Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 20 janvier 2009 à 16h00
Exécution des décisions de justice — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui appelle de nombreuses critiques, aussi bien sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, tout d’abord, je dois avouer ma surprise de constater que cette proposition de loi, qui comportait à l’origine vingt-six articles, en compte, après son passage en commission des lois, mercredi dernier, le double, à savoir cinquante-deux.

Cette méthode est critiquable, pour plusieurs raisons.

Elle prouve à quel point le travail parlementaire peine à se faire respecter : nous n’avons que quelques jours pour travailler sur une proposition de loi aux dispositions disparates et au champ d’application très vaste, ce qui n’est pas acceptable. Je connais toutefois la réponse qui me sera objectée : il a été procédé à de nombreuses auditions, et nous avons travaillé depuis très longtemps sur ces questions.

Cependant, il est également inacceptable que les propositions de loi se transforment, au fil des années, en antichambres des projets gouvernementaux : personne ne se méprend sur l’origine gouvernementale de certaines dispositions de cette proposition de loi.

Or, cela constitue un moyen habile et discret pour le Gouvernement de distiller des propositions au compte-gouttes au travers de propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, tout en évitant le contrôle du Conseil d’État, qui aurait pourtant été nécessaire s’agissant de la répartition au sein des tribunaux d’instance et de grande instance – ce sur fond de réforme de la carte judiciaire – du contentieux en matière immobilière et mobilière, ou encore de la création de la procédure participative négociée par avocat.

À l’heure actuelle, des discussions ont lieu sur la réforme du règlement, à l’Assemblée nationale comme ici, au Sénat, dans le cadre du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement. Aussi, ne prenons pas les choses à l’envers en nous réjouissant que les textes d’initiative parlementaire puissent être plus nombreux à être adoptés ! En réalité, le détournement qui est fait par le Gouvernement de l’initiative parlementaire est flagrant : fort de l’empressement de la majorité à le satisfaire, il fait adopter par le Parlement certaines de ses propositions.

J’en viens aux remarques sur le fond.

Je déplore, une fois de plus, la méthode retenue pour nous présenter les dispositions de cette proposition de loi. Le fond et la forme se rejoignent.

En effet, cette proposition de loi regroupe diverses dispositions applicables à certaines professions réglementées, elle procède à une nouvelle répartition du contentieux des juridictions civiles en matière mobilière et immobilière, mais, surtout, elle reprend quelques recommandations de la commission Guinchard sur la répartition des contentieux, dont le rapport vous a été remis, madame le garde des sceaux, le 30 juin dernier.

À cette occasion, vous annonciez « qu’un projet de loi [serait] élaboré à partir des propositions et du rapport pour être présenté à la rentrée ».

Or, depuis la rentrée, nous retrouvons plusieurs recommandations de la commission Guinchard éparpillées dans différents textes : dans la proposition de loi de notre collègue député M. Jean-Luc Warsmann, de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, sont reprises trois d’entre elles ; dans la présente proposition de loi figurent également certaines.

Ces recommandations ont été formulées dans un projet cohérent de répartition des contentieux, et font partie d’un ensemble qu’il aurait fallu examiner, pour des raisons de pertinence, dans son intégralité.

Le rapport Guinchard ne constitue pas un catalogue dans lequel on pourrait venir piocher quelques dispositions et délaisser les autres.

Or, c’est exactement ce qui se passe, puisque, dans la proposition de loi originelle, sont reprises quatre recommandations, et que la commission des lois, après en avoir supprimé une, en a également repris une autre.

Cette méthode de travail est pour le moins contestable.

Certaines dispositions le sont également, à l’instar de la suppression du filtre du procureur de la République pour l’accès des huissiers aux informations nominatives dans le cadre de l’exécution d’un titre exécutoire.

Jusqu’à présent, un accès direct des huissiers à ces informations n’est possible que dans le cas du recouvrement des pensions alimentaires. Cette possibilité constitue une exception au principe de la protection de données à caractère personnel, puisque c’est par le seul biais du procureur de la République que l’huissier peut avoir accès à ces informations.

Dans la proposition de loi, il est prévu d’étendre cette exception à tous les cas de recouvrement de créances, autrement dit de supprimer le filtre du procureur de la République. Cela constitue une atteinte au principe de protection de la vie privée, et c’est d’ailleurs pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 4.

Dans la proposition de loi issue des travaux de la commission, il est également prévu de déjudiciariser le recueil du consentement à l’adoption. Dans la version d’origine, il était prévu de déjudiciariser le recueil du consentement en cas de procréation médicalement assistée, ce que, heureusement, la commission des lois, dans son ensemble, a rejeté.

S’agissant de l’adoption, la déjudiciarisation serait motivée par le fait que le rôle des greffiers en chef des tribunaux d’instance se limite à vérifier le consentement éclairé des personnes qui se présentent devant eux.

