Intervention de Frédérique Puissat

Réunion du 12 juillet 2018 à 21h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Article 33

Photo de Frédérique PuissatFrédérique Puissat :

Madame la ministre, cet amendement pose plusieurs difficultés, en raison tant de la méthode employée que du dispositif proposé.

S’agissant de la méthode, il n’est pas acceptable qu’un amendement aussi important soit déposé aussi tardivement. Notre commission ne dispose sur cette mesure ni d’étude d’impact, ni de l’avis du Conseil d’État, ni du temps suffisant pour organiser des auditions complémentaires.

Alors que le Gouvernement envisage une réforme institutionnelle qui remet en cause les prérogatives du Parlement, nous avons entendu lundi dernier le Président de la République annoncer le dépôt d’un amendement pour ouvrir de manière anticipée les négociations sur la convention d’assurance chômage. Ce n’est pas la conception que nous nous faisons de relations sereines entre le Parlement et le Gouvernement. La majorité des responsables des groupes politiques au Sénat a manifesté mardi sa réprobation à l’égard de la méthode employée par le Gouvernement.

Plus globalement, je vous rappelle que la méthode retenue pour élaborer ce projet de loi est contestable, car plusieurs sujets ont été introduits tardivement, comme l’emploi des travailleurs handicapés, les plateformes numériques, tandis que les dispositions relatives aux travailleurs détachés ne semblent toujours pas stabilisées.

Sur le fond, l’amendement pose quatre difficultés.

Tout d’abord, sa conformité à la Constitution n’est pas garantie, car il remet en cause le principe de liberté contractuelle. Dans une décision n° 2008–568 en date du 7 août 2008, le Conseil constitutionnel a jugé qu’une loi ne saurait porter une atteinte excessive à des accords collectifs antérieurs, légalement conclus, sauf motif d’intérêt général suffisant. En effet, « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles IV et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » ainsi que, s’agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. L’amendement ne démontre pas pour l’instant un intérêt général suffisant.

Ensuite, l’amendement ne prévoit pas explicitement que la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage et ses textes associés deviendront caducs. L’amendement porte sur le futur, mais ne règle pas la situation actuelle.

En outre, le rôle du Parlement est totalement ignoré dans l’amendement, alors que, à l’article 32, que nous examinerons ultérieurement, nous avons obligé le Gouvernement à lui transmettre le projet de document de cadrage pour qu’il puisse faire valoir son point de vue.

Enfin, l’amendement prévoit que le document de cadrage proposera aux partenaires sociaux de revoir l’articulation entre les allocations chômage assurantielles et celles de solidarité. Or on ignore à partir de quand la nouvelle allocation de chômage longue durée pourrait être accordée : deux ans ou plus pour les seniors ? Ce faisant, l’amendement brouille un peu plus la frontière entre ces deux allocations. On ne peut pas à la cantonade modifier ainsi des principes historiques de la protection sociale sans une vision globale et un temps de réflexion nécessaire. Le Conseil d’État, dans son avis sur le texte, a souligné l’importance d’une vision globale pour réformer la protection sociale : « Le Conseil d’État invite le Gouvernement à approfondir sa réflexion sur la cohérence des modalités de financement des régimes avec les prestations qu’ils servent, dans la perspective d’une réforme du système de protection sociale ».

Vous l’aurez compris, au vu de ces arguments et de la réaction légitime des groupes politiques du Sénat, je ne puis qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion