Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux d’intervenir aujourd’hui devant notre assemblée, au nom du groupe socialiste, au sujet de la proposition de loi, déposée par M. Laurent Béteille, relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.
En effet, le sénateur que je suis souhaiterait que le Parlement puisse davantage proposer et voter les textes de loi.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui est a priori relativement consensuelle, même si quelques aménagements doivent y être apportés, dont je vous exposerai les motivations et le contenu dans la suite de mon intervention.
Cependant, j’ai tout de même une interrogation à formuler : de quel texte, de quelle proposition de loi débattons-nous aujourd’hui ?
Est-ce la proposition de loi déposée par notre collègue Laurent Béteille le 15 octobre dernier, ou bien ce texte tel qu’il a été adopté par la commission des lois le 14 janvier dernier ?
Si j’émets cette interrogation aujourd’hui, c’est tout simplement parce que le rapporteur de ce texte, M. François Zocchetto, a introduit deux ajouts, faisant passer à plus de cinquante articles un texte qui en comptait vingt-six au départ.
Ces additions ne sont pas anodines : elles introduisent des réformes aussi substantielles que l’instauration d’une procédure participative de négociation assistée par avocat, à l’article 31, ou que l’organisation de la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, aux articles 32 à 50.
Ce sont là deux véritables nouvelles propositions de loi, et les délais pour l’examen de telles réformes sont bien évidemment trop courts.
En outre, monsieur le rapporteur, comme l’a souligné lors des travaux de la commission notre collègue Richard Yung, il convenait d’attendre les conclusions de la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois avant de se prononcer sur la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, d’autant que cette proposition est extrêmement controversée et que les auditions à ce sujet n’ont pas été menées à leur terme, les usagers de la propriété industrielle, les représentants des entreprises ou encore les avocats spécialistes n’ayant pas été entendus.
C’est pourquoi, mes chers collègues, sans même entrer dans le détail des dispositions ajoutées par la commission des lois, sur proposition de M. le rapporteur, je vous indique que le groupe socialiste s’opposera à l’adoption des articles 31 à 50, pour lesquels il présentera des amendements de suppression.
Si j’ai commencé mon propos en me félicitant d’une discussion relative à une proposition de loi qui comporte – il faut le souligner, et je vais le démontrer – de nombreuses mesures utiles et relativement consensuelles, force est de constater que mon relatif engouement s’est rapidement estompé pour laisser place à une certaine déception.
C’est le cas, notamment, quand la niche parlementaire est dévoyée pour faire passer des réformes qui, à elles seules, mériteraient un texte de loi, ce qui décrédibilise l’initiative parlementaire !
À cet égard, nous pouvons nous interroger sur les motivations qui ont conduit notre rapporteur à faire d’une proposition de loi consensuelle un texte complètement différent, par l’ajout de ce qui aurait donné matière à deux nouvelles propositions de loi.
Mon groupe et moi-même sommes très attachés à l’initiative parlementaire. Je me contenterai donc aujourd’hui de débattre de la proposition de loi initiale de notre collègue Laurent Béteille.
Ce texte a pour objet de compléter les différentes réformes entreprises par le Gouvernement et le Parlement depuis 2007 et tendant à améliorer l’exécution des décisions de justice, à redéfinir l’organisation et les compétences des juridictions et à rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées, comme les notaires, les huissiers de justice ou les greffiers des tribunaux de commerce.
Les dispositions de la présente proposition de loi sont tout à fait positives, tant le bon fonctionnement du service public de la justice constitue le maillon indispensable du bon fonctionnement de notre démocratie.
Certes, la question des moyens se pose naturellement et revient chaque année en discussion lors de l’examen de la loi de finances. Toutefois, au-delà de ces aspects matériels, il est des mesures simples qui peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement de ce service public.
Les professionnels du secteur et les citoyens attendent des réformes effectives pour faciliter l’accès à la justice et au droit. Ils veulent que des réponses soient apportées et mises en œuvre rapidement.
La justice fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Nous devons tous œuvrer à la rapprocher de nos concitoyens.
Le chantier est vaste et permanent. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond en partie à l’attente des professionnels concernés par ces dispositions, en même temps qu’elle prend en compte les recommandations formulées par la commission sur la répartition des contentieux, présidée par le recteur Guinchard, dans son rapport remis à Mme le garde des sceaux en juin 2008.
En ce qui concerne l’amélioration de l’exécution des décisions de justice, la proposition de loi, dans son article 1er, modifie les règles des frais d’exécution forcée en droit de la consommation, en renvoyant au juge la décision de mettre à la charge de l’entreprise, soit d’office, soit à la demande du consommateur, l’intégralité des éventuels frais d’huissier.
