Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 20 janvier 2009 à 22h00
Enseignements de la présidence française de l'union européenne — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel, président de la commission des affaires européennes :

La conférence des présidents devrait en effet décider, selon votre souhait, monsieur le président, que ces réunions auront lieu à un étage inférieur.

Je tiens également à souligner que c’est sans doute la première fois que le président du Sénat en personne préside une séance de nuit consacrée à la discussion d’une question orale européenne avec débat. Comme vous pouvez le constater, nous innovons !

Je ne vais pas m’attarder sur le bilan proprement dit de la présidence française. Vous nous avez adressé un document fort bien réalisé et très complet sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État. Tous les ministres nous ont d’ailleurs fait parvenir, ces derniers jours, le bilan de la présidence française dans leur secteur de responsabilité.

Chacun d’entre nous, et c’est légitime, peut avoir son jugement sur ce bilan. En cherchant bien, on peut toujours estimer que, sur tel ou tel point, on aurait pu obtenir un meilleur résultat.

Je voudrais cependant rappeler, une fois de plus, qu’il ne faut pas aborder les réalités européennes avec les habitudes de pensée de la vie politique nationale, avec des « lunettes françaises ». Une présidence européenne dure peu. Elle est le maillon d’une chaîne et le pays qui l’exerce ne préside, en fait, que deux institutions : le Conseil européen, qui comprend les chefs d’État et de gouvernement, ainsi que le président de la Commission, et le Conseil de l’Union, qui réunit les ministres compétents en fonction des sujets abordés.

Le rôle d’une présidence est de faire en sorte que ces deux institutions parviennent, en coopération avec les autres institutions de l’Union, à des résultats répondant aux grandes attentes des citoyens européens. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est le très large accord qui s’est manifesté pour estimer que la présidence française avait particulièrement bien rempli ce rôle.

Ce qui caractérise l’Europe, nous le savons tous, c’est sa très grande diversité sur de nombreux plans, et notamment sur le plan politique. Et pourtant, à chaque fois que j’ai rencontré, durant cette présidence, des collègues des autres parlements nationaux ou du Parlement européen, j’ai constaté le même soutien à la manière dont la France exerçait sa présidence. Cela fut le cas, notamment, lors de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union, la COSAC, qui s’est déroulée au Sénat, au mois de novembre, en présence du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale : tous les représentants des parlements nationaux ont salué ce qu’avait accompli la présidence française pour débloquer, au cours de l’été et au début de l’automne, un certain nombre de situations.

Il y a donc des enseignements à tirer de cette présidence, qui vont bien au-delà des quelques mois qu’elle a duré. Qu’est-ce qui lui a donné une valeur particulière ?

Elle n’a pas été une présidence pour les thèses françaises, les intérêts français, cela va de soi : ce n’est pas le rôle d’une présidence européenne. Mais elle n’a pas non plus été une présidence de « bon élève ». Bien des habitudes ont été largement bousculées. Il y a eu des réunions de formats très différents, certaines très restreintes, d’autres très larges. L’activité a été importante en plein mois d’août. Lors de son audition, la semaine dernière, devant la commission des affaires européennes du Sénat, M. Pierre Sellal nous a déclaré qu’il semblait inimaginable de pouvoir réunir des fonctionnaires européens les 13 et 14 août et de mobiliser sa propre équipe, au sein de la représentation permanente, dès le retour de vacances de certains de ses membres. Et nous avons vu, sous l’effet d’une présidence volontariste, les institutions collaborer très étroitement entre elles au lieu de défendre, comme d’habitude, leurs « prés carrés » respectifs.

On dira qu’il faut faire la part des circonstances, que la présidence française a eu plusieurs crises à gérer, que les institutions et les États membres ont compris que faire cavalier seul serait mal perçu. C’est assurément vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer la capacité d’entraînement particulière qui a caractérisé la présidence française.

Ce qui explique cette capacité d’entraînement, c’est, me semble-t-il, le fait que la présidence française est allée plus loin que d’habitude dans le sens d’une affirmation de l’Europe. Ce fut vrai lors de la crise géorgienne, ce fut vrai lors de la crise financière, ce fut vrai aussi lors de la négociation du paquet « énergie-climat », animée par l’ambition que l’Europe reste en tête dans ce domaine.

Chacun a pu constater que rien, à part ses propres inhibitions, n’empêchait l’Europe, quand elle le voulait, de s’affirmer davantage de manière autonome. C’est naturellement une leçon essentielle à tirer de la présidence française. Car nous sommes entrés dans un monde dont l’une des caractéristiques est le recul relatif de la puissance américaine, qui reste considérable, mais n’est plus « l’hyper-puissance » évoquée par Hubert Védrine dans les années quatre-vingt-dix. Bon gré mal gré, l’Europe ne pourra plus, qu’elle le veuille ou non, se contenter de vivre à l’ombre des États-Unis. Elle est désormais condamnée à assumer davantage de responsabilités. Nous avons vu durant la présidence française que, dans certains domaines au moins, L’Europe était parfaitement capable de le faire.

Or cette affirmation de l’Europe est inséparable d’une place accrue du politique dans son fonctionnement ; cela ne peut que vous faire plaisir, monsieur le président, car c’est votre leitmotiv pour le Sénat ! Le Président Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir mettre plus de politique dans la vie de l’Union, et c’est bien ce qu’il a fait : le Conseil européen, qui avait tendance à devenir le déversoir des questions non résolues par le Conseil, a rempli effectivement le rôle que lui confient les traités et qui est de donner à l’Union des « impulsions politiques ».

Nous avons ainsi souligné lors de votre audition, monsieur le secrétaire d’État, ce fait presque miraculeux : au lieu des vingt ou trente pages habituelles, les conclusions du Conseil européen tenaient en cinq pages. Enfin, nous pouvions lire ses décisions !

Chacun a pu constater que lorsque les institutions les plus « politiques », le Conseil européen et le Parlement, occupent le devant de la scène, le fossé souvent souligné entre les opinions publiques et l’Europe a tendance à se résorber. Lorsque les responsables de l’Union se sont engagés résolument dans l’action contre la crise financière, lorsqu’ils ont agi en faveur d’un cessez-le-feu en Géorgie, personne n’a jugé que l’Europe était lointaine, coupée des préoccupations des citoyens, ou bien qu’elle en faisait trop.

À cet égard, une autre leçon de la présidence française est bien le faible intérêt – tant mieux ! – de certaines controverses institutionnelles qui ont tant agité l’Union au cours des dix ou quinze dernières années. La présidence française s’est située en dehors des controverses pour viser avant tout des résultats. Et une vérité fort simple est apparue : l’Europe est efficace lorsque ses institutions coopèrent pleinement entre elles et que l’Union et les États membres travaillent dans le même sens. Pour obtenir ce résultat, il faut une présidence active, volontaire, sachant écouter, mais aussi provoquer la décision, c’est-à-dire une présidence capable d’entraîner.

Allons-nous – et c’est tout le sens de ma question ! – être capables de préserver cette nouvelle manière de fonctionner de l’Union ?

Bien entendu, si, comme je l’espère, ainsi qu’un certain nombre de mes collègues, le traité de Lisbonne entre en vigueur avant un an, le Conseil européen sera doté d’un « président stable », élu par celui-ci pour deux ans et demi renouvelables.

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