Intervention de Rachida Dati

Réunion du 20 janvier 2009 à 16h00
Exécution des décisions de justice — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier M. Laurent Béteille d’avoir pris l’heureuse initiative de cette proposition de loi, qui participe à l’amélioration de l’efficacité de notre justice.

Mes remerciements vont également au rapporteur, M. François Zocchetto, qui a accompli un travail particulièrement important et, en tous points, excellent.

Je veux aussi saluer le président de la commission des lois, qui a soutenu et encouragé ses collègues. Je le dis publiquement : monsieur le président Hyest, notre justice vous doit beaucoup.

Le texte qui vous est aujourd’hui soumis constitue une avancée significative dans le processus de modernisation de la justice qui a été engagé. Il a trait non seulement à l’exécution des décisions de justice, mais également aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, ce texte contribue très largement à restaurer la confiance des Français dans leur justice grâce à quatre avancées essentielles. Il améliore l’exécution des décisions rendues ; il rénove les conditions d’exercice de certaines professions réglementées ; il confirme les officiers publics ou les avocats dans leur rôle d’interlocuteurs privilégiés des personnes et des familles ; enfin, il propose l’unification des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, créant ainsi une nouvelle dynamique pour l’offre en propriété industrielle.

Premièrement, ce texte améliore l’exécution des décisions de justice.

Ainsi, la disposition présentée à l'article 1er rétablit l’équilibre entre le consommateur et le professionnel pour le paiement des frais d’huissier.

Aujourd’hui, les frais d’exécution sont, pour partie, à la charge des créanciers. Ils sont considérés comme des honoraires et le débiteur est, a priori, réputé être dans une situation économique difficile.

Ce mécanisme est parfois choquant, notamment lorsque le débiteur est un professionnel dont la solvabilité ne fait aucun doute. On peut penser aux opérateurs de téléphonie ou d’internet, aux banques ou aux assurances, et aux professionnels de la vente à distance.

Dès lors, il est opportun de donner au juge la possibilité de mettre à la charge du professionnel condamné, au regard de l’équité ou de la situation économique de celui-ci, l’intégralité du droit de recouvrement.

Vous proposez ensuite de renforcer la force probante des constats.

Aujourd'hui, les constatations matérielles réalisées par les huissiers de justice « n’ont que la valeur de simples renseignements ». Pourtant, dans la pratique, le constat d’huissier est souvent retenu par les juridictions comme un élément de preuve important, voire décisif.

Ce texte renforce la valeur probatoire des constatations matérielles faites par les huissiers de justice. Le constat fera foi jusqu’à preuve du contraire.

Plusieurs autres mesures sont destinées à l’amélioration de la signification des actes et des procédures d’exécution.

Tout d’abord, les huissiers de justice pourront avoir accès aux boîtes à lettres des immeubles collectifs. Il s’agit d’une mesure de bon sens, qui facilitera la délivrance des actes à la personne même de leur destinataire.

De manière plus générale, l’accès aux informations sera amélioré. Un huissier de justice muni d’un titre exécutoire pourra s’adresser directement aux administrations susceptibles de lui communiquer l’adresse et l’employeur du débiteur. Il n’aura plus besoin de demander l’assistance du parquet.

La réforme du juge de l’exécution s’inscrit également dans la volonté d’améliorer l’efficacité de notre justice.

La commission présidée par le recteur Guinchard a préconisé de rationaliser la répartition des contentieux entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance.

Le texte qui vous est aujourd'hui soumis s’inspire de ses réflexions, mesdames, messieurs les sénateurs. Le juge de l’exécution du tribunal de grande instance connaîtra des voies d’exécution les plus complexes – les immeubles, les navires et les avions –, tandis que le juge de l’exécution du tribunal d’instance sera chargé des procédures d’exécution mobilière et de surendettement.

En outre, il s’agit d’autoriser les procureurs de la République à requérir directement la force publique pour faire exécuter des décisions rendues sur le fondement de conventions internationales ou de règlements communautaires en matière de déplacement illicite d’enfants d’un État à un autre. Cette disposition mettra la France en pleine conformité avec ses engagements internationaux.

Deuxièmement, et cela constitue également une avancée importante, ce texte modernise les conditions d’exercice de plusieurs professions judiciaires et juridiques.

Ainsi, il modifie certaines dispositions statutaires. Le pouvoir disciplinaire sera confié aux chambres régionales des huissiers de justice et non plus aux chambres départementales des huissiers de justice, pour plus d’impartialité. En outre, les chambres régionales disposeront d’un pouvoir de contrôle en matière d’organisation et de fonctionnement des études. Cette proposition novatrice permettra de renforcer la déontologie de la profession.

Instance de proximité, la chambre départementale des huissiers de justice conservera un rôle important, puisqu’elle pourra dénoncer les fautes disciplinaires commises par les huissiers de justice. Cela constitue une réelle avancée en termes de proximité.

Depuis son instauration en 2004, l’obligation de formation continue pour les avocats a connu un véritable succès. Cette exigence est particulièrement nécessaire à notre époque, où les changements dans le domaine du droit sont complexes et nombreux. Il est indispensable, comme le prévoit la proposition de loi, que les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce et les commissaires-priseurs judiciaires y soient également soumis.

De la même manière, la faculté donnée aux huissiers de justice et aux greffiers des tribunaux de commerce d’exercer en qualité de salariés, comme peuvent déjà le faire les notaires et les avocats, sera de nature à moderniser et ouvrir ces professions.

Avec raison et sur ce même modèle, il est prévu pour les sociétés d’exercice que le nombre de salariés ne pourra pas dépasser celui des associés composant l’office. Grâce à cette précaution, ce nouveau mode d’exercice restera un outil de promotion interne.

Enfin, s’agissant des greffiers des tribunaux de commerce, il convient d’aligner leurs structures sur celles des autres professions judiciaires et juridiques. Il est souhaitable de leur ouvrir la possibilité de créer des sociétés de participation financière de professions libérales. Ainsi sera octroyé à cette profession consacrée au service public de la justice un nouvel instrument de développement.

La proposition de loi est bienvenue et très opportune, car elle permet l’expression d’une plus grande démocratie lors des négociations collectives dans ces professions. En effet, depuis 1945, les instances représentatives des huissiers de justice, des notaires et des commissaires-priseurs judiciaires disposent d’un monopole pour la négociation des conventions gouvernant les relations entre les professionnels et leurs personnels. Ce monopole n’était pas compatible avec la liberté syndicale consacrée par les conventions internationales et par le préambule de la Constitution. Le Bureau international du travail et le Conseil d’État ont eu l’occasion de le rappeler.

Il était nécessaire de traduire ces décisions. Vous le faites, mesdames, messieurs les sénateurs, en prévoyant une compétence concurrente des instances représentatives et des organisations d’employeurs, qui pourront être constituées en syndicats.

Troisièmement, ce texte renforce les missions de certaines professions judiciaires. L’article 23 a pour objet de consolider la compétence des notaires lorsqu’il s’agit de recueillir le consentement en matière d’adoption. Aujourd’hui, ce dernier peut être reçu soit par les greffiers en chef des tribunaux d’instance, soit par les notaires. Il vous est proposé de décharger les greffiers en chef des tribunaux d’instance de cette formalité, au profit des notaires.

Cette mesure est conforme aux préconisations du rapport de la commission Guinchard. Elle va décharger les tribunaux d’interventions qui n’ont pas de caractère juridictionnel, sans sacrifier les impératifs de discrétion et de sécurité juridique qui entourent un acte touchant à l’intimité personnelle et familiale.

