Intervention de Catherine Fournier

Commission mixte paritaire — Réunion du 16 juillet 2018 à 19h30
Commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

Photo de Catherine FournierCatherine Fournier, rapporteure pour le Sénat :

Le Sénat a adopté aujourd'hui même le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, modifié par 215 amendements en commission et 169 en séance publique.

En préservant les grands équilibres du texte, nous l'avons enrichi en poursuivant cinq objectifs.

Le premier objectif de la commission a été de renforcer le rôle des régions en matière d'apprentissage tout en approuvant les nouvelles missions confiées aux branches professionnelles.

Nous avons tenu à inscrire dans la loi le principe de compétences partagées entre les régions et les branches professionnelles. Nous avons également souhaité que les régions élaborent une stratégie pluriannuelle des formations en alternance, et qu'elles puissent conclure des conventions d'objectifs et de moyens avec les centres de formation d'apprentis qu'elles soutiendront au titre de l'aménagement du territoire.

Elles pourront créer avec l'État un comité régional de l'orientation, chargé de coordonner les interventions des organismes participant au service public régional de l'orientation. Elles disposeront en outre d'au moins vingt heures par an prises sur le temps scolaire pour réaliser des actions d'information sur les professions et les formations dans toutes les classes de quatrième et de troisième.

Nous avons également souhaité améliorer l'orientation des élèves, apprentis et étudiants, valoriser la fonction de maître d'apprentissage et moderniser le statut de l'apprenti.

Le second objectif poursuivi par le Sénat a été de préserver le rôle des partenaires sociaux et des régions en matière de formation professionnelle.

Malgré nos doutes sur l'efficacité de la monétisation du CPF, nous ne nous sommes pas opposés à cette réforme qui est pourtant, selon les auditions que nous avons menées, unanimement rejetée par les acteurs concernés et nous avons cherché à limiter ses effets pervers. Nous avons donc créé une période de transition pour la conversion en euros et prévu des règles d'actualisation régulière des droits acquis. Nous avons également encouragé une réelle co-construction des parcours de formation en permettant à un accord d'entreprise de définir les formations pour lesquelles l'employeur s'engage à abonder le CPF de ses salariés.

Le Sénat a modifié la composition du conseil d'administration de France compétences afin de garantir le respect du quadripartisme.

Il a également prévu que la région désigne elle-même l'opérateur du conseil en évolution professionnelle chargé de suivre les actifs de la sphère privée sur son territoire.

De plus, pour assurer une transition correcte, notre assemblée a allongé les délais accordés aux partenaires sociaux dans les branches pour définir le périmètre d'intervention des futurs opérateurs de compétences, afin d'éviter qu'il soit imposé par l'État.

J'en viens au troisième objectif de la commission, celui de renforcer la logique des droits et des devoirs du demandeur d'emploi.

Nous avons considéré qu'il revenait à la loi, et non au pouvoir réglementaire, de fixer les principes de la radiation et de la suppression du revenu de remplacement en cas de manquement du demandeur d'emploi à ses obligations.

Nous avons précisé les règles de l'offre raisonnable d'emploi pour favoriser le retour à l'emploi des allocataires, et nous avons relevé le plafond de la pénalité administrative en cas de fraude.

Le Sénat a supprimé la possibilité pour le Gouvernement d'imposer un bonus-malus pour moduler la contribution des employeurs à l'assurance chômage, considérant que ce dispositif était complexe et peu efficace pour lutter contre le recours excessif aux contrats courts.

Dans le nouveau cadre défini pour la négociation de la convention d'assurance chômage, notre assemblée a souhaité que le Gouvernement communique au Parlement le projet de document de cadrage au plus tard quatre mois avant la fin de validité de la convention.

Le Sénat ne pouvait donc accepter l'amendement annoncé par le Président de la République devant le Congrès, et déposé in extremis après un incident de séance, qui anticipe l'ouverture de la négociation de la convention d'assurance chômage. Cet amendement remet profondément en cause l'équilibre du titre II, et son dépôt tardif témoigne, sinon d'une provocation, du moins d'un manque de considération de l'exécutif à l'égard du Parlement et en particulier du Sénat. Sur le fond, la conformité à la Constitution de cet amendement n'est pas garantie : il pourrait se révéler contraire au principe constitutionnel de la liberté contractuelle.