Une compétence exclusive est ainsi donnée au notaire pour recueillir le consentement à l’adoption.

On nous avance l’argument selon lequel le tarif de cette procédure devant le notaire ne serait « que » de 25, 55 euros.

Cependant, ce tarif restera-t-il fixe ?

Par ailleurs, sur le principe, c’est au service public de la justice d’assurer ce service, dont l’accès est gratuit, alors qu’il deviendrait ainsi une procédure exclusivement payante, ce qui favoriserait une privatisation rampante de la justice.

Nous avons donc également déposé un amendement de suppression de cette disposition.

Enfin, deux dispositions ont été ajoutées à la dernière minute par M. le rapporteur de la commission des lois, alors qu’elles constituent pourtant des réformes importantes, et que leur présentation devant les parlementaires aurait dû prendre la forme d’un projet de loi.

La première instaure la procédure participative de négociation assistée par avocat, qui n’est autre que la recommandation n° 47 de la commission Guinchard.

Sur la forme, je l’ai dit, il n’est pas acceptable d’introduire dans une proposition de loi, moins d’une semaine avant son examen en séance publique, un article tendant à créer une procédure qui vient modifier en profondeur la procédure de règlement des litiges.

Le temps de la réflexion était d’autant plus nécessaire que cette réforme, telle qu’elle est présentée, n’est pas sans poser quelques problèmes.

Je n’en soulèverai pour l’heure que quelques-uns, me réservant d’entrer davantage dans les détails lors de la présentation de l’amendement que nous avons déposé à cet article 31.

L’un des dangers de cette procédure concerne le droit du travail, puisque seuls les avocats pourront assister les parties : les défenseurs syndicaux se retrouvent de fait dans l’impossibilité de protéger des salariés, ce qui ne nous étonne absolument pas, puisque le Gouvernement souhaite que le règlement des conflits du travail se fasse entre personnes privées.

Par ailleurs, cette procédure sera coûteuse, car le temps de conseil assuré par l’avocat sera plus important : elle ne sera, en fait, réservée qu’à ceux qui en auront les moyens.

Il aurait donc fallu présenter cette réforme à un stade de réflexion plus abouti et laisser le temps aux parlementaires de faire des propositions constructives en sa faveur.

Ma dernière remarque concerne la fusion entre les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, introduite par M. le rapporteur en commission des lois.

Ce n’est pas la première fois que la majorité tente d’imposer cette fusion en catimini : lors de l’examen du projet de loi visant à adapter le droit des sociétés au droit communautaire, le Gouvernement avait déposé un amendement l’autorisant à procéder à cette fusion par ordonnances, amendement retiré in extremis avant la séance.

Il convient également de souligner que cette fusion fait partie des thèmes de réflexion de la commission Darrois, mise en place par le Président de la République le 30 juin dernier, et chargée de créer une « grande profession du droit ».

Cette commission n’a pas encore rendu son rapport. M. François Zocchetto, notre rapporteur, qui en est membre, n’a pas pu attendre plus longtemps et a donc introduit un projet de fusion des deux professions dans cette proposition de loi. La méthode est plus que douteuse, et c’est pourquoi nous avons également déposé un amendement de suppression de l’article 32.

En conclusion, je tiens à le dire, ces différentes modifications éparses et disparates traduisent une logique rampante de transfert d’une partie du contentieux, qui, sans doute, s’inscrit dans la droite ligne de la diminution du nombre de tribunaux et, donc, des moyens de la justice, en négociation entre les parties.

Comme cela a été dit, les négociations, les médiations et les conciliations sont tout à fait possibles aujourd'hui dans notre droit, mais sous contrôle des tribunaux.

Ce que vous voulez, ce sont des arbitrages totalement privés, ce qui entraînera des inégalités entre les parties, selon les moyens financiers dont elles disposeront pour assurer leur défense.

Peut-être est-ce une contrepartie donnée aux avocats, mécontents de la suppression de nombre de tribunaux d’instance ? Cependant, je le précise il ne s’agit pas des mêmes avocats ? Ceux que vous voulez satisfaire, ce sont non pas les « avocats à la française », mais ceux des grands cabinets d’avocats, pour qu’ils puissent concurrencer les cabinets étrangers qui s’installent sur notre territoire et qui drainent déjà une partie des affaires lucratives.

Votre conception de la justice n’est pas la nôtre. Elle est très dangereuse et, en tout cas, contraire à l’égalité des citoyens devant la justice. Nous tenons au service public. C’est pourquoi nous nous battons pour que le service public de la justice dispose des moyens lui permettant de continuer à fonctionner. Nous n’entendons pas le brader aux grands cabinets privés.

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