Grâce à ce dispositif, les professionnels seraient plus enclins à se libérer spontanément de leurs dettes. En outre, concernant les petites créances, les prêteurs sont souvent dissuadés de récupérer les sommes qu’ils ont avancées, car les frais d’huissier sont alors à leur charge.
Je souscris pleinement à ce dispositif. Toutefois, comme nos collègues du RDSE, j’aurais souhaité que le champ d’application de ces mesures soit étendu à l’ensemble des contentieux civils, et non pas limité au seul droit de la consommation. Nous voterons d'ailleurs l’amendement présenté dans cette perspective par le RDSE.
Toujours en ce qui concerne l’exécution des décisions de justice, la proposition de loi, en son article 4, tend à permettre à l’huissier porteur d’un titre exécutoire de s’adresser directement aux tiers susceptibles de lui communiquer l’adresse et l’employeur du débiteur, sans avoir à requérir l’assistance du procureur de la République, comme la loi l’y oblige actuellement.
Je comprends parfaitement que l’on veuille faciliter le travail de l’huissier de justice et accroître son efficacité, ce qui est tout à fait louable. Toutefois, notre groupe proposera la suppression de cet article, car il souhaite que le filtre du procureur de la République soit maintenu, afin d’éviter certaines dérives et la multiplication de demandes directes à destination, notamment, des collectivités territoriales.
Par ailleurs, la proposition de loi tend à redéfinir l’organisation et les compétences des juridictions et à mettre en œuvre certaines recommandations formulées par la commission Guinchard dans la seconde partie de son rapport.
Ainsi, les articles 8 et 9 visent à regrouper le contentieux de l’exécution mobilière – la saisie des rémunérations et le paiement des pensions alimentaires, notamment – devant le juge de l’exécution du tribunal d’instance.
Le contentieux de l’exécution immobilière ou quasi immobilière, comme la saisie des navires et autres bâtiments de mer, sera porté devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance.
Enfin, la proposition de loi tend à rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées : les professions concernées ici sont celles d’huissier de justice, de notaire et de greffier des tribunaux de commerce.
Ainsi, l’article 2 de la proposition de loi vise à modifier l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1845 relative au statut des huissiers de justice, en renforçant la valeur probante des constats d’huissier : il est prévu que, sauf en matière pénale, où elles n’ont valeur que de simples renseignements, les constatations d’huissier font foi jusqu’à preuve contraire.
Or, comme le soulignent à juste titre les membres du RDSE, que je cite à nouveau, il convient d’être prudents, de protéger l’équilibre entre les parties et de ne pas remettre en cause les constatations contradictoires.
Les huissiers voient également le régime disciplinaire qui leur est applicable réformé aux termes de la proposition de loi. Les dispositions applicables en l’occurrence sont directement inspirées de la réforme de la discipline des notaires issue de la loi du 11 février 2004.
Ces mesures propres à la profession d’huissier marquent un progrès certain dans le statut de ces professionnels.
Les huissiers de justice, mais également les greffiers des tribunaux de commerce, auront la possibilité, déjà reconnue aux notaires, d’exercer leur profession en qualité de salariés : cette disposition permettra à l’huissier de justice d’exercer sa profession en qualité de salarié d’une étude.
Toujours pour les huissiers de justice, mais aussi pour les notaires, la proposition de loi vise à donner la possibilité aux membres de ces professions réglementées de former des associations et des syndicats professionnels.
Il y est également prévu, aux articles 13 et 17, de soumettre ces deux professions à une obligation de formation continue, étant précisé qu’une telle formation existe déjà pour les avocats.
Enfin, les greffiers des tribunaux de commerce auront la possibilité de créer des sociétés de participations financières de professions libérales.
Tels sont, mes chers collègues, les aspects positifs du texte initial proposé à la discussion aujourd’hui. Si toutes ces mesures peuvent paraître anodines, elles contribuent néanmoins à améliorer l’efficacité du service public de la justice et font entrer les professions réglementées dans une ère plus moderne et plus rationnelle.
Nous regrettons vivement que la modification substantielle de la proposition de loi initiale ne nous permette pas de nous prononcer favorablement sur le nouveau texte issu de la commission.
Une bonne et sérieuse organisation du travail parlementaire – en commission, ce matin, le mot « bâclé » a même été prononcé par certains de nos collègues – devrait nous conduire à renvoyer pour un examen plus approfondi les deux nouvelles propositions de loi que constituent l’article 31, relatif à la procédure participative de négociation assistée par avocat, et les articles 32 à 50, concernant la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle. C’est l’objet d’amendements du groupe socialiste.
L’article 4 nous paraîtrait aussi devoir être supprimé et nous soutenons la prise en compte des amendements aux articles 1er, 2, 23 et 26 présentés par le groupe du RDSE.
Si ces observations ne sont pas prises en compte, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi.