positions défendues par les industriels. Il aurait été plus logique, madame la ministre, d'attendre la fin des négociations sur ce sujet. De même qu'il aurait été plus logique d'attendre pour dessiner la structure nouvelle capable de répondre à une exigence définie en partie sur de nouveaux critères, comme la nouvelle définition de l'OVE. Car, selon le contenu de cette définition, la mission principale des agents, placement ou radiation, sera radicalement modifiée, avec des incidences sur les missions de conseil, d'orientation et d'information en matière de formation.

Mais vous n'en avez cure ! La déclaration d'urgence sur ce texte en est la preuve. Peu importe que l'on crée aujourd'hui une institution alors qu'un élément fondamental, utile à sa mission, n'est pas encore défini, puisque ce qui compte, c'est l'affichage. Cela nous confirme dans l'idée que le texte que vous nous présentez aujourd'hui n'est qu'un trompe-l'oeil. Mais, sur le fond, parviendrez-vous à garantir le plein emploi ? J'en doute car, d'une certaine manière, ce chômage vous est utile.

En effet, d'une part, nous l'avons déjà dit, un chômage résiduel permet aux employeurs de faire pression sur les salariés. Ce phénomène va s'accentuer à l'avenir, même si le Président de la République nous a expliqué que ce que nous avions cru devoir comprendre, à savoir la fin de la durée légale du travail, n'était plus de mise. En renvoyant la définition de la durée légale du travail aux négociations par branches ou, comme le voudrait le patronat, à la négociation individuelle, il ne fait pas de doute que l'employeur choisira le salarié faussement volontaire pour travailler plus.

D'autre part, deux économistes, Franco Modigliani et Lucas Papademos, ont démontré que les mesures conjoncturelles étaient inefficaces pour combattre ce que l'on appelle le « chômage naturel ». C'est dans les années 1970 qu'un des chefs de l'école de pensée néolibérale, l'économiste Milton Friedman, a développé cette thèse et expliqué que le chômage traduit un mauvais fonctionnement du marché du travail. Chaque pays aurait un niveau de chômage normal, habituel, « naturel », reflétant la qualité du marché du travail : certains pays sont caractérisés par une plus grande flexibilité du marché du travail, leur « taux de chômage naturel » est donc plus faible.

En fait, cette analyse est tronquée et l'utilité de ce concept se situe ailleurs, dans la relation entre le taux de chômage et l'inflation. Car ces économistes démontrent, non sans malice, que plus le taux de chômage est faible, plus l'inflation est importante. Puisque vous refusez d'organiser une réforme non libérale d'ampleur de notre économie, il faut donc arbitrer entre chômage et inflation. Les libéraux, dont vous êtes, ont fait le choix d'un chômage compris entre 5 % et 9 %, justement pour limiter une inflation que vos politiques comptables ne sauraient compenser. Demandez par exemple aux retraités si la « généreuse » progression des retraites de 1, 1 % suffira à compenser la hausse des prix !

Mes chers collègues, je ne me fais aucune illusion sur le sort que vous réserverez à cette motion tendant à opposer la question préalable. Je vous demande toutefois de l'adopter, pour éviter une fusion qui nous semble inutile et dangereuse.

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