Dans ce même esprit est confié aux huissiers de justice le soin de procéder aux mesures conservatoires s’imposant après un décès, mesures qui étaient également accomplies, jusqu’à présent, par les greffiers en chef des tribunaux d’instance. Elles consistent à apposer, si nécessaire, les scellés dans les locaux qui étaient habités par le défunt et à réaliser des états descriptifs du mobilier. Cette modification était, elle aussi, préconisée par la commission Guinchard.

Enfin, je me réjouis de l’initiative de la commission des lois, qui a décidé de mettre en œuvre la préconisation de la commission Guinchard tendant à créer une procédure participative. Cette disposition permettra à des personnes ayant un différend de le régler à l’amiable, avec l’assistance de leur avocat.

Les avocats, par leurs connaissances juridiques et judiciaires, par les conseils qu’ils donnent et par leurs qualités de rédacteurs d’actes juridiques, peuvent éviter bien des actions en justice.

La convention de procédure participative apportera à ces professionnels un cadre adapté et sécurisant pour aider les parties à résoudre un conflit. Le juge n’interviendra qu’en cas de difficultés irréductibles. Dès sa conclusion, la convention suspendra le cours de la prescription pendant toute la durée de la négociation. Ce texte répond ainsi à la préoccupation que vous aviez exprimée, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de l’élaboration de la loi portant réforme de la prescription en matière civile. Certains ont pu craindre que la procédure participative puisse empiéter sur le domaine de l’acte authentique. Ce n’est nullement le cas.

Les conclusions de la commission Guinchard ont été claires sur ce point. Je confirme que le texte qui vous est soumis ne s’écarte pas de ces conclusions. Il ne saurait y avoir place à l’incertitude ou à l’ambiguïté et les règles régissant la publicité foncière s’appliqueront aux actes résultant de l’accord dans les conditions du droit commun.

Je suis convaincue que ce dispositif est promis à un grand avenir. C’est une nouvelle opportunité offerte à la profession d’avocat et un outil dont le succès permettra d’apaiser les conflits et de recentrer l’activité des juridictions sur ceux qui sont les plus difficiles à résoudre.

Enfin, quatrièmement, je suis favorable à la proposition de fusion entre les avocats et les conseils en propriété industrielle. Aujourd’hui, les deux professions, bien que complémentaires, sont juridiquement incompatibles. Afin de créer une synergie en matière de propriété intellectuelle, leurs représentants appelaient de leurs vœux une unification, que vous allez réaliser.

Une telle réforme est de nature à renforcer l’efficacité du service en propriété industrielle dans un contexte international où ce marché est fortement concurrentiel. J’ai entendu des craintes s’exprimer. Je tiens à vous le dire, elles ne sont pas fondées.

En premier lieu, les dispositions relatives à la formation ont été mûrement réfléchies. Des passerelles ont été créées pour ne pas décourager les jeunes ingénieurs par des études qui seraient excessivement longues, tout en gardant une exigence de formation juridique adaptée.

En deuxième lieu, les dispositions ne font aucunement obstacle à ce que des salariés spécialistes en propriété industrielle continuent de représenter leur entreprise en matière de dépôt de brevets et de marques. Elles ne font pas non plus obstacle aux allers-retours entre un exercice libéral et un exercice salarié.

En troisième lieu, les entreprises ne doivent pas s’inquiéter de la qualité des prestations fournies. La mention de spécialisation jouera tout son rôle pour éclairer les clients sur les compétences de ceux auxquels ils s’adressent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les propositions que vous allez adopter recueillent la pleine adhésion des professionnels du droit. Ils savent qu’elles sont de nature à renforcer la qualité des services qu’ils offrent.

Pour l’essentiel, ces améliorations bénéficieront directement à nos concitoyens.

Le Gouvernement est très favorable à l’ensemble des dispositions qui sont proposées. Je souhaite à nouveau rendre hommage au travail remarquable effectué par le président Hyest et par MM. Béteille et Zocchetto, guidés par une très haute idée du service public de la justice.

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