Concernant les travailleurs handicapés, le Sénat s'est montré attentif à ce que leurs parcours professionnels soient aussi fluides que possible entre milieu protégé et milieu adapté ou milieu dit « classique ». Il s'est également attaché à protéger le modèle économique des entreprises dotées de plusieurs établissements des nouvelles modalités de calcul de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapées (OETH) ainsi qu'à réhabiliter l'accord agréé comme possible voie d'acquittement de l'OETH.

S'agissant de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il a surtout souhaité préserver l'équilibre originel du texte, en conciliant au mieux l'impératif d'égalité salariale et l'autonomie de gestion des entreprises.

Enfin, le Sénat a recentré le projet de loi sur ses objectifs initiaux. C'est pourquoi il a rejeté l'article qui traite de la responsabilité sociale des plateformes numériques à l'égard de leurs collaborateurs, ainsi que tous les articles relatifs à la réforme du régime de la disponibilité des fonctionnaires et à l'élargissement des recrutements par voie directe, qui sont dépourvus de lien avec l'objet du texte.

Le Sénat a eu une attitude d'ouverture constante sur ce texte. Nous n'avons pas remis en cause la philosophie générale du projet de loi ; nous avons tenté de nuancer ses excès et nous avons accueilli favorablement nombre des amendements proposés par le Gouvernement.

Malgré tous les efforts du Sénat, force est de constater que nous n'aboutirons pas à un accord aujourd'hui à l'issue de notre réunion.

L'élaboration de la loi nécessite un temps de réflexion indispensable, de préférence préalable au temps d'examen par le Parlement. Nous connaissons les contraintes qui pèsent sur le Gouvernement lorsqu'il élabore un projet de loi, mais nous déplorons la méthode retenue, qui nuit à la capacité du Parlement à exercer pleinement ses missions. Tout dépôt d'un amendement substantiel du Gouvernement en cours d'examen parlementaire traduit un évident manque d'anticipation, une certaine improvisation ou une stratégie spécifique. Elle prive en outre les rapporteurs d'une étude d'impact sérieuse, de l'avis du Conseil d'État et de la possibilité d'organiser des auditions. Ce texte en offre malheureusement un certain nombre d'exemples : sur l'emploi des travailleurs handicapés et l'égalité professionnelle, sur les plateformes numériques ou encore sur les fraudes au détachement, marquées par les hésitations du Gouvernement. Je songe surtout à la décision, déjà évoquée, du Président de la République, le 9 juillet dernier, de mettre fin par anticipation à la convention d'assurance chômage car elle a condamné à l'échec notre réunion de commission mixte paritaire.

Jusqu'à cette date, nous avions le sentiment qu'un accord était envisageable : les divergences entre nos deux assemblées étaient bien moins nombreuses que les points de convergence. Mais le calendrier parlementaire très contraint et l'annonce du Président de la République ont ruiné cette possibilité. Nous regrettons cette situation, car le Sénat a démontré lors de l'examen du projet de loi d'habilitation à réformer par ordonnances le code du travail, puis du projet de loi de ratification, sa capacité à forger des compromis avec l'Assemblée nationale.

Le Sénat est resté fidèle à sa tradition en ouvrant le dialogue avec l'Assemblée nationale pour enrichir le texte et donner tout son sens au bicamérisme. Au-delà du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, et indépendamment de nos orientations politiques, il nous importe dans les mois qui viennent de préserver ce bien précieux qu'est le travail législatif, aujourd'hui quelque peu malmené, et de réfléchir aux moyens de rééquilibrer les relations entre le Parlement et le Gouvernement. Une société démocratique équilibrée se doit non seulement d'entendre, mais surtout d'acter les travaux de ses deux chambres, représentant les citoyens, mais également les élus responsables des territoires